Tunisiens dans « la cage aux fauves »
Les clandestins marocains et algériens voient souvent leur rêve se briser en Andalousie. Les Tunisiens, eux, transitent volontiers par la petite île de Lampedusa, confetti italien de 20 km2, à 200 km des côtes siciliennes. Le 18 février, la perspective d’être reconduits dans leurs pays natals a poussé une vingtaine de harraga (« brûleurs de frontières ») à incendier les locaux du centre de rétention. D’autres ont tenté de forcer le portail de l’établissement qui, officiellement, « retient » quelque 900 clandestins promis à une expulsion rapide. Les affrontements avec les forces de l’ordre qui se sont ensuivis ont fait une soixantaine de blessés.
Le lendemain, un autre incendie criminel a été déclenché dans le centre de rétention de La Valette, la capitale maltaise, autre étape fréquente de la transhumance migratoire maghrébine. Environ 70 clandestins tunisiens ont mis le feu à leur matelas pour dénoncer la durée de leur séjour dans le centre, surnommé « la cage aux fauves ». Et pour cause : en raison du climat de violence qui y règne, les humanitaires eux-mêmes n’osent plus s’y aventurer. On ne déplore heureusement aucun blessé. À Malte, 2 800 clandestins ont été recensés l’année dernière – un record. Un chiffre à comparer avec la population totale du pays, l’un des plus petits de l’Union européenne : 400 000 habitants.
En Italie, c’est le changement, fin janvier, du statut du centre de rétention qui semble être à l’origine de la fronde des harraga. Jusque-là, Lampedusa n’était qu’une étape pour les clandestins, qui, après leur identification, étaient transférés sur le continent avant que la justice statue sur leur sort. Désormais, à l’initiative de Silvio Berlusconi, le président du Conseil, qui souhaite raccourcir les délais de procédure, le « centre de premier accueil » a été transformé en « centre d’expulsion ».
Déjà affligés d’un statut juridique très incertain de « retenus », les clandestins sont désormais à la merci d’une machine administrative peu soucieuse du respect des droits les plus élémentaires de la personne humaine. Un constat partagé par de nombreuses ONG, qui n’hésitent plus à comparer Lampedusa à Guantánamo. « Ces nouvelles dispositions ont brisé l’équilibre qui existait au centre d’accueil », explique le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). Pour sa défense, le gouvernement exhibe des statistiques : en 2008, près de 32 000 clandestins ont débarqué à Lampedusa, soit une augmentation de 75 % par rapport à l’année précédente.
« Il faut que les dirigeants africains et l’Union africaine se saisissent de ce dossier et dénoncent ce drame humanitaire », explique Jean-Léonard Touadi, député italien d’origine congolaise. De son côté, la Tunisie a annoncé qu’une délégation conduite par le président du Comité supérieur des droits de l’homme – lequel affirme « suivre avec préoccupation » ces événements – allait se rendre à Lampedusa. Ce comité proche du gouvernement craint des « répercussions sur les Tunisiens qui résident dans ces centres ». La Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH) dénonce pour sa part « les conditions inhumaines » de rétention des immigrés, appelle le gouvernement à « s’abstenir de faciliter les procédures d’expulsion » et stigmatise le « discours xénophobe des autorités italiennes ».
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