De la Révolution aux élections
Trente ans après le retour de l’ayatollah Khomeiny, le régime des mollahs a résisté à l’usure du temps. Mais il ne peut s’offrir le luxe d’ignorer l’attitude plus conciliante de Washington.
Le 2 février 2009. C’est une date en forme de symbole qu’ont choisie les autorités de Téhéran pour lancer Omid (« espoir » en farsi), le tout premier satellite de fabrication 100 % iranienne. L’engin, emporté par une fusée de type Safir 2, version améliorée du missile balistique Shahab-3, a rejoint l’orbite géostationnaire au lendemain des festivités marquant le 30e anniversaire du retour d’exil de l’ayatollah Khomeiny, le 1er février 1979, et du début du processus révolutionnaire qui allait, onze jours plus tard, déboucher sur l’instauration de la République islamique. Omid, au même titre que la poursuite du programme nucléaire, matérialise les ambitions technologiques du régime des mollahs. Les Américains ne s’y sont pas trompés : dès le lendemain, Robert Gibbs, le tout nouveau porte-parole de la Maison Blanche, a affirmé que les États-Unis « utiliseront tous les éléments de leur puissance nationale pour faire face aux défis posés par l’Iran ». Une déclaration tranchant avec le ton conciliant adopté par Washington à l’égard de Téhéran depuis l’investiture de Barack Obama. Et qui montre que le « dialogue stratégique » entre les États-Unis et l’Iran, s’il prend forme, ressemblera à tout sauf à une partie de plaisir…
« Liberté, indépendance, République islamique »
C’est que les Américains commencent à peine à comprendre le sens profond de la révolution de 1979. C’est aux cris de « Liberté, indépendance, République islamique » que Khomeiny a été accueilli à sa descente d’avion. Le renversement de la monarchie pro-occidentale des Pahlavis s’est soldé, sur le plan intérieur, par le triomphe du principe théocratique. Mais la Révolution a aussi et peut-être surtout permis aux Iraniens de régler leurs comptes avec les grandes puissances, responsables de l’humiliation de leur pays tout au long du XXe siècle : la Grande-Bretagne, la Russie et les États-Unis. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de l’interminable prise d’otages des diplomates américains (novembre 1979-janvier 1981), à l’origine de la rupture de toute relation entre les deux pays. Malgré des dogmes aujourd’hui désuets et des slogans qui ne mobilisent plus personne, malgré le chômage de masse, l’inflation galopante, la persistance d’inégalités sociales terribles, malgré la corruption, malgré l’aspiration d’une frange croissante de la jeunesse à plus de libertés, politiques et individuelles, la Révolution a résisté à l’usure du temps. Elle le doit d’abord au nationalisme farouche de ses enfants.
L’Iran ne courbera plus l’échine, et son gouvernement ne prendra plus ses ordres à Londres, Moscou ou Washington : ce credo, qui était celui de Khomeiny, a été repris à son compte par son successeur, Ali Khamenei, et par tous les responsables du régime iranien, des ultraconservateurs aux réformateurs, en passant par les pragmatiques. Mais doivent-ils pour autant s’enfermer dans la rhétorique de la confrontation qui a prévalu depuis l’accession à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad en 2005 ? La question est aujourd’hui posée. Elle sera au cœur de la campagne pour la présidentielle de juin 2009, qui verra une fois de plus s’affronter conservateurs et réformateurs. Réticent mais résigné, Mohammad Khatami, l’ancien président, a mis fin au suspense en annonçant, le 8 février, qu’il serait candidat. Les sondages informels le créditent d’une avance confortable sur son probable futur adversaire, Ahmadinejad. Khatami n’a pas pris sa décision de gaieté de cœur. Il garde un souvenir plus que mitigé de son passage à la présidence entre 1997 et 2005. L’obstruction des « ultras », qui avaient conservé un contrôle total sur la justice et les services de sécurité, l’a empêché de mettre en œuvre son programme de libéralisation graduelle du régime. Essuyant camouflet sur camouflet, il avait assisté, impuissant, à l’assassinat de certains de ses partisans et à l’invalidation des candidatures de la plupart de ses proches aux législatives de 2004.
Moussavi se défile
Déçus par sa pusillanimité, les électeurs avaient fini par lui tourner le dos pour se réfugier dans l’abstention, permettant l’élection d’un Parlement acquis aux conservateurs. Mais le bilan calamiteux de son successeur, l’exalté mais inexpérimenté Ahmadinejad, le risque, aussi, qu’une réélection de celui-ci ne compromette définitivement la possibilité pour le régime islamique d’être enfin accepté sur la scène internationale, ont fini par avoir raison de ses hésitations. Le « Sayyed » Khatami espérait que Mir-Hossein Moussavi, Premier ministre dans les années 1980, pendant la guerre Iran-Irak, et figure de la Révolution, puisse défendre à sa place les chances des réformateurs face à Ahmadinejad. Mais l’intéressé s’est finalement défilé. Khatami a beaucoup consulté avant de se jeter à l’eau, et aurait reçu l’assurance de Khamenei qu’il « n’interférerai[t] pas » dans l’élection présidentielle. Sa victoire ne changera peut-être pas le cours des choses, car le véritable décideur, en Iran, reste le Guide, mais elle aurait une valeur symbolique considérable. Surtout s’il l’emportait au détriment d’Ahmadinejad…
Car les Iraniens, qui aspirent avant tout à la reconnaissance de leur rôle de puissance régionale, ne peuvent se permettre d’ignorer que, pour la première fois depuis pratiquement trois décennies, les lignes semblent bouger à Washington. L’administration Obama a en effet multiplié les signaux en direction de Téhéran. Dans une interview à la chaîne arabe Al-Arabiya, le 26 janvier, Barack Obama a parlé des Iraniens comme d’un « grand peuple » et de la Perse comme d’une « grande civilisation ». Joe Biden, son vice-président, a déclaré, lors de son premier grand discours de politique étrangère, le 7 février, à Munich, à l’occasion de la conférence euro-atlantique sur les questions de sécurité, que l’Iran pourrait recevoir d’importantes contreparties s’il « changeait de cap ». Les États-Unis ne sont plus hostiles à l’idée d’un « grand marchandage » avec Téhéran : normalisation des relations, levée des sanctions économiques et garantie de non-agression en échange du gel du programme nucléaire et de l’arrêt du soutien au Hamas et au Hezbollah. La nouveauté consiste moins dans le pack, dont les contours sont connus depuis longtemps, que dans l’attitude, jugée plus convenable, moins arrogante, des responsables américains. Et surtout, dans l’abandon d’une condition perçue à Téhéran comme un diktat et qui avait constitué la pierre d’achoppement des pourparlers avec l’administration Bush : l’arrêt immédiat du processus d’enrichissement de l’uranium.
Khamenei au-dessus de la mêlée
Reste, pour Washington, une difficulté majeure : à qui tendre la main ? Les officiels américains préféreraient éviter tout contact direct avec Ahmadinejad. S’adresser directement au Guide, en lui faisant remettre une lettre, est une option séduisante, mais risquée. Ce serait assurément un geste fort. Cependant, Khamenei, qui se complaît dans son rôle d’arbitre, ne souhaite peut-être pas apparaître trop tôt en première ligne. Il ne veut pas découvrir son jeu et voudrait conserver plusieurs fers au feu. Ignorer ostensiblement la présidence comporte un autre danger : celui de braquer un peu plus son imprévisible locataire, qui jouit toujours de solides appuis dans le corps des gardiens de la Révolution, les pasdarans. Celui-ci aurait beau jeu d’expliquer que ce n’est pas aux Américains de choisir leur interlocuteur. Au final, l’opération pourrait nuire… à Khatami, qui passerait du coup pour l’homme de Washington ! Enfin, temporiser jusqu’à l’élection de juin n’est pas forcément la moins pire des solutions. Car si d’aventure Khatami n’était pas élu, les Américains se retrouveraient alors dans une posture très délicate. Et Obama a de toute façon dit qu’il irait vite et promis de s’adresser aux musulmans dans les cent jours suivant son investiture : personne ne comprendrait que son discours fondateur fasse l’impasse sur une question aussi cruciale que les rapports avec l’Iran. Joli casse-tête en perspective pour le président « élu ».
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