Les pirates et le « coffre-fort »
Des hommes en armes venus de la mer ont, dans la nuit du 16 au 17 février, pris pour cible – en vain – la présidence de la République. La piste crapuleuse est la plus vraisemblable.
C’est une scène digne de The Wonga Coup (« Un coup pour un tas de fric »), le livre d’Adam Roberts, que les habitants de Malabo, capitale de la Guinée équatoriale, sur l’île de Bioko, ont vécu dans la nuit du 16 au 17 février.
Vers 3 h 30 du matin, une quarantaine d’hommes armés, visage cagoulé pour les uns, dissimulé derrière de simples foulards pour les autres, arrivent par la mer à bord de deux embarcations motorisées et se postent à l’entrée du port. De là, ils pointent leurs fusils-mitrailleurs vers la gauche et déclenchent un déluge de feu. Leur cible ? Le palais de la présidence de la République. L’édifice est situé à une dizaine de mètres au-dessus de la baie, tout près de la place El Golpe de la Libertad (« Le coup de la liberté »), point stratégique où se trouve également le palais du gouvernement.
Chargés de défendre les lieux 24 heures sur 24, les hommes des Forces de la sécurité présidentielle ripostent aussitôt. Selon plusieurs témoins, les tirs « très nourris » vont durer plus de trois heures. « Les combats se sont arrêtés vers 7 heures du matin », confirme Jeronimo Osa Osa Ekoro, ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement.
Tandis que leurs complices continuent de mitrailler le palais, une vingtaine d’hommes à bord de l’une des deux embarcations parviennent à accoster dans le port et tentent de gagner la présidence à travers une zone boisée. L’attaque est repoussée par les forces gouvernementales, notamment les hommes du Bataillon d’intervention rapide, un corps d’élite, qui dispose d’un char et d’automitrailleuses.
Touché, coulé
Pendant ce temps-là, une roquette lancée depuis la route qui ceinture la présidence atteint l’une des embarcations amarrées dans la baie, tuant plusieurs de ses passagers. Le bateau coulera quelques heures plus tard. L’autre navire est abandonné dans l’enceinte du port, où quinze hommes au total sont arrêtés.
La durée des combats témoigne de la violence de l’attaque. Le bilan des pertes est pourtant – relativement – modeste. Un assaillant présenté comme le chef du commando a été tué. « D’autres sont morts sur l’embarcation qui a explosé, mais, pour l’instant, nous ignorons leur nombre », explique Osa Osa Ekoro. Du côté des forces équato-guinéennes, on recense un mort et plusieurs blessés soignés à l’hôpital central de la capitale. De même, les dégâts matériels sont limités. Un remorqueur et deux bâtiments mouillant dans le port portent des impacts de balles…
Connaissant parfaitement les lieux, les assaillants étaient en outre informés de l’absence du président Obiang Nguema Mbasogo. Ils ont à la fois démontré une rare audace et… un manque flagrant de professionnalisme. « Ils n’étaient pas en tenue militaire, raconte un officier de police, sous le couvert de l’anonymat. Certains étaient chaussés de tongs et portaient des ceintures d’explosifs manifestement artisanales. » En revanche, pour ce chef d’entreprise qui a assisté à toute l’opération depuis son domicile : « Tous les hommes n’ont pas débarqué, comme s’ils voulaient d’abord tester la réaction et la résistance des forces gouvernementales. »
« Saboteurs »
Même si le palais présidentiel a été pris pour cible, les autorités ont rapidement démenti la thèse d’un coup d’État planifié et dénoncé des « saboteurs » venus du Delta du Niger. Le Mend, l’un des mouvements rebelles opérant dans la région, nie toute implication. Mais la nationalité nigériane de plusieurs prisonniers interrogés par les militaires tend à accréditer cette thèse. À en croire les autorités, le chef présumé du commando avait sur lui plusieurs billets de banque libellés en nairas. « Il faudrait être très naïf pour croire que l’on peut prendre ainsi d’assaut l’endroit le mieux gardé du pays », commente un ambassadeur.
Dans la matinée du 17 février, Malabo ressemblait à une ville morte, mais, dès le début de l’après-midi, la vie a repris son cours. Hormis les banques et les administrations, aucun site sensible n’a été fermé. Pas même l’aéroport. « Tous les vols ont été assurés, y compris celui d’Air France, qui a décollé le soir même », explique Sylvain Chauvet, directeur de l’hôtel Sofitel, qui ne déplore que « quelques impacts de balles » sur la façade de son établissement.
Le chef de l’État, qui se trouvait depuis le 9 février à Bata, la deuxième ville du pays, n’a pas modifié son programme. En revanche, des barrages étaient toujours visibles dans la capitale plusieurs jours après l’attaque, les militaires recherchant des hommes qui auraient pu se réfugier en ville et se fondre dans la population. Durant la soirée du 19 février, le chef de l’État a, dans un message télévisé, promis une récompense à toute personne qui aiderait à les capturer ou fournirait des informations sur d’éventuelles complicités intérieures.
Reste à savoir pourquoi la présidence a été frappée si l’opération n’avait pas pour but de renverser l’homme le plus puissant de la sous-région. L’hypothèse crapuleuse semble la plus vraisemblable.
Elle a été renforcée par la condamnation de l’attaque par le gouvernement espagnol dans un communiqué exprimant ses inquiétudes concernant la recrudescence de la violence dans le golfe de Guinée et appelant à appuyer les efforts des États de la région pour y faire échec.
Avec un produit intérieur brut par habitant supérieur à 16 000 dollars en 2007, la richesse de la Guinée équatoriale en fait rêver plus d’un. Depuis une dizaine d’années, ce petit eldorado attise les convoitises et alimente une criminalité venue des pays voisins. Bref, les pirates auraient pris le palais présidentiel pour un coffre-fort !
Mode opératoire
Ces dernières années, le troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne (derrière l’Angola et le Nigeria) a connu plusieurs événements de ce type. Le mode opératoire des assaillants rappelle d’ailleurs celui utilisé, en décembre 2007, par une dizaine d’hommes armés venus, eux aussi, par la mer et à l’aube pour dévaliser deux banques de Bata.
Considéré par beaucoup comme le symbole doré du nouvel « émirat » équato-guinéen, la présidence constitue une cible d’autant plus tentante qu’Obiang Nguema passe pour l’un des principaux décisionnaires du pays en matière financière. Coïncidence ? Cet assaut intervient quelques jours après la diffusion d’une information, qui s’est révélée fausse, concernant le vol au domicile du chef de l’État de plus de 6 millions d’euros (4 milliards de F CFA) en argent et en objets de valeur par deux ex-employés du palais présidentiel.
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