Les Palestiniens n’avaient aucun intérêt à négocier avec Israël

À 31 ans, cet avocat français d’origine palestinienne a passé l’année 2008 à Ramallah, en Cisjordanie, où il a travaillé comme conseiller juridique de l’OLP*. Chargé du dossier des réfugiés, il a assisté de l’intérieur à l’intégralité des négociations israélo-palestiniennes qui se sont ouvertes après le sommet d’Annapolis. Il nous livre ici son analyse.

Publié le 10 février 2009 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : Comment se sont déroulées les négociations ?

Ziyad Clot : Plus de deux cents réunions ont été tenues sur toutes les questions du Statut permanent (les frontières, les colonies, les réfugiés, l’eau…), sauf celle de Jérusalem. L’OLP négocie sous occupation, ce qui implique des restrictions dans la liberté de mouvement de ses négociateurs, l’obligation de se montrer accommodant, de se soumettre aux contrôles de sécurité. Certains experts établis à Gaza n’ont pas pu assister aux réunions, faute de permis délivré par Israël.

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L’objectif de la conférence d’Annapolis était la création d’un État palestinien avant la fin de l’année 2008. Or les négociations n’ont jamais véritablement progressé. Sur le terrain, la situation s’est par contre nettement dégradée. Israël n’a pas respecté ses engagements. En Cisjordanie, la colonisation s’est accélérée. À Gaza, le blocus israélien s’est resserré au fil de l’année, réduisant la population à l’asphyxie.

Les Palestiniens étaient-ils confiants ?

Ils étaient très sceptiques dès le départ. Les Palestiniens sont lassés de la politique. Pour une majorité d’entre eux, la priorité, c’est de tenter de vivre décemment, malgré les souffrances et les humiliations quotidiennes que leur inflige l’occupation israélienne.

Du côté de l’OLP, on voulait négocier, en toute bonne foi. Pendant sept ans (2000-2007), les négociations avec les Israéliens ont été interrompues à plusieurs reprises, alors que l’OLP a décidé dès 1988 de reconnaître Israël sur 78 % du territoire de la Palestine historique et de privilégier la recherche d’une solution politique au conflit. La seconde Intifada, qui a débuté en septembre 2000, a coûté très cher aux Palestiniens en termes de vies humaines. Pour les dirigeants de l’OLP, négocier était la seule option.

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Quel est votre sentiment ?

À Annapolis, Israël s’est engagé à respecter la « feuille de route », qui stipulait notamment l’arrêt de la colonisation. Une semaine plus tard, celle-ci reprenait de plus belle.

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L’OLP a très rapidement été confrontée à une alternative : refuser de négocier tant que les Israéliens poursuivraient la colonisation, avec les conséquences politiques et financières que l’on peut imaginer (notamment pour l’Autorité palestinienne, qui dépend largement de financements internationaux) ; ou poursuivre les négociations en espérant convaincre l’État hébreu de geler la colonisation et voir les Américains faire pression en ce sens. L’OLP a choisi de continuer à négocier.

Selon vous, l’OLP a-t-elle eu tort de négocier ?

Face à l’évidente mauvaise foi israélienne, il aurait fallu dire « stop ! » C’était une décision extrêmement difficile à prendre. Mais les Palestiniens auraient compris ce choix et l’OLP avait les moyens de convaincre la communauté internationale de la légitimité de sa position. Surtout, la décision de négocier alors qu’il n’y avait plus de gouvernement palestinien unifié était, dès le départ, déraisonnable.

Le Fatah a-t-il complètement éliminé le Hamas en Cisjordanie ?

Les forces de sécurité de l’Autorité répriment le Hamas, avec le soutien d’Israël, des États-Unis et de l’Union européenne (UE). À Ramallah, je n’ai jamais vu un drapeau du Hamas. Pendant les récentes manifestations contre l’opération israélienne à Gaza, de nombreuses personnes ont été arrêtées et certains manifestants ont été violemment réprimés. À Gaza, le Hamas agit de façon similaire avec le Fatah. Les deux factions se livrent une lutte sans merci, alors que la survie du mouvement national palestinien dépend de leur réconciliation.

L’opinion a-t-elle de la sympathie pour le Hamas ?

La population de Cisjordanie a des sentiments ambivalents et renvoie souvent les deux partis dos à dos. Un sondage récent indique qu’une majorité de Palestiniens (55 %) ne croit plus en aucun parti politique.

Du fait de la répression exercée par l’Autorité et de la présence de l’armée israélienne, je ne crois pas que le Hamas puisse être une alternative politique en Cisjordanie dans un avenir proche. Mais l’Autorité et l’OLP sont plus que jamais décrédibilisées et les germes de l’islam politique sont également présents en Cisjordanie.

Qui est responsable de la guerre de Gaza ?

D’abord Israël, qui n’a pas respecté les termes de la trêve conclue avec le Hamas en juin 2008 en refusant de desserrer son étau sur Gaza. L’incursion israélienne du 4 novembre 2008 (jour de l’élection de Barack Obama) à Gaza, qui a fait six morts palestiniens, a ensuite mis le feu aux poudres et déclenché de nouveaux tirs de roquettes du Hamas. Tant que durera l’occupation, tant qu’il ne sera pas mis fin au blocus de Gaza, Israël demeurera â¨le principal responsable.

Cependant, la responsabilité du Hamas dans ce drame est aussi très lourde. Cette guerre a confirmé que les tirs de roquettes sur Israël sont une stratégie irresponsable et contre-productive. Pis : le Hamas a exposé inutilement la population civile de Gaza, qu’il n’avait pas les moyens de défendre. Pour les Palestiniens, le Hamas a résisté, mais au prix de souffrances insupportables.

Je n’oublie pas pour autant que tout cela est avant tout le résultat d’une démission générale de la communauté internationale face au sort de la population de Gaza qui subit un blocus inadmissible et une situation humanitaire effroyable. Les États-Unis, l’UE et le monde arabe portent tous, à des degrés divers, une part de responsabilité dans cette tragédie. Certains silences sont complices.

Comment réagissez-vous à la façon dont cette guerre a été menée ?

Les crimes perpétrés par l’armée israélienne sont inqualifiables. Même la guerre obéit aux règles du droit international, notamment au principe de la protection des civils. La population de Gaza, très fragilisée par soixante ans de conflit, ne pourra pas pardonner ; Israël sera plus que jamais détesté. Les 5 500 blessés sont le plus souvent des personnes amputées, marquées à vie, physiquement et mentalement. Le conflit israélo-palestinien a inexorablement réduit des pans entiers du peuple palestinien au rang de martyrs ou de mendiants.

L’UE a annoncé, avant même la fin des opérations militaires israéliennes, qu’elle prendrait en charge la reconstruction de Gaza. C’est inadmissible : on détruit, on construit, on détruit de nouveau, on reconstruit… C’est un cycle sans fin, où le contribuable européen paie pour les crimes perpétrés par Israël. Ce n’est pas rendre service à l’État hébreu que de continuer à le laisser faire. Il est grand temps de mettre fin à cette impunité.

Précisément, comment expliquez-vous cette impunité ?

Depuis sa création, Israël est au-dessus des lois, en partie en raison du traumatisme provoqué par l’Holocauste dans le monde. Le peuple palestinien en paye le prix depuis bien trop longtemps. La communauté internationale doit prendre les mesures adéquates afin qu’Israël soit enfin tenu pour responsable de ses actes. L’Europe, en particulier, a un devoir moral en ce sens, puisque c’est là qu’a été écrite cette page tragique de notre histoire. 

* L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a été créée en 1964 pour fédérer l’ensemble des factions palestiniennes (Fatah, FPLP, FDPLP essentiellement). Longtemps considérée comme une organisation terroriste, elle est aujourd’hui reconnue par la communauté internationale comme le représentant du peuple palestinien. L’OLP a conclu les accords d’Oslo avec Israël en 1993.

L’Autorité palestinienne est l’entité gouvernementale créée en 1993 par les accords d’Oslo afin de représenter les habitants arabes de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Ce gouvernement, encore dépourvu d’un Etat mais doté d’institutions, est présidé depuis 2005 par Mahmoud Abbas. L’Autorité palestinienne a perdu le contrôle de la bande de Gaza depuis la prise du pouvoir du Hamas, en juin 2007.

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