Les mystères de Kinshasa

Un sous-sol gorgé de richesses, des frontières avec neuf voisins et près de 65 millions d’habitants : la RD Congo n’est pas le genre d’allié que l’on perd sans conséquences. Washington le sait, qui, de l’arrestation du général renégat Laurent Nkunda à la traque des rebelles ougandais dans le nord-est du pays, est derrière bien des coups au cœur de l’Afrique. Qu’ils poussent Kinshasa à renégocier les contrats signés avec Pékin ou agitent la menace de couper le robinet de l’aide, l’objectif des États-Unis, sous la présidence de Bush comme sous celle d’Obama, reste le même : préserver leur influence et, si possible, leur tutelle, sur un partenaire indispensable. Quitte à inciter Joseph Kabila à mener une opération militaire avec le Rwanda, l’éternel frère ennemi, pour neutraliser les fauteurs de troubles à l’est du pays. Cette décision à hauts risques pourrait menacer la solidité du régime congolais. D’autant que personne ne sait quand finira la chasse aux rebelles.

Publié le 17 février 2009 Lecture : 6 minutes.

La guerre secrète des Américains

Le soutien américain n’aura pas suffi. L’opération Lightning Thunder lancée conjointement par les armées ougandaise (UPDF), congolaise (FARDC) et soudanaise (SPLA) au nord-est de la RD Congo, le 14 décembre 2008, n’a pour l’instant pas permis de mettre fin aux exactions de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Pis : dans leur fuite, le prophète autoproclamé Joseph Kony et ses hommes – ils seraient entre 700 et 1 200 – ont multiplié les carnages. Les représailles contre les civils ont commencé dans les environs de Faradje, au moment de Noël, et n’ont pas cessé depuis dans la région du Haut-Uélé.

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Le secrétaire général adjoint des Nations unies aux affaires humanitaires, John Holmes, en tournée dans la région début février, a pu constater l’horreur. « J’implore les membres de la LRA qui sont écœurés des viols et des meurtres de déposer les armes. Les civils sont des personnes innocentes, ils n’ont rien à voir avec vous et ne vous ont pas fait de mal », a-t-il déclaré. Il est peu probable que Joseph Kony, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, entende sa supplique. Dispersés et en cavale, ses hommes auraient massacré quelque 900 personnes depuis le début de l’opération Lightning Thunder.

La litanie de l’horreur est toujours la même : villages pillés et incendiés, hommes tués à l’arme blanche ou battus à mort, femmes violées, enfants enlevés… Pour Matthew Green, auteur d’un livre sur Kony, « Le sorcier du Nil », (The Wizard of the Nile : the Hunt for Africa most Wanted), le fiasco de l’opération n’est qu’une demi-surprise : « Il ne faut pas sous-estimer la discipline et l’organisation de la LRA, ni les difficultés d’un terrain qu’elle connaît bien. En outre, l’armée ougandaise est assez incompétente, elle manque cruellement d’informations. »

Le soutien du Pentagone

Consciente de ses lacunes, l’armée ougandaise avait pourtant pris soin de se tourner vers son parrain américain, via son ambassade à Kampala. Depuis son accession au pouvoir en 1986, et encore plus depuis les attentats terroristes contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar es-Salaam en 1998, le président ougandais Yoweri Museveni est le chouchou de la Maison Blanche dans la région. L’aide américaine a longtemps coulé à flots, représentant jusqu’à 60 % du budget d’un État considéré comme un îlot de stabilité dans la région des Grands Lacs et, surtout, un rempart contre le Soudan d’Omar el-Béchir. Si le montant de l’aide a diminué ces dernières années et si Washington a pu s’offusquer (un brin) des dérives autoritaires d’un Museveni résolu à s’accrocher indéfiniment au pouvoir, les États-Unis ne pouvaient refuser d’aider leur vieil allié dans la « guerre contre le terrorisme ».

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Le président George W. Bush, sans doute en accord avec son successeur Barack Obama, a donc prêté main-forte à l’UPDF. Selon les révélations du New York Times, une équipe de dix-sept conseillers d’Africom, le nouveau commandement militaire américain pour l’Afrique opérationnel depuis le 1er octobre 2008, apporte son aide au chef de l’opération, le lieutenant-colonel Muhoozi Kainerugaba, qui n’est autre que le fils de Museveni. Outre des stratèges, le Pentagone fournit des informations, des images satellites et du carburant pour une valeur de 1 million de dollars. « Il y a depuis longtemps des liens étroits entre l’Ouganda et les États-Unis, explique Matthew Green. Cette coopération ne me surprend pas. » Le 13 décembre 2008, à la veille de l’opération, plusieurs conseillers américains se trouvent tout près de la frontière entre la RD Congo et l’Ouganda. Ils ne peuvent rien cependant face aux aléas climatiques : le lendemain, un épais brouillard contraint à retarder l’attaque, et Kony en profite pour prendre le large.

La pax americana dans la région des Grands Lacs ne vise pas que le « sorcier du Nil ». À quelques centaines de kilomètres au sud, un autre dangereux trublion, Laurent Nkunda, « chairman » du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et bête noire de Kinshasa, n’aura pas eu le temps de disparaître : son arrestation, dans la soirée du 22 janvier, n’aurait pas eu lieu sans les efforts américains, déployés par l’administration Bush, entérinés et poursuivis par Obama.

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Jendayi Frazer monte au front

Dès la reprise des combats au Nord-Kivu, dans l’est de la RD Congo, le 28 août dernier, entre la rébellion du CNDP et l’armée régulière congolaise, le département d’État affiche sa détermination à jouer les faiseurs de paix. Le 1er septembre, la vice-secrétaire d’État aux Affaires africaines, Jendayi Frazer, arrive à Kinshasa pour « renouveler le soutien du gouvernement américain » aux autorités. Publiquement, elle fait cette promesse : « Nous allons continuer à pousser Nkunda pour qu’il honore l’accord qu’il a signé », en référence aux accords conclus à Goma, en janvier 2008, par lesquels le CNDP s’engageait à un cessez-le-feu. Moins de deux mois plus tard, elle va jusqu’à interpeller directement la rébellion, qui se rapproche dangereusement de Goma, et lui enjoint de ne pas prendre la ville. À la fin du mois d’octobre, l’armée congolaise est en déroute, les hommes de Nkunda gagnent du terrain, les civils fuient, d’autres meurent, et la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) est impuissante. La situation s’aggrave et madame Frazer débarque de nouveau à Kinshasa. Mais cette fois-ci, avant de regagner les États-Unis, elle fait escale à Kigali. Le régime rwandais est suspecté d’apporter un soutien militaire et financier au CNDP. Auprès du président Paul Kagamé, elle insiste sur la nécessité d’une rencontre avec son homologue congolais, Joseph Kabila. Les deux chefs d’État se renvoient la balle : pour Paul Kagamé, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) que prétend combattre le CNDP sont soutenues par Kinshasa ; pour Joseph Kabila, le CNDP est à la solde du Rwanda, soucieux d’étendre son influence sur une région riche en minerais qu’il a toujours convoitée.

Moyen de pression

Comme en Ouganda, les États-Unis savent qu’ils disposent d’un moyen de pression redoutable : suspendre leur aide. Le Rwanda en est cruellement dépendant : en 2006, il a reçu 103 millions de dollars de Washington au titre de l’assistance économique et militaire. L’appui américain est également important pour Kinshasa (170,8 millions de dollars en 2006). Dans les chancelleries, on sait bien que si Washington menace de fermer le robinet les frères ennemis accepteront de coopérer, le Rwanda mettant Nkunda hors d’état de nuire et la RD Congo s’attaquant résolument au problème des FDLR. « La solution du Nord-Kivu, elle est à Washington », confiait à Jeune Afrique un diplomate français, en novembre dernier.

Les horreurs s’accumulant au Nord-Kivu – notamment à Kiwanja, où plusieurs centaines de civils ont été massacrés –, l’aide américaine à Kigali et Kinshasa devient coupable. La préparation d’un rapport de l’ONU, finalement publié le 12 décembre, démontrant que le Rwanda apporte son soutien au CNDP sera finalement la goutte d’eau. Par anticipation, à Nairobi, le 8 décembre, Jendayi Frazer convainc Paul Kagamé et Joseph Kabila de faire chacun un pas : le premier fait arrêter Laurent Nkunda, et le second accepte de mener une opération conjointe avec l’armée rwandaise pour neutraliser les FDLR. Sinon, plus de soutien des États-Unis. Ni du Royaume-Uni, qui épouse la position de Washington et dont l’avis pèse aussi : en 2006, la coopération britannique avec Kinshasa et Kigali s’est élevée à, respectivement, 84 millions et 65 millions de dollars. Les deux chefs d’État finissent donc par accepter. Et, malgré une accalmie dans le Nord-Kivu, Nkunda est arrêté le 22 janvier. L’avant-veille, les forces rwandaises entraient en RD Congo. Et Barack Obama était investi. « Je ne pense pas qu’il faille s’attendre à un changement majeur [de la politique africaine des États-Unis], conclut l’ambassadeur américain à Kampala, Stephen Browning. Le président Obama n’abandonnera pas l’objectif de paix et de stabilité poursuivi dans la région. »

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