Pourquoi la galaxie euro n’explosera pas

Secoués par la tourmente financière, les pays qui ont adopté la monnaie commune européenne auraient pu être tentés d’y renoncer. Surtout les plus fragiles comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande. Apparemment, ils ont compris que le remède serait pire que le mal.

Publié le 10 février 2009 Lecture : 5 minutes.

Dix ans après sa création, l’euro connaît son baptême du feu. L’exaspération manifestée, en mars 2008, par le président français Nicolas Sarkozy à l’égard d’une monnaie européenne en trop bonne forme – 1,60 dollar pour 1 euro : effet ravageur garanti sur les exportations ! – a fait long feu devant la rigueur affichée par la chancelière allemande Angela Merkel.

Les critiques des économistes tentés par le « souverainisme », comme les Français Jacques Sapir et Jean-Luc Gréau, perdaient de leur pertinence en raison de la protection financière que le bouclier de l’euro assurait aux pays budgétairement pas vraiment vertueux, comme… la France. Le sentiment éprouvé par les consommateurs que la monnaie unique avait accéléré l’inflation s’effaçait devant la commodité de ne pas avoir à changer son argent en franchissant les frontières et de pouvoir comparer les prix à Amsterdam, Francfort, Madrid ou Paris.

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Il a suffi qu’à la mi-janvier les agences de notation Standard & Poor’s et Moody’s baissent les notes attribuées à l’Espagne, à la Grèce et au Portugal, tout en annonçant leur méfiance à l’égard de la situation financière de l’ex-petit génie irlandais, pour que soit relancé un vieux débat : l’extrême diversité des situations des seize membres de la zone euro, où cohabitent des pays sages et d’autres très déficitaires, de grandes économies comme l’Allemagne ou la France et de toutes petites comme Chypre ou Malte, des nations développées et d’autres sortant à peine de l’ère soviétique comme la Slovaquie, ne risque-t-elle pas de pousser au chacun pour soi monétaire au moment où la crise est à son maximum ?

De fait, les pays pointés du doigt par les agences de notation à cause de leurs déficits commerciaux et/ou budgétaires auraient pu être tentés de renoncer à l’euro, de dévaluer leur monnaie nationale, de faire marcher la planche à billets et de faire exploser leurs déficits budgétaires afin de favoriser leurs exportations et de protéger leurs emplois…

Il n’en a rien été, les gouvernants de ces pays ayant fort bien mesuré les risques d’un renoncement aux contraintes de l’euro (limitation des déficits, contrôle de l’inflation, modération des dépenses). Inévitablement, la défiance à leur égard aurait monté de plusieurs crans et les prêts qui auraient pu leur être consentis leur auraient coûté beaucoup plus cher. Actuellement, le taux d’intérêt pour les emprunts d’État à dix ans est de 5,8 % pour la Grèce et de 3,8 % pour la France. Déjà considérable, cette différence aurait probablement doublé. Sans compter que la monnaie d’un pays renonçant à l’euro serait ipso facto attaquée par la spéculation, d’où des risques importants d’inflation, puis de perte de compétitivité commerciale. Autrement dit, pour des avantages à court terme, le « séparatiste » s’engagerait dans un cercle vicieux difficilement maîtrisable.

Inquiétudes allemandes

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À l’opposé, les pays vertueux comme l’Allemagne ou les Pays-Bas auraient pu souhaiter se débarrasser du fardeau des pays les plus fragiles. Lors de la négociation qui précéda la création de l’euro, les Allemands n’avaient-ils pas eu des mots très durs pour les pays du « Club Med », notamment l’Italie, l’Espagne et la Grèce ? Ils redoutaient que le laxisme de ces derniers ne provoque une dépréciation de la valeur de la future monnaie unique.

Là encore, les bons élèves auraient tout à perdre à se retrancher dans un « splendide isolement ». La majorité des Allemands serait peut-être ravie de retrouver le mark, mais les entrepreneurs auraient davantage de mal à exporter leurs produits dans la zone euro en raison de la complexité des opérations de change. En outre, leurs gains seraient forcément rognés par les fluctuations erratiques de leur monnaie nationale par rapport à l’euro. La santé de l’économie allemande s’en ressentirait. Il est symptomatique que Hans Tietmeyer, l’ancien président de la Bundesbank, jadis sceptique à l’égard de la monnaie unique, ne rate plus une occasion de déclarer que l’euro « est un succès » qui a contribué à la prospérité de son pays.

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Il est non moins remarquable de voir les dirigeants de deux pays nordiques, la Suède et le Danemark, manifester depuis deux mois leur volonté de convaincre enfin leurs concitoyens des bienfaits de l’euro, seul moyen de se protéger des soubresauts monétaires et de rassurer les investisseurs internationaux. Quant aux Asiatiques, aux Arabes du Golfe ou aux Africains, ils rêvent de disposer d’un instrument monétaire commun comparable à la monnaie européenne.

Comment, en effet, oublier la crédibilité que la devise européenne a gagnée auprès des Banques centrales du monde entier ? Sans doute les réserves de ces dernières sont-elles constituées à 65 % de dollars. Mais elles le sont aussi à 25 % d’euros. L’éclatement de la zone euro provoquerait un séisme monétaire qui ne ferait qu’aggraver les tornades financières actuelles.

La livre en piteux état

Les craintes concernant un éventuel éclatement sont « infondées », estime Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne. Quant à Joachim Almunia, le commissaire européen aux Affaires économiques, il a, le 2 février, estimé un peu imprudemment que l’adoption de l’euro par la Grande-Bretagne est « une forte probabilité », s’attirant un démenti immédiat du gouvernement Brown, qui sait que 71 % des Britanniques restent attachés à leur livre sterling, pourtant en piteux état.

Personne n’a donc intérêt à un cataclysme, parce qu’il n’y a pas de politique économique commune qui puisse faire contrepoids à la monnaie commune gérée par la BCE. Mais il est vrai que les forces centrifuges, sociales notamment, les différences de compétitivité entre les gestions publiques et l’absence de convergence des politiques financières provoquent dans la zone de rudes tensions.

« Il n’y a certes pas de risque d’éclatement, confie Dominique Strauss-Kahn, le directeur du Fonds monétaire international, mais je m’inquiète pour les pays européens qui se portent mal. Ils ne peuvent plus jouer de l’arme monétaire puisque l’euro est là, impossible à dévaluer ; il ne leur reste plus que l’arme budgétaire, mais ils n’ont pas les moyens de lancer un plan de relance. »

La seule solution serait que les pays les plus à l’aise aident les plus à court d’argent. Pour l’instant, les Allemands refusent de prêter à la Grèce, qu’ils jugent mauvaise gestionnaire, et s’opposent à la proposition du président de l’Eurogroupe, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, de créer des emprunts européens dont les taux les plus bas profiteraient à l’Italie ou à l’Espagne. Autrement dit, l’euro est solide, c’est l’Europe qui ne l’est pas. 

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