Comment Faure gouverne

Avec l’aide des bailleurs de fonds, le pouvoir s’attache à relancer l’économie. En revanche, la réconciliation nationale initiée par l’Accord politique signé à Ouagadougou en 2006 s’avère plus laborieuse.

Publié le 17 février 2009 Lecture : 6 minutes.

« Aucune élection ne justifie que l’on perde la vie. » À l’approche de la présidentielle de 2010, le message que le président togolais, Faure Essozimna Gnassingbé, délivre à ses invités est loin d’être anodin. Les violences postélectorales ont émaillé l’histoire du Togo. Loin d’avoir échappé à cette règle, son élection contestée à la tête du pays, le 24 avril 2005, deux mois après le décès de son père, Gnassingbé Eyadéma, s’était soldée par plus de 400 morts, selon l’ONU, et la fuite de milliers de personnes à l’étranger.

Quatre années ont passé. S’il paraissait bien effacé à ses débuts, inexpérimenté voire dénué de charisme, le fils du « Baobab de Pya » a désormais, de l’avis de nombreux observateurs, endossé le costume de chef d’État. « Il a mûri et a beaucoup appris. Il a une vision pour son pays », note un diplomate en poste à Lomé. À son crédit : il a su prendre de la distance avec les militaires, qui ont soutenu son accession au pouvoir. Tout en affichant son intention de préparer une élection transparente.

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Pour ce premier quinquennat, il s’est donné deux objectifs : la réconciliation nationale et la relance économique. C’est ce dernier point que le chef de l’État mettra en avant au moment de dresser le bilan de son action et de celle de son équipe, composée « de jeunes talents qui étaient complètement bridés sous l’ancien régime », précise l’un de ses conseillers.

Cette jeune équipe a déjà engrangé quelques bons résultats, au premier rang desquels, en novembre 2007, la reprise de la coopération avec l’Union européenne (UE) après quatorze années d’interruption. En avril 2008, autre succès, la signature d’un accord de 235 millions de dollars avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM). Ce réchauffement des relations avec les partenaires extérieurs a ouvert la voie au retour des investissements et à l’annulation de la dette extérieure du pays, pour un montant de quelque 2 milliards de dollars.

« Des progrès sensibles ont été accomplis dans les réformes économiques et politiques depuis 2006 », souligne Takatoshi Kato, directeur adjoint du FMI chargé de l’Afrique. De quoi redonner du baume au cœur du ministre des Finances, Adji Oteh Ayassor, convaincu que son pays « a enfin retrouvé sa crédibilité ».

La fin des délestages

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À cela s’ajoutent des décisions plus ciblées comme le recrutement, fin décembre, de quatre mille fonctionnaires par voie de concours et la gratuité de l’enseignement pour le cycle primaire. En 2008, la flambée des prix a été gérée sans heurts majeurs grâce au relèvement de 3 % des salaires. L’État a puisé dans le stock de sécurité alimentaire pour approvisionner les marchés en céréales tout en réduisant les prix des intrants pour les producteurs. Enfin, les problèmes de délestages électriques devraient être réglés avec le projet de l’opérateur américain ContourGlobal. Celui-ci a entamé la construction d’une centrale électrique d’une puissance de 100 MW, qui devrait être opérationnelle à la fin de 2009.

Le gouvernement dispose désormais de leviers lui permettant de relancer l’outil économique. Cela sera-t-il suffisant pour calmer les attentes de la rue ? Rien n’est moins sûr. Entre les inondations du mois d’août 2008 et l’envolée des prix des hydrocarbures, les Togolais s’impatientent. Bastion traditionnel de l’Union des forces de changement (UFC) de l’opposant Gilchrist Olympio, Lomé gronde. « Gnassingbé est invisible. On ne sait pas ce qu’il fait. On veut un vrai changement ! » peste ce chauffeur de taxi du quartier Kpehenou. « Les aliments n’ont jamais été aussi chers. Où va l’argent ? » s’interroge une ménagère du quartier Gbossime. « Nous comprenons ces attentes, mais l’aide de nos partenaires ne se débloque pas du jour au lendemain », se défend Adji Oteh Ayassor.

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L’autre volet de la politique du chef de l’État, la réconciliation nationale, ne dépend, elle, que des Togolais. Et celle-ci est encore loin d’être acquise. Si, pour ses partisans, le chef de l’État « manœuvre progressivement et intelligemment », il reste, aux yeux de ses adversaires, « l’héritier illégitime ».

Bien plus que de la rue, l’inquiétude vient surtout des partis politiques. Rien ne va plus entre le Rassemblement du peuple togolais (RPT) et les principales formations de l’opposition signataires de l’Accord politique global (APG) signé en 2006 à Ouagadougou. Objet de la discorde ? Le respect de cet accord, censé encourager les gouvernements d’union et maintenir le dialogue intertogolais afin d’organiser la présidentielle de façon transparente. Or, depuis les législatives du 14 octobre 2007, remportées par le parti au pouvoir, ce dialogue est complètement rompu. « Le Cadre permanent de concertation n’existe plus », reconnaît un diplomate.

Main tendue ?

L’UFC et le Comité d’action pour le renouveau (CAR), de l’ancien Premier ministre Yawovi Agboyibo, les deux seules forces de l’opposition ayant obtenu des sièges lors de cette consultation (27 et 4 députés), en contestent toujours les résultats. Elles ont également refusé de participer aux équipes gouvernementales emmenées par Komlan Mally (nommé en décembre 2007) et de Gilbert Fossoun Houngbo (nommé en septembre 2008). « Ils exigeaient des postes stratégiques, mais ce n’était pas acceptable », estime le secrétaire général du RPT, Esso Solitoki. « Le pouvoir a utilisé ces législatives pour rassurer la communauté internationale, déplore pour sa part Agboyibo. Depuis, il se moque de l’APG, car il n’est plus dans son intérêt de chercher le consensus pour gouverner. » Quant aux partis de l’opposition ayant décidé de jouer le jeu en entrant au gouvernement, ils n’ont guère de poids sur l’échiquier politique.â©Dans les faits, la politique de la main tendue prônée par le président Gnassingbé n’a que peu d’écho. Selon Agboyibo, « celle-ci se heurte au rapport de force historique entre l’UFC et le RPT. Cela fait cinquante ans que ça dure, et il n’y a aucune raison que cela évolue ».

La décrispation aurait pu venir de la Commission Justice, Vérité et Réconciliation. Calquée sur le modèle sud-africain, elle doit faire la lumière sur les crimes politiques commis dans le pays entre 1963 et 2005. Mais, malgré la tenue de consultations nationales tout au long de l’année 2008, elle n’est toujours pas installée.

Pour ne rien arranger, la colère provoquée dans les rangs de l’opposition par le défilé militaire du 13 janvier dernier semble avoir brisé les derniers espoirs d’entente cordiale. En 2006, Faure Gnassingbé s’était décidé à commémorer plus sobrement cette date, jour anniversaire de l’accession au pouvoir de Gnassingbé Eyadéma, à travers de simples prises d’armes. Mais, pour beaucoup, l’édition de 2009 s’est distinguée par son faste. Durant plus de trois heures, les militaires, gendarmes et policiers ont défilé sur le boulevard de la Nouvelle-Présidence-de-la-République, au son des chœurs religieux et des slogans des militants RPT au risque de brouiller l’image du chef de l’État, qui entend incarner une certaine rupture avec le passé.

Passage en force

Les positions de chaque camp tendent à se radicaliser, et les réformes devant préparer la présidentielle avancent, elles aussi, en dehors de toute concertation. Plusieurs textes approuvés à la fin de décembre en Conseil des ministres sont actuellement sur le bureau de l’Assemblée nationale, où, fort de 50 députés sur 81, le RPT fait la pluie et le beau temps. Parmi ces textes figurent notamment le code électoral et le statut de l’opposition (notamment la loi sur le financement des partis politiques), mais l’UFC et le CAR les rejettent en bloc, estimant ne pas avoir été associés à leur préparation, contrairement à ce que stipule l’accord de Ouaga. Ils s’opposent également au décret du 4 février qui fixe les modalités d’installation d’un Cadre permanent de concertation avec l’opposition, dénonçant un passage en force.

« Nous rejetons ces prétendues réformes faites sans la moindre discussion. L’adoption unilatérale du code électoral est inacceptable et constitue un casus belli, avertit Patrick Lawson, vice-président et député de l’UFC. Nous mettons en garde le gouvernement : le pays se prépare à des jours incertains. » Pour le RPT, la faute en incombe avant tout au parti de Gilchrist Olympio. « Nous ne voulons pas discuter avec l’UFC, qui refuse toujours tout en bloc et veut s’imposer à nous comme unique interlocuteur sous prétexte qu’elle est la principale force de l’opposition », explique Esso Solitoki. Les partis ont peu de marge de manœuvre et il leur reste à peine plus d’un an pour parvenir à un consensus. Si la discorde persiste, Faure Gnassingbé aura du mal à être enfin légitimé par un scrutin incontestable et incontesté. 

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