Dîner d’adieu

Publié le 23 février 2009 Lecture : 2 minutes.

Albert Cohen n’aurait manqué cela pour rien au monde. L’immense auteur de Belle du Seigneur, qui sut dépeindre comme nul autre l’ennui compassé et la vachardise surannée des diplomates, aurait fait son miel de l’atmosphère lugubre qui régnait ce soir-là Rue Monsieur à Paris. L’actuel titulaire du ministère de la Coopération, Alain Joyandet, avait invité le 18 février tous ses prédécesseurs encore en vie pour un dîner d’adieu à l’hôtel Montesquiou-Fezensac, siège de la France coloniale (puis néocoloniale) depuis… 71 ans. Dans une semaine, la « Coopé » aura définitivement déserté ce bâtiment du XVIIIe siècle pour rejoindre un immeuble high-tech rue de la Convention, dans le 15e arrondissement.

Alors, au milieu des cartons et du mobilier emballé, entre deux enfilades de murs dénudés, ils sont tous venus, ou presque. Seuls quatre ou cinq ex-titulaires (sur quinze), dont Charles Josselin en voyage au Maroc et Christian Nucci, indésirable en ces lieux depuis le scandale du « Carrefour du développement », manquaient à l’appel. Doyen blanchi sous le harnais, Robert Galley, 88 ans, qui vécut ici le couronnement de Bokassa, le parachutage de la légion sur Kolwezi et la démission de Senghor, errait le sourire aux lèvres. Un peu plus loin, Jean-Pierre Cot, qui eut un jour le tort de confondre sa feuille de route avec le rapport annuel d’Amnesty International, confiait sur l’air de « Non, non, rien n’a changé » que « le gros défaut des chefs d’État africains est toujours le même : ils se croient immortels ». À l’écart, l’air un peu gêné d’être là, mais visiblement approbateur des propos de son aîné socialiste, Jean-Marie Bockel, dernière victime en date des complots du village, lâchait dans un souffle : « Ce fut pour moi une expérience très instructive. » Comme pour le rassurer, son collègue Xavier Darcos, qui passait par là, ajoutait : « S’il est un ministère où l’on est sûr de ne pas rester, c’est celui-là. » Mais la phrase de la soirée, il revenait naturellement à l’hôte, Alain Joyandet, le soin de la prononcer. Je vous la livre telle quelle et n’y voyez surtout pas malice : « Lorsqu’on s’occupe des pauvres, on n’a peut-être pas besoin de le faire à partir d’un hôtel particulier luxueux, dans un quartier chic de Paris. » C.Q.F.D.

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Vendu pour 142 millions d’euros à un oligarque russe – après que Jacques Chirac eut mis, on se demande pourquoi, son veto à une offre de l’agence chinoise de coopération qui voulait y installer ses locaux –, le temple de la Françafrique va être reconverti en résidence hôtelière de grand standing. Les nostalgiques du pré carré, de « Mamadou et Bineta » et de Bob l’affreux, les inconsolables des cuisines faisandées du couple franco-africain et tous les incurables du casque colonial pourront toujours venir y passer la nuit. Pourvu qu’on n’y ait pas enterré les gris-gris de Foccart !

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