Le Katanga à coeur ouvert

Pour son nouveau documentaire, Katanga Business, le Belge Thierry Michel a braqué sa caméra sur cette province congolaise riche en minerais. Et retrace la guerre que se livrent multinationales occidentales et opérateurs chinois sur fond de violence sociale.

Publié le 18 février 2009 Lecture : 6 minutes.

Après Mobutu, roi du Zaïre et Congo River, le réalisateur belge Thierry Michel poursuit son exploration du cœur de l’Afrique. Cette fois, c’est sur le Katanga, province congolaise riche en minerais, qu’il a braqué sa caméra pour mettre en image la nouvelle révolution industrielle qui est en train de se jouer autour du sous-sol africain.

Thriller économique d’un nouveau genre, Katanga Business illustre l’appétit des multinationales et son inévitable corollaire, la violence sociale qu’il suscite. Entre petits creuseurs clandestins qui meurent ensevelis sous les éboulements et fonds de pension américains, c’est une véritable guerre qui se joue autour de Lubumbashi. Un affrontement sans merci que l’arrivée des opérateurs chinois, et leur inextinguible soif de matières premières, rend encore plus complexe.

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Hommes politiques, capitaines d’industrie, ingénieurs, nouveaux colons, mineurs artisanaux ou travailleurs salariés sont les acteurs de cette parabole sur la mondialisation, qui nous rappelle que, près de cinquante ans après l’indépendance du Congo, ce pays reste encore un véritable scandale géologique. Le film sortira en Belgique le 1er avril et en France le 15 avril prochain, mais il sera projeté en avant-première au Fespaco, qui s’ouvre le 28 février à Ouagadougou.

Jeune Afrique : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux mines du Katanga ?

Thierry Michel : Je suis né à Charleroi, dans une région minière surnommée le Pays noir. C’est là que j’ai tourné mon premier film. Le monde industriel ne m’est pas étranger, et j’ai projeté de lui consacrer un documentaire dès ma première rencontre avec l’Afrique noire. Lorsque j’ai tourné Congo River, j’ai traversé le Katanga et j’ai alors jugé que cette province grande comme la France méritait un sujet en soi. D’autant qu’elle est immensément riche en minerais parfois stratégiques, comme le cuivre, le cobalt ou l’uranium…

Ce film a-t-il été long à réaliser ?

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Je souhaitais travailler sur la durée pour suivre une province en évolution et assister aux moments clés de sa transformation. Je m’y suis donc rendu à cinq reprises entre juillet 2006 et avril 2008. Je voulais filmer un processus, depuis la fermeture des exploitations clandestines jusqu’à l’amorce de la recapitalisation des compagnies et les fusions industrielles. Sans oublier la situation des creuseurs chassés des concessions qu’ils occupaient illégalement.

Avez-vous été bien accueilli partout ?

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J’avais des informateurs dans les milieux des creuseurs et des syndicats. Mais le plus difficile a été de s’introduire dans les milieux patronaux pour aller au cœur des multinationales du cuivre, de la Gécamines (ex-Union minière du Katanga) et gagner la confiance de son PDG. Il fallait entrer dans l’intimité du gouverneur, pénétrer chez lui, le suivre au Conseil des ministres, au conseil d’administration de la Gécamines. Bref, là où l’on ne souhaite pas trop voir de caméras.

Chacun tente de se montrer sous un angle avantageux…

Bien sûr, chacun veut donner de lui une image positive. C’est au cinéaste de débusquer ses personnages, de montrer leurs forces et leurs faiblesses, leur perversité et leur grandeur.

Après le Cycle du serpent, un film très politique, Mobutu, très historique, Congo River, à la fois mythique et contemplatif, on change totalement de registre. Avez-vous filmé différemment ?

Oui, car j’étais dans une démarche d’investigation journalistique. Même si le but est identique : raconter une histoire cinématographique, avec des personnages en conflit, sur fond de guerre économique entre multinationales et d’affrontement géopolitique entre les grandes puissances occidentales et la Chine… Sans oublier la guerre sociale, avec son coût humain : ces dizaines de milliers de Congolais qui survivent en grattant la terre avec une pelle et une pioche, et qui sont condamnés à être expulsés de la terre de leurs ancêtres pour aller grossir les rangs des chômeurs.

Et le politique, dans tout ça ?

C’est un peu la clé de voûte de cet ensemble, incarné par un homme particulièrement charismatique, brillant, populiste, qui est le gouverneur de la province, Moïse Katumbi Chapwe. C’est à la fois Berlusconi et Chávez. Berlusconi parce que c’est un homme d’affaires brillant qui s’est lancé en politique avec le désir de gérer l’État comme une entreprise… Et Chávez parce qu’il est adulé par la population qui l’a élu triomphalement et qui voit en lui le garant de ses intérêts. Il est une soupape de sécurité dans cette révolution industrielle, dont il est aussi l’acteur principal.

Avec toutes les limites que sa fonction lui impose, face aux multinationales notamment…

Et face à l’État central, où il a ses ennemis. Mais il faut reconnaître que Katumbi est un acteur central. Il est le gouverneur de la province la plus riche du pays… Mais il a joué le jeu avec une certaine transparence.

La chute des cours des produits miniers remet-elle en cause cette mutation du Katanga ?

Non, ça montre seulement que la RD Congo est prise dans les enjeux de la finance internationale. Elle est devenue un lieu de spéculation, coincée entre des espoirs et les revers de la mondialisation. Elle en paie le prix fort.

Creuseurs clandestins, patrons belges paternalistes, fonds de pension américains, prospecteurs chinois indélicats… On est frappé par le nombre d’acteurs qui convoitent le cuivre katangais.

On côtoie, d’une part, les damnés de la terre que sont les creuseurs qui risquent leur vie pour nourrir leur famille ou encore les salariés qui tentent de s’organiser pour défendre leurs emplois… Et, d’autre part, ces patrons venus des quatre coins du monde. On rencontre en effet différents types d’exploitants, avec, in fine, le représentant du capitalisme d’État chinois qui vient signer le contrat du siècle avec la Gécamines. Avec, dans ses cartons, un véritable plan Mar-shall pour construire des routes, des écoles et des infrastructures…

Comment les Chinois sont-ils perçus ?

Tout le monde sait que les opérateurs chinois ne sont pas soumis aux règles des multinationales cotées en Bourse, qui sont obligées de respecter un minimum de droits sociaux et de règles de sécurité. Les Chinois n’ont certes pas cette préoccupation, mais ils partagent la vie des travailleurs congolais. Ils ont adopté un mode de travail et de discipline qui leur est propre, mais je n’ai pas eu l’impression que cela se passe mal. Il semble finalement plus difficile d’assimiler les méthodes de travail anglo-saxonnes.

La RD Congo a-t-elle intérêt à travailler avec les Chinois ?

Je ne suis pas venu pour faire le procès de la Chine en Afrique, mais pour essayer de comprendre comment se joue l’économie mondiale sur un territoire africain qui regorge de richesses minières. Il faut tenir compte de la situation générale. Le continent africain a besoin de capitaux. La nationalisation faite par Mobutu s’est concrétisée par la mauvaise gestion, la prédation, la banqueroute… bref, le naufrage complet de la Gécamines. Pour que cette province renaisse, il faut changer de scénario et faire appel soit à la capitalisation boursière, soit à la capitalisation d’État, c’est-à-dire à la Chine. Voilà les deux options possibles. A priori, il n’y en a pas d’autres.

Dans tous les cas, les creuseurs et les employés des mines risquent de se retrouver au chômage…

Oui, mais il existe néanmoins une revendication sociale. Au Katanga, il y a une véritable société civile, qui se met en grève, qui se révolte, qui interpelle le pouvoir politique. La conscience de classes existe. Dans toute révolution industrielle, qu’elle se déroule en Afrique ou en Europe, on traverse une période transitoire où l’on quitte la survie par l’informel, pour aller vers l’industrialisation, avec la crise sociale que cela implique.

Au bout de deux heures, on a presque oublié Kinshasa…

Le Katanga est un État dans l’État. Avec une culture propre qui se démarque du reste du pays. Les Katangais savent que leur province dispose des ressources dont Kinshasa a besoin alors qu’eux n’ont pas besoin de Kin­shasa. On surfe toujours un peu sur les relents sécessionnistes, mais c’est un jeu, une sorte de chantage.

Après quatre documentaires sur le Congo, en revenez-vous plus optimiste ?

Oui, mais il faut préciser que je n’ai pas visité les mêmes régions. Le Katanga a été totalement épargné par les dernières guerres et son potentiel est quasi intact. Il existe aujourd’hui un Congo à géométrie variable.

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