Dominique Lafont « La crise favorisera les plus solides »

Le directeur général Afrique du groupe Bolloré, conforté sur le continent avec la concession du port de Pointe-Noire au Congo, vise en priorité l’Angola, le Nigeria et l’Afrique du Sud.

Publié le 18 février 2009 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Le 23 décembre dernier, vous avez signé la concession du port à conteneurs de Pointe-Noire, au Congo. Ce marché signe-t-il le retour de Bolloré en Afrique ?

Dominique Lafont : Pas du tout ! Il n’y a pas de retour, car il n’y a jamais eu de départ. En 2007, nous avons gagné tous les appels d’offres de projets logistiques en Afrique. Depuis plusieurs années, nos parts de marché augmentent et la croissance de notre chiffre d’affaires est supérieure à la progression du marché. Nous sommes présents dans 41 pays et nous comptons nous implanter en Algérie, par exemple. L’Égypte est le seul grand pays du continent où nous ne sommes pas présents.

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Mais tout le monde a en mémoire votre échec à Dakar, en 2007, que vous a soufflé DP World…

La perte de Dakar a été un coup rude affectivement. Mais pour nous, c’est un accident conjoncturel qui coïncidait avec la vente de Delmas, en 2006, et l’arrivée de DP World dans les pays africains. Mais en termes d’objectifs, il valait mieux gagner Pointe-Noire, qui dessert un bassin économique et de population beaucoup plus important. Par ailleurs, nous sommes à Abidjan. Ce port est classé numéro un africain en matière de productivité et il s’applique à redevenir la locomotive économique de la région. Et nous sommes également présents à Lagos, Tema, Douala et Libreville.

Quels sont vos objectifs à Pointe-Noire ?

Nous voulons à la fois développer l’activité hub de transbordement, idéale pour desservir les ports du golfe de Guinée, ainsi que celle du port proprement dit, qui est une porte ouverte sur l’Afrique centrale, jusqu’au nord du Congo pour atteindre Bangui en Centrafrique et jusqu’à desservir le nord de la République démocratique du Congo, Kinshasa et l’enclave de Cabinda. Notre offre, un investissement de 570 millions d’euros sur toute la durée de la concession de vingt-sept ans, vise à faire de Pointe-Noire un port en eau profonde de référence d’Afrique centrale. Nous voulons multiplier les volumes traités par cinq en dix ans. Nous allons offrir 1 500 mètres linéaires de quai avec 15 mètres de tirant d’eau. Ce sera le premier port pour des navires en provenance d’Asie à offrir une perspective de traitement de plus de 1 million de conteneurs.

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Mènerez-vous ce projet seul ?

Pour donner un maximum de chance à Pointe-Noire, nous souhaitons ouvrir le capital à d’autres, comme Maersk ou CMA-CGM. Peu nous importe d’être majoritaires. Ce qui compte, c’est demeurer l’actionnaire.

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Quel bilan tirez-vous de votre activité 2008 ?

C’est une année très satisfaisante. Notre activité s’est accrue de l’ordre de 17 %. Notre chiffre d’affaires aura été de l’ordre de 1,6 milliard d’euros. Comme au cours des trois années précédentes, nous avons enregistré une croissance à deux chiffres pour l’ensemble des secteurs et des activités. Il n’y a pas eu de pays à la traîne.

Pouvez-vous être plus précis ?

Nous avons réalisé près de 40 % de notre chiffre d’affaires en Afrique non CFA. Notre clientèle est largement chinoise et anglo-saxonne alors que la plupart de nos concessions portuaires sont dans l’Afrique CFA. Ce qui signifie que notre activité logistique équilibre largement les activités portuaires. Depuis cinq ou six ans, nous voulons rattraper notre retard dans les piliers non CFA de l’Afrique de demain : Angola, Nigeria et Afrique du Sud.

Qui sont vos clients ?

Nous avons des milliers de clients dans des activités très diversifiées, de la PME aux traders de café ou de cacao en passant par de grands groupes internationaux comme les équipementiers de télécommunications chinois Huawei et ZTE. Notre premier client est l’armateur CMA-CGM, il représente 10 % de notre chiffre d’affaires. Le deuxième est Maersk avec 2 % ou 3 %. Contrairement à une idée reçue, aucun autre grand compte ne représente plus de 2 % de notre activité sur le continent.

Comment se profile 2009 ?

Nous investirons environ 200 millions d’euros, plus qu’en 2008. Notre effort d’investissement continuera de croître en 2010. Malgré tout, il convient d’être prudent. La crise va entraîner un tassement des importations et des exportations. Nous notons une raréfaction des projets dans le domaine logistique. En 2006 et 2007, nous travaillions sur une quinzaine de projets à la fois, contre cinq aujourd’hui. Premier opérateur logistique du continent, nous devrions enregistrer un tassement de notre croissance en 2009, mais nos parts de marché devraient augmenter.

Quels sont les appels d’offres qui vous intéressent en 2009 ?

Nous serons candidat à celui de Conakry quand il sera relancé. Nous sommes aussi intéressés par le terminal de Casablanca ou la partie conteneurs du port de Mombasa, au Kenya. Ce pays cumule deux des trois atouts que nous recherchons : un potentiel démographique et de croissance. Il nous manque l’appui portuaire, même si nous l’avons un peu avec le port sec voisin de Dar es-Salaam, en Tanzanie, sur le corridor vers l’Ouganda, le Burundi et l’Afrique des Grands Lacs.

Pourquoi, à la différence de certains de vos concurrents, cet attrait pour les corridors ?

Les corridors multimodaux sont un atout fondamental dans la gestion portuaire. Nous sommes convaincus que pour des concessions de vingt à trente ans, comme c’est le cas avec Pointe-Noire, c’est un appui stratégique en profondeur qui fera la différence à terme. Mais cela demande beaucoup d’investissements, d’énergie et représente une marge très chèrement gagnée.

C’est ce qui a justifié le lancement de la marque Bolloré Africa Logistics ?

Nos métiers sont en effet de plus en plus des métiers de réseaux qui nous permettent de gagner des parts de marché. À travers la marque Bolloré Africa Logistics, nous proposons une large palette de prestations : manutention portuaire, consignation de navires, transit, entreposage, transport terrestre… C’est ce qui nous a permis des croissances à deux chiffres depuis trois ans. Bolloré Africa Logistics rend les différentes activités logistiques du groupe plus visibles en Afrique.

Qui sont vos concurrents ?

Dans le domaine portuaire, on retient Maersk, MSC, Hutchinson, PSA, DP World, tous de grands opérateurs portuaires. Dans l’aérien, il y a DHL. Et en gestion de projets, on compte Panalpina, UTI, et beaucoup d’acteurs locaux. Si nous avons vu arriver ces dernières années une nouvelle concurrence enthousiaste et pleine de promesses, il faudra voir comment elle réagira dans les mois à venir. Je ne serais pas étonné que nos parts de marché augmentent avec la crise, qui favorisera les opérateurs les plus solides.

Où en sont vos démêlés judiciaires avec votre concurrent Progosa ?

Ils font de la désinformation et de la diffamation contre nous partout. Nous comparer à eux, c’est n’avoir jamais mis les pieds en Afrique.

[Il ne s’exprimera pas davantage sur le sujet.]

Le Maghreb est l’un de vos points faibles. Comment souhaitez-vous y remédier ?

Nous voulons nous renforcer au Maroc. Nous étudions toutes les opportunités comme la privatisation de l’un des terminaux de Casa. Quant à Tanger, à vocation de transbordement uniquement, nous sommes moins bien placés que les armateurs. Mais si nous n’étions pas au rendez-vous de l’ouverture du Maroc aux capitaux privés, la situation est toute différente avec l’Algérie. D’ailleurs, les négociations viennent de reprendre pour le port sec de Skikda.

Mais c’est encore DP World qui a remporté l’exploitation des ports à conteneurs d’Alger et de Djen-Djen…

À notre connaissance, il n’y a pas eu d’appel d’offres et, en tout état de cause, nous n’avons pas concouru. Avant Alger, DP World s’est surtout intéressé à des ports africains de moyenne importance plutôt qu’à des grands ports. Ce qui nous a étonnés.  

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