Comment l’UMA ne fonctionne pas
Née il y a vingt ans lors du sommet de Marrakech, l’Union du Maghreb arabe en est restée au stade des fondations, paralysée par le contentieux algéro-marocain.
C’est un anniversaire sans tambour ni trompette. L’Union du Maghreb arabe (UMA) a fêté ses 20 ans, le 17 février, dans une indifférence quasi générale. C’est que l’édifice dont les leaders des cinq pays maghrébins avaient jeté les bases lors du sommet de Marrakech, en 1989, en est resté au stade des fondations. De cette rencontre historique, il reste quelques photos, pas encore jaunies, mais déjà terriblement datées. L’esprit de Marrakech, lui, s’est perdu dans les sables du Sahara, quelque part du côté de Tindouf. Le roi Hassan II, lucide, avait prévenu qu’il ignorait quelle allait être la cylindrée de la « nouvelle voiture maghrébine », si elle allait fonctionner au gaz, au diesel ou au super, et à quelle vitesse elle roulerait. Mais il était loin d’imaginer qu’elle tomberait en panne à sa sortie d’usine et qu’aucun des mécaniciens appelés à son chevet ne parviendrait à la réparer.
Drôle de paradoxe : le Maghreb, vaste ensemble de 80 millions d’habitants, riche en pétrole, en gaz, en eau, est à la fois l’ensemble géopolitique le plus homogène sur le plan linguistique, religieux et culturel, et le moins intégré sur le plan économique. Les échanges intermaghrébins représentent moins de 3,5 % du commerce de la zone. La frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc est fermée depuis 1994. Promises par l’article 2 du traité d’Union, la zone de libre-échange et la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux restent purement théoriques. Quant au Conseil suprême – l’instance de décision de l’UMA, composée des cinq chefs d’État –, il ne s’est pas réuni depuis 1994. De toute l’architecture institutionnelle imaginée à Marrakech, c’est finalement le secrétariat général, basé à Rabat, mais dirigé par un Tunisien, Habib Ben Yahia, qui parvient, tant bien que mal, à entretenir un semblant de flamme maghrébine. Mais ses moyens et ses possibilités d’action sont limités.
Mauvais payeurs
Mis à disposition par le royaume, l’immeuble blanc qui l’abrite, rue Tensift, à deux pas de l’avenue de France, est une bâtisse sans grâce. Une salle d’attente et la loge du gardien occupent le rez-de-chaussée. Les quatre étages sont dédiés aux cinq directions que compte l’organisation : les affaires politiques, l’infrastructure, la sécurité alimentaire, les affaires économiques et les ressources humaines. Des couloirs, des bureaux, des salles de réunion, certaines meublées, d’autres pas encore. La décoration est assez sommaire. La plupart des murs sont blancs. Au sol, on peut apercevoir quelques cartons. « Nous venons de déménager, cela fait à peine quatre mois que nous avons quitté les locaux, plus exigus, de l’avenue Oqba », explique Zouheir Merchaoui, directeur des affaires politiques, de l’information et du cabinet. Ce diplomate tunisien est un peu la cheville ouvrière de l’organisation. En poste depuis une dizaine d’années, il a travaillé sous l’autorité des trois secrétaires généraux successifs. « Il y a encore pas mal de travaux à faire, la bibliothèque et les archives à aménager, mais nous sommes plus à l’aise pour recevoir, pour organiser des ateliers et des séminaires avec les experts extérieurs », poursuit Merchaoui.
Le secrétariat général est une structure légère aux effectifs réduits. Les fonctionnaires statutaires sont au nombre de 15 (3 par pays membre). Ils jouissent du statut diplomatique et sont payés en dollars. À ce noyau dur s’ajoutent les personnels contractuels, des experts le plus souvent, payés en dirhams convertibles, ainsi que les employés chargés de l’intendance, recrutés localement. Au total, 53 personnes. Le secrétariat général ne roule pas sur l’or. Son budget annuel est légèrement inférieur à 2,5 millions de dollars. Soit à peine le quart du salaire annuel d’un footballeur comme Thierry Henry. Les États membres émargent théoriquement au budget à parts égales. Moins riche et moins peuplée que ses partenaires, la Mauritanie, qui ne souhaitait pas être « un membre au rabais », a insisté sur ce point lors des négociations de Marrakech. Mais tous ne sont pas à jour de leurs cotisations. Qui sont les mauvais payeurs ? « Les pays les plus étendus géographiquement ne sont pas les plus vertueux », consentira à glisser un diplomate.
Avec le temps, les fonctionnaires de l’UMA ont appris à ménager les susceptibilités. À l’origine, il était prévu que le secrétariat général soit tournant et assumé par le pays exerçant la présidence de l’organisation. Cette « solution » s’étant révélée impraticable, les pays membres finirent par s’entendre sur une formule de compromis : le secrétariat général fut installé à Rabat et les Tunisiens reçurent le poste de secrétaire général, qu’ils confièrent au diplomate Mohamed Amamou. Les Algériens héritèrent du Conseil consultatif, le « Parlement » de l’Union, les Mauritaniens de l’Instance judiciaire, et les Libyens de l’Université et de l’Académie des sciences maghrébines. Le successeur d’Amamou, Habib Boularès, qui voulait renforcer le secrétariat général afin que l’UMA s’affranchisse, dans certains domaines, de la règle paralysante de l’unanimité, avait consigné des pistes de réformes dans un mémorandum transmis aux chefs d’État et aux ministres des Affaires étrangères en 2005. Près de quatre ans plus tard, ils n’ont toujours pas daigné réagir.
Intégration par étapes
Ancien ambassadeur au Japon et aux États-Unis, longtemps « sherpa » du président Ben Ali dans les réunions internationales, Habib Ben Yahia est un diplomate chevronné. Le dossier maghrébin, il le maîtrise parfaitement pour avoir été longtemps ministre des Affaires étrangères. En devenant, en février 2006, secrétaire général de l’UMA, après le départ, pour raison de santé, de Boularès, il est passé de l’autre côté du miroir. « Le rêve maghrébin a permis de coordonner les efforts de libération et a permis à nos cinq pays de prendre leur place comme États indépendants et souverains dans le concert des nations. Aujourd’hui, les défis ont changé de nature. Mais l’exigence de coopération et de solidarité demeure. Nous devons prendre notre place en tant qu’espace régional crédible et fort en ces temps de mondialisation. L’UMA est plus que jamais une nécessité. » À entendre cet unioniste convaincu, beaucoup des reproches adressés à l’organisation sont exagérés. « La philosophie de l’Union, telle qu’elle ressort du traité, est de nature intergouvernementale, explique-t-il. L’UMA est une Union d’États souverains, qui, ayant choisi une stratégie réaliste et graduelle, met l’accent sur une intégration par étapes, réaliste, basée sur des secteurs clés : l’économie, l’agriculture, les infrastructures. Les décisions se prennent par consensus. Notre travail consiste à mettre de l’huile dans les rouages, à consolider les intérêts communs, afin d’aider les pays membres à faire face aux défis transfrontaliers. » C’est un travail de coordination, d’harmonisation et de suivi, nécessaire, mais peu visible. C’est à travers l’UMA que les pays du Maghreb ont élaboré une stratégie efficace de lutte antiacridienne et qu’ils ont commencé, avec l’Observatoire du Sahara et du Sahel, à élaborer une réponse concertée au phénomène de la désertification.
Les chantiers ne manquent pas. « L’autoroute transmaghrébine, que nous préférons appeler la route de l’unité maghrébine, est un grand projet intégrateur, explique Abdelkader Bouchentouf, directeur des infrastructures. Son tracé de 7 300 kilomètres reliera Tobrouk à Nouakchott, mais la partie centrale de cet axe, qui va de Tripoli à Casablanca, aura des caractéristiques autoroutières. Beaucoup de tronçons sont déjà en service. Ce sont les États, en fonction de leurs priorités, qui financent les tronçons les concernant. Un chemin de fer transmaghrébin est aussi à l’étude pour diviser par deux le temps de trajet entre Casablanca et Tunis, actuellement de quarante-quatre heures… » Mais la fermeture de la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc limite pour l’instant la portée de ces ambitieux projets.
Après une période de gel, entre fin 1995 et 1999, l’UMA a connu un timide redémarrage, et la concertation, au niveau ministériel, s’est sensiblement améliorée. Mais l’Union est minée par le contentieux algéro-marocain. En privé, les Marocains expliquent que la politique de la main tendue ne mènera nulle part, car la génération actuellement au pouvoir en Algérie ne veut rien entendre. Les Algériens rétorquent que c’est le Maroc qui a pris l’initiative de demander le gel et qui a fermé le premier sa frontière. Et refusent de se désolidariser du Front Polisario. Le marché commun maghrébin, lui, attendra.
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