Fatéma Hal

Patronne d’un célèbre restaurant parisien, animatrice télé et conseillère des magasins Monoprix, cette native d’Oujda réinvente la cuisine marocaine au quotidien.

Publié le 10 février 2009 Lecture : 5 minutes.

« Malaxez la viande, l’oignon et la coriandre hachés très fin, le sel, le poivre, le cumin et l’huile. Mouillez vos mains et formez des petites saucisses. Enfilez-les sur des brochettes. Posez une grille sur un feu de bois […] et faites cuire les brochettes de chaque côté. Servez très chaud avec un verre de thé à la menthe brûlant : le mariage est détonnant, mais parfait ! »

Voilà la recette des brochettes de kefta version Fatéma Hal, pêchée au hasard dans l’un de ses neuf livres : Le Meilleur de la cuisine marocaine1. Pour présenter la patronne du plus célèbre restaurant marocain de Paris, Le Mansouria, on aurait aussi bien pu sélectionner la sfiria, cet agneau roussi servi avec un flan d’amandes, ou encore les pommes de terre à la menthe sauvage, « le plat du pauvre » qu’elle affectionne particulièrement.

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Depuis plus de vingt ans, cette native d’Oujda s’emploie à récolter toutes sortes de recettes de la bouche de celles qui, dans son pays d’origine, savent les concocter. « J’ai commencé à me rendre au Maroc pour écouter, apprendre, noter, se souvient-elle. Je suis revenue et j’ai réalisé quelques recettes. Je n’aime pas dire “J’ai créé”. Je n’ai pas la folie de croire que je serai une sorte de Ferran Adria2 de la cuisine marocaine. Je transmets, c’est tout. »

Le discours de Fatéma Hal est bien rodé. Les médias, elle connaît. Sa vie, elle l’a déjà racontée des dizaines de fois. Sa naissance en 1952. L’absence du père. La mère qui vend des tissus et élève seule ses trois enfants. L’environnement composé de femmes, veuves ou divorcées. L’unique bibliothèque d’Oujda, où elle dévore « tout Balzac » entre 13 ans et 16 ans. Le mariage, très jeune, avec un Franco-Algérien. Le départ pour la France. Le premier enfant, à 17 ans, et deux autres dans la foulée…

Puis, une cassure. Nette. « Un cousin m’a dit : ”Tu étais tellement brillante à l’école ! Tu ne vas pas passer ton temps à élever des enfants !” » C’était vrai, sa passion d’apprendre était trop dévorante.

En 1975, Fatéma Hal s’inscrit à l’université de Paris-VIII, en littérature arabe puis en ethnologie, tout en travaillant comme interprète dans les hôpitaux et les centres de Protection maternelle et infantile (PMI). À l’époque, la jeune mère découvre « des idées fortes qui peuvent bouleverser le monde ». La femme à peine assagie d’aujourd’hui retrouve par moments sa révolte d’alors : « La mondialisation peut être catastrophique en cuisine quand elle ne véhicule qu’une seule méthode, qu’un seul produit, s’exclame-t-elle. Si on nous gave d’une seule et même chose, c’est de la colonisation ! Et ça me fait peur. »

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Entre 1977 et 1979, Fatéma la forte tête est chargée d’études au sein de l’Agence pour le développement des relations interculturelles (Adri), créée pour favoriser l’intégration en France des personnes d’origine étrangère. Le début d’une carrière politique ? Le temps des minorités visibles n’est pas encore venu. L’expérience ministérielle de Fatéma Hal sera courte. Embauchée au sein du ministère des Droits de la femme d’Yvette Roudy, elle se heurte dès le premier jour au racisme ordinaire. Alors que tous ses papiers sont en règle et qu’elle est française depuis son mariage, on lui demande un « certificat de nationalité ». Quand elle a l’outrecuidance de s’en offusquer, c’est pour s’entendre répondre qu’elle n’est pas née en France. Et il est vrai que Fatéma Hal a les yeux foncés et le teint mat…

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Volontaire et confiante en ses capacités, elle n’est pas du genre à renoncer pour si peu. Mais même au sein du ministère censé défendre les droits de la femme les emplois proposés aux Maghrébins sont des CDD payés au lance-pierres. Comment échapper, alors, aux fins de mois difficiles ? Devenir son propre patron est une solution.

L’argent manque pour financer le futur ? Peu importe, Fatéma Hal trouve un subterfuge, vendre des repas « à l’avance » à ceux qui veulent bien lui accorder sa confiance. « On se plaint souvent, mais quand on a quelque chose à dire, une ligne directrice claire, on attire les bonnes volontés. Il y a plus de gens biens que de gens mauvais. »

Le Mansouria, ainsi nommé en l’honneur de sa mère, ouvre au milieu des années 1980. Succès immédiat. Une clientèle intello-artiste s’y presse. Journalistes, éditeurs, peintres. Des noms connus, comme ceux du sculpteur Arman ou de l’humoriste Pierre Desproges. C’est d’ailleurs ce dernier qui apportera la notoriété à Fatéma Hal. En 1986, invité par Noël Mamère – alors journaliste sur Antenne 2 –, le comique consacre quelques minutes au Mansouria. C’est mieux que n’importe quelle publicité.

Au début, Fatéma Hal participait à tout. Aujourd’hui, alors que le restaurant, dont le menu tourne autour de 30 euros, continue de bien marcher malgré la crise, elle a pris du recul mais continue de « veiller au grain ». Boulimique de travail, la patronne a cependant la capacité d’être au four et au moulin. Dresser la liste complète des activités qu’elle mène de front serait fastidieux. Elle donne des conférences un peu partout dans le monde sur la cuisine marocaine. Elle aligne les livres de recettes. Elle présente tous les mois ses coups de cœur sur la chaîne marocaine 2M. Elle conseille la chaîne de supermarchés Monoprix sur les tajines et autres couscous proposés en magasin, « sans colorants, ni conservateurs ».

 

Jamais en manque d’idées, elle ose parfois laisser libre cours à son imagination. Ainsi a-t-elle créé le hamburger Fatéma Hal (pain français et kefta) ou le sandwich Paris-Marrakech (pain, poulet olives-citron). L’écrivain (et collaborateur de Jeune Afrique) Fouad Laroui, qui la connaît bien, confirme : « C’est une femme exceptionnelle. Bosseuse, passionnée, chaleureuse. L’une des rares qui ose innover en cuisine marocaine, dont la richesse incite généralement au conservatisme. C’est l’un des meilleurs “ambassadeurs” du Maroc. » Après tout, le métissage culinaire peut bien passer par la restauration rapide !

« Ne plus être dans le mouvement, ça m’angoisse, confie l’intéressée. Je ne peux concevoir ma vie autrement que comme nomade. » Si elle vote en France, elle se sent profondément africaine. « Même à la dixième génération, on est toujours marocain. Je ne peux pas me voir sans ces allers-retours au pays. » Demain, celle qui porte sa légion d’honneur « parce que ça [lui] donne l’espoir de continuer à travailler » ouvrira sans doute une école de cuisine et écrira, peut-être, un roman inspiré de ses années d’université.

1. Hachette Pratique, 194 pages, 14,90 euros.

2. Célèbre chef espagnol connu pôur ses expérimentations culinaires extrêmes.

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