Le grand bond en avant
La quatrième tournée sur le continent du président Hu Jintao l’a conduit au Mali, au Sénégal, en Tanzanie et à Maurice. Bien sûr, le big business était au programme. Mais pas seulement…
Les dirigeants chinois ont une qualité : s’ils ne disent pas tout ce qu’ils font, ils font toujours ce qu’ils disent. Lors du dernier sommet Chine-Afrique, en 2006, ils s’étaient fixé pour objectif de doubler d’ici à 2010 le commerce bilatéral de leur pays avec le continent, pour atteindre les 100 milliards de dollars. L’objectif a finalement été atteint dès 2008, avec 106,8 milliards. À ce rythme, la Chine s’apprête à devenir le premier partenaire économique de l’Afrique, devant l’Europe et les États-Unis.
« Nous allons maintenir le volume de nos échanges avec le continent, augmenter nos investissements et alléger la dette », a promis le président chinois Hu Jintao, lors de la première étape, au Mali, de cette dernière tournée africaine (12-17 février), la quatrième depuis son accession au pouvoir, en 2003.
Lors de ses trois premières, il avait privilégié les pays riches en matières premières. Cette fois, le choix du Mali, du Sénégal, de la Tanzanie et de Maurice témoigne d’une double approche : les intérêts ne sont certes pas négligés, mais la Chine s’efforce parallèlement d’étendre sa sphère d’influence politique. Une stratégie à long terme que rien ne semble pouvoir ébranler.
Chahuté par la tempête financière et dans l’incapacité de mobiliser des financements, l’Occident paraît, a contrario, en retrait. Le contexte est donc très favorable à la Chine, qui dispose de 2 000 milliards de dollars de réserves extérieures et s’impose peu à peu comme l’un des principaux créanciers de la planète.
Bien sûr, la machine économique chinoise toussote depuis plusieurs mois. Son taux de croissance, qui était de 13 % en 2007, ne devrait pas dépasser 6,7 % cette année, à en croire le Fonds monétaire international. Pourtant, « cette tournée démontre que Pékin n’a aucune intention de réduire la voilure, explique Michel Beuret, coauteur du livre La Chinafrique (Grasset). Le nombre des visites chinoises sur le continent est incroyable. Chaque fois, des accords économiques sont signés, mais les Chinois comptent aussi, politiquement, sur leurs alliés ».
Dans les institutions internationales comme lors de sa croisade contre Taiwan, Pékin a patiemment tissé un réseau de partenaires, voire d’obligés. Tout a commencé dans les années 1950, au temps de la guerre froide et des proclamations révolutionnaires. Aujourd’hui, il est surtout question de dollars. On conclut des deals à grande échelle, comme en RD Congo (voir pp. 28-31), on sécurise ses approvisionnements en hydrocarbures, on signe discrètement des accords militaires… Le résultat est là. Les pays africains reconnaissant Taiwan étaient une douzaine au début des années 1990, ils ne sont plus que quatre aujourd’hui : Burkina, Gambie, Swaziland et São Tomé.
L’atout de la rapidité
« En toile de fond, un face-à-face sino-américain est aussi en train de se dessiner. L’activité diplomatique chinoise n’est sans doute pas étrangère au fait qu’aucune capitale africaine n’a accepté d’accueillir une base d’Africom », analyse un spécialiste. Quant à l’Europe, et au premier chef la France, elle assiste, souvent impuissante, à l’arrivée de nouveaux hommes d’affaires – souvent plus discrets et pragmatiques – dans son ex-pré carré. « L’Afrique est stratégique pour la Chine, beaucoup plus que pour les Occidentaux. À preuve, ces derniers tiennent rarement leurs promesses en matière d’aide. Pékin s’abstient de se présenter comme un modèle, mais il tient ses engagements, c’est toute la différence », résume Adama Gaye, chercheur à l’université Johns-Hopkins de Washington et auteur de Chine-Afrique : le dragon et l’autruche (L’Harmattan).
« Les Occidentaux sont frileux et posent trop de conditions. Les Chinois sont plus rapides, ils ont de gros besoins et vont forcément enlever des marchés », pronostique pour sa part George Forrest, un patron belge qui opère notamment dans le secteur minier et le BTP en RD Congo. L’homme d’affaires sait de quoi il parle : fin 2007, il a perdu deux gisements de cuivre au profit des Chinois. « Les Européens et les Américains, qui ont largement financé le processus de paix dans ce pays, ont le sentiment d’avoir été bernés », explique un diplomate. Et ce n’est pas fini.
Au Mali, les Chinois exploitent déjà un complexe sucrier dans la région de Ségou et vont intégralement financer la construction du troisième pont de Bamako. Coût de l’opération : 20 milliards de F CFA (30 millions d’euros). Hu Jintao lorgne aussi du côté des mines d’or, actuellement concédées aux Sud-Africains et aux Canadiens, au moment où Bamako envisage une redistribution de certains permis.
Mais la Chine s’intéresse aussi au coton africain, dont elle est d’ores et déjà le premier débouché (46 %).
À Dakar, place forte de la bonne entente France-Afrique, le président Abdoulaye Wade, après avoir rétabli les relations diplomatiques avec Pékin en 2005, parle aujourd’hui de partenariat « exemplaire ». À ce jour, ledit partenariat concerne essentiellement le BTP et les télécommunications, mais tout porte à croire que des effluves de brut ne vont pas tarder à flotter. Le Sénégal a récemment intensifié ses recherches pétrolières en Casamance, où les réserves sont estimées à près de 1 milliard de barils.
L’or et le riz
Parallèlement, le franco-indien Arcelor Mittal, numéro un mondial de l’acier, espère bien démarrer en 2010 la production de fer à Falémé, dans l’est du pays, mais il n’est pas exclu que la crise économique mondiale retarde le projet. Or, dans le passé, les Chinois déjà démontré leur habileté à tirer profit des retards de leurs concurrents…
En Tanzanie, aussi, il y a de l’or susceptible d’attirer les Chinois. D’autre part, le groupe Chongqing Seed a acquis 300 ha de terres en vue d’y cultiver du riz. Enfin, l’île Maurice présente le double avantage de constituer une porte d’entrée vers le marché de l’Union européenne, via la Réunion voisine, et d’être tournée vers l’Afrique australe. C’est la raison pour laquelle la Chine envisage d’y construire et d’y financer à hauteur de 500 millions de dollars une zone économique spéciale. Une quarantaine d’entreprises chinoises pourraient s’y installer.
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