Kaing Guek Eav, alias « Douch »

Ex-chef tortionnaire khmer rouge

Publié le 23 février 2009 Lecture : 3 minutes.

Rarement procès aura connu autant d’écho. Sans doute parce que, à l’instar du nazi Adolf Eichmann ou de la multitude des « coupeurs » rwandais, le cas de Kaing Guek Eav, alias « Douch » (prononcer « Douït »), 66 ans, soulève à nouveau le problème de la « banalité du mal » que Hannah Arendt a su si bien décrire. Avec ses cheveux poivre et sel et ses fines lunettes, Douch a, il est vrai, une allure tout à fait « convenable ». Dans sa jeunesse, il a même été professeur de mathématiques. Et depuis son arrestation, en 1999, il passe beaucoup de temps à lire de la poésie. Un loisir qui l’absorbe un peu moins dorénavant.

Le 17 février, s’est ouverte à Phnom Penh l’audience inaugurale du Tribunal spécial pour les Khmers rouges, une instance hybride de justice cambodgienne et internationale devant laquelle Douch est le premier à comparaître. Directement impliqué dans au moins 20 000 exécutions sommaires, il doit répondre des chefs de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, torture et homicides. « Les ordres venaient d’en haut. Tous les prisonniers devaient être éliminés », s’est-il défendu, en février 2008, au cours d’un entretien au quotidien britannique The Independent. Une déclaration qui résume à elle seule l’horrible absurdité de la dictature instaurée par Pol Pot, mais qui n’apporte aucune réponse aux interrogations des survivants et des familles des victimes. Pourquoi les révolutionnaires maoïstes, soutenus par la Chine, ont-ils chassé des villes vers les campagnes, entre 1975 et 1979, près de 4 millions de personnes ? Et quel sens donner à la mort de 1,7 million d’entre elles (soit le quart de la population), exécutées à coups de bêchoir ou de bâton sur la nuque, torturées, décimées par les maladies et livrées à la famine ?

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Intermédiaire obligé entre les politiques et les Khmers rouges de base, Douch détient des clés pour mieux cerner les responsabilités au sein de l’appareil de répression de l’Angkar, l’« Organisation » khmère. De 1975 à 1979, il est en charge des interrogatoires au « S-21 », un lycée aménagé en centre de torture dans le quartier de Tuol Sleng, à Phnom Penh. Dans ce qui est aujourd’hui un « musée du génocide », Douch supervise la torture et la mise à mort de plus de 16 000 prisonniers adultes et enfants – dont 12 380 sont identifiés. Coups de bâton et de câble électrique, ingestion d’excréments, chocs électriques, asphyxie avec sacs plastique ou par immersion, brûlures de cigarettes, ongles arrachés… Tout cela et bien d’autres choses encore constituent pendant plus de trois ans le bréviaire de l’horreur du S-21.

Méthodique, Douch remplit son rôle avec zèle. Il recueille les « confessions », les annote soigneusement, établit des listes de « traîtres ». Si les aveux ne sont pas satisfaisants, il diligente de nouvelles « questions ». Aussi, pour abréger leurs souffrances, les suppliciés s’inventent des rôles d’espion du KGB, de la CIA ou des services secrets vietnamiens… Enfin, les « coupables » devenus « inutiles » sont nuitamment exécutés dans les « champs de mise à mort », au sud-ouest de Phnom Penh. Au final, seuls quatorze prisonniers réchapperont de Tuol Sleng, « le lieu dont on ne revient pas ».

Douch est pourtant loin d’être un sadique. « Il s’agit d’un homme méticuleux, consciencieux, soucieux du détail et attentif à être bien considéré par ses supérieurs », précise l’expertise psychologique ordonnée par les juges. On ne trouve aucune « pathologie mentale » chez lui. Comment donc, de simple professeur de mathématiques, peut-on devenir l’un des pires bourreaux de son peuple ? L’instruction offre deux pistes de réponse. D’abord, Douch aurait « ressenti une humiliation en prenant conscience de la situation sociale de sa famille, en particulier face aux demandes implacables d’un oncle usurier ». Mais c’est l’influence de l’un de ses anciens professeurs qui se révélera déterminante. En 1970, il rejoint dans le maquis son mentor Son Sen, futur ministre de la Défense. Douch dirige alors son premier camp de prisonniers, le M-13 où, déjà, se mettent en place tous les ressorts du futur génocide : obsession de l’ennemi, paranoïa… « Je suis vraiment désolé pour les tueries et le passé : je voulais être un bon communiste et ne prenais aucun plaisir dans mon travail », a confié Douch au journaliste Nic Dunlop, qui l’a retrouvé en 1999, quelques années après sa conversion au christianisme. Aujourd’hui, il se dit prêt à « rendre compte de [ses] actes » et à demander le « pardon » des victimes. Reste à savoir si elles pourront le lui accorder…

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