Les silences de la Grande Muette

La Garde présidentielle a tiré sur la foule le 7 février dans le centre d’Antananarivo. Mais, depuis le début de la crise, l’armée dans son ensemble demeure relativement discrète, voire passive. Va-t-elle être obligée de choisir son camp ?

Publié le 17 février 2009 Lecture : 5 minutes.

Le 27 janvier, alors que la capitale se remet d’une folle journée de pillages, un journaliste interpelle le chef de l’État sur la passivité des forces de l’ordre. « C’est moi qui ai donné l’ordre aux militaires de ne pas intervenir, rétorque Marc Ravalomanana. Sinon, cela aurait été un bain de sang. » Le président bluffe-t-il ? Possible.

Le bain de sang n’aura finalement pas été évité. Le 7 février, alors que les partisans du maire d’Antananarivo marchent sur le palais d’Ambohitsorohitra pour y installer un gouvernement insurrectionnel, la Garde présidentielle ouvre le feu. Trois minutes plus tard, on ramasse 28 morts et plus de 200 blessés. Dès lors, l’affrontement entre le maire et le président change de registre. À Tana, chacun se souvient de la « marche de la Liberté » sur le palais d’Iavoloha le 10 août 1991, pour en déloger le président Didier Ratsiraka. Déjà à l’époque, les forces de l’ordre avaient stoppé la foule en faisant usage de leurs armes. Et le régime avait fini par tomber…

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Critiques feutrées

Depuis le début des affrontements, l’armée n’a pas voulu prendre position, comme si les forces contradictoires qui la composent se neutralisaient. La décision de la ministre de la Défense, Cécile Manorohanta, de démissionner de son poste après la fusillade du 7 février est révélatrice des états d’âme au sein de la hiérarchie militaire comme du gouvernement. La première explication de ce malaise tient au mode d’intervention de la Garde présidentielle. « La GP est composée d’éléments sans foi ni loi, et les tirs ont été déclenchés sans sommation », explique un officier supérieur choqué par la « tuerie » d’Ambohitsorohitra. « Le pire, ajoute-t-il, c’est qu’ils ont tiré en rafales : ce qui revient à commettre un acte de guerre contre des civils. Il est temps pour ceux qui commandent cette armée de réagir, au lieu de se réfugier dans un silence complice. »

Les critiques, de moins en moins feutrées, visent particulièrement la Garde présidentielle. Et elles sont d’autant plus vives que celle-ci ne dépend pas du ministère de la Défense, mais du chef de l’État lui-même. Cette unité d’élite dispose de moyens importants et d’armes sophistiquées pour remplir sa mission. Ses membres bénéficient d’un système d’avancement et d’une formation spécifique, ce qui ne va pas sans susciter des jalousies au sein de la troupe. Pour les adversaires du régime, elle profiterait même de l’appui d’éléments étrangers, bien que la rumeur faisant état de la présence de mercenaires sud-africains ou congolais dans ses rangs n’ait pas pu être vérifiée. Toutefois, selon les proches d’Andry Rajoelina, ce sont bien des commandos étrangers qui ont ouvert le feu sur les manifestants, les soldats du deuxième régiment des forces d’intervention (2e RFI) basé à Diego-Suarez, à 1 200 km au nord d’Antananarivo, appelés en renfort n’ayant pu rejoindre la capitale à temps.

Confronté à la passivité de la troupe, Ravalomanana aurait préféré assurer ses arrières en achetant les services d’éléments étrangers. Son manque de confiance n’est pas dénué de fondement. En effet, certains soldats déployés par l’état-major mixte opérationnel (Emmo) aux abords du palais présidentiel le 7 février auraient eu l’intention de s’opposer à la Garde présidentielle. Avant de se raviser face à sa puissance de feu. Depuis le début de la crise, le loyalisme de l’Emmo a suscité quelques inquiétudes au sommet de l’État. Son premier responsable, le général Lucien Raharijaona, également commandant de la gendarmerie nationale, a même été limogé lors du Conseil des ministres du 29 janvier. Et le général Lucien Rakotoarimasy a été démis de ses fonctions de chef d’état-major général de l’armée le 10 février.

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Cette suspicion du pouvoir vis-à-vis de l’armée n’est pas nouvelle. Et réciproquement, la gestion de la Défense par le gouvernement ne va pas sans susciter des rancœurs chez les militaires. Si quelques généraux bénéficient de postes enviables à la tête de l’État, une majorité d’officiers supérieurs rongent leur frein dans l’attente d’une hypothétique promotion. Avec 50 diplômés par an, l’Académie militaire d’Antsirabe a doté le pays d’une armée surdimensionnée par rapport à sa mission. Beaucoup de généraux en fin de carrière se sont retrouvés sous le commandement de jeunes inexpérimentés. « Ravalomanana n’a pas hésité à limoger certains officiers. Et, surtout, il a placé plusieurs anciens diplômés d’Antsirabe sous la direction de cadres moins formés et moins gradés qu’eux, explique le colonel Mijiro Rakotomanga. Ce qui a contribué à entretenir des clivages au sein du haut commandement militaire. » Certaines promotions revêtent une dimension résolument politique. Et les affinités partisanes ou l’origine ethnique jouent parfois un rôle déterminant, comme pour n’importe quelle nomination dans la haute fonction publique. Les laissés-pour-compte, eux, se disent victimes de discrimination.

À la frustration des uns s’ajoutent des revendications sociales partagées par les quelque 20 000 hommes que compte l’institution. Alimentée par la modicité des soldes et la dégradation des conditions de vie, la déprime des bidasses est flagrante. La tentative de coup de force perpétrée le 17 novembre 2006 par le général Randrianafidisoa, alias Fidy, bien que rocambolesque, n’en est pas moins symptomatique de l’ambiance qui règne dans les rangs. L’officier, qui s’est retranché durant plusieurs heures avec ses hommes sur la base aéronavale de la capitale, avait annoncé la mise en place d’un « directoire militaire ». Avant d’être finalement arrêté.

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Intérêts contradictoires

Enfin, quelques mesures récentes ont contribué à réduire le modeste capital de sympathie dont le chef suprême des armées bénéficiait au sein de la troupe. Ainsi, dans le cadre de la réforme des structures de sécurité, le chef de l’État a décidé, en octobre dernier, que la gendarmerie, la police et le Coast Guard (unité de la Marine nationale) seraient désormais intégrés au sein d’une structure unique. Ce nouveau concept est destiné à « mettre en commun les moyens et le savoir-faire de ces trois entités, placées sous l’autorité du ministère la Sécurité intérieure ». Conséquence : les gendarmes se retrouvent aujourd’hui sous l’autorité d’un policier, ce qu’ils apprécient très modérément.

Mais ces motifs diffus de mécontentement ne suffiront apparemment pas à faire réagir l’armée. Entre les cadres acquis au régime et ceux qui ruminent leur déception, trop d’intérêts contradictoires s’affrontent… et se neutralisent. Extrêmement discrètes, les forces de l’ordre se sont gardées de prendre position pour le président ou pour le maire de Tana. Toutefois, selon La Gazette de la Grande Île, « un groupe de généraux a demandé instamment au vice-amiral Hyppolite Rarison Ramaroson de réagir ». Ce dernier, disposant du grade le plus élevé au sein de la hiérarchie militaire en exercice, aurait interpellé les deux protagonistes de la crise « dans un esprit d’avertissement, voire de menace », précise le journal d’opposition. Mais ces velléités de médiation n’ont pas donné de résultats tangibles. 

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