Procès de Gafsa: et après ?

Les participants au mouvement de protestation qui a secoué le bassin minier en 2008 ont vu leurs peines légèrement allégées en appel. Mais ce jugement reste sévère aux yeux de la plupart des observateurs.

Publié le 10 février 2009 Lecture : 4 minutes.

Ils étaient trente-huit prévenus, dont une dizaine d’enseignants syndicalistes et une vingtaine de chômeurs, à comparaître, les 3 et 4 février, devant la cour d’appel de Gafsa, à 350 km dans le sud-ouest de la Tunisie, pour leur participation à la protestation sociale qui a secoué, durant le premier semestre de 2008, le bassin minier de Gafsa sur fond de chômage endémique et de népotisme.

Les peines prononcées vont de huit ans de prison ferme à deux ans avec sursis. La plupart des prévenus ont vu leurs peines allégées par rapport aux jugements rendus en première instance, le 11 décembre 2008, hormis cinq d’entre eux, relaxés en première instance et qui ont été condamnés à deux ans avec sursis à la suite d’un appel du ministère public. Selon plusieurs avocats, ce jugement reste néanmoins sévère. « Je suis profondément déçu, a déclaré Mokhtar Trifi, l’un des avocats de la défense et président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH). Nous ne nous y attendions pas, étant donné que pendant les interrogatoires et les plaidoiries, qui se sont déroulés dans de bonnes conditions, nous avions démonté l’échafaudage construit par l’accusation. »

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Les peines les plus lourdes frappent Adnane Hajji, 50 ans, instituteur et charismatique secrétaire général du syndicat de l’enseignement primaire à Redeyef, et son collègue Béchir Labidi, 54 ans. Ils ont écopé chacun de huit ans de prison ferme (contre dix ans en première instance). Les deux syndicalistes ont joué un rôle d’intermédiaires entre les chômeurs en colère et les autorités, et ont négocié des mesures d’apaisement lors de trois rencontres au mois de mai. Devant la cour, Hajji a fait valoir que c’était son rôle de syndicaliste d’encadrer les jeunes qui défendent leur droit au travail, et qu’il avait cherché à calmer le jeu. « Avec les autorités, a-t-il ajouté, nous sommes parvenus à des solutions sur plusieurs points. » Mais, accuse-t-il, des « gens que ça n’arrangeait pas » ont envoyé « des éléments infiltrés » pour provoquer les forces de l’ordre et maintenir la tension. Hajji a même prononcé des noms. On sait par ailleurs qu’il a toujours réclamé des poursuites contre les symboles de la corruption dans la région, qui, dit-il, sont la cause de la détérioration de la situation dans le bassin minier.

Hajji et ses amis ont été jugés pour « appartenance à une bande ; participation à une entente en vue de préparer et commettre une agression contre les biens et les personnes ; participation à une rébellion provoquée par plus de dix personnes avec usage d’armes ; participation à une rébellion provoquée par des discours prononcés dans les lieux et réunions publics, par des affiches, des communiqués et imprimés… » Contrairement à ce qui s’est passé en première instance, les prévenus ont pu s’exprimer longuement et réfuter les charges retenues contre eux, insistant sur le caractère pacifique de leurs protestations. Seize d’entre eux se sont plaints de violences et de tortures durant leur détention, ce que les autorités démentent. Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont demandé le non-lieu en se fondant sur le fait que « le dossier est vide ».

Taux de chômage record

Le bassin minier de Gafsa est une terre au paysage lunaire, aride et quasiment impropre à l’agriculture. Ses principales villes – Redeyef (26 000 habitants), Metlaoui (37 000), Oum el-Araïes (24 000), M’dhila (12 000) – vivent presque exclusivement du travail à la mine, exploitée par la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG, filiale de Groupe chimique tunisien, étatique). Les progrès dans la mécanisation des mines ayant entraîné la suppression de plus de 9 000 postes au cours des deux dernières décennies, la CPG n’emploie plus que 5 000 personnes aujourd’hui. Le taux de chômage dans la région est l’un des plus élevés du pays : plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, qui est de 14 %. Quant au taux de chômage des diplômés du supérieur, il y est estimé à plus de 50 %.

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Le « concours » de recrutement effectué tous les trois ans par la CPG est donc attendu avec impatience. Le 5 janvier 2008, la compagnie met le feu aux poudres en annonçant qu’elle n’a admis que 81 candidats sur un millier. La colère des recalés explose. Ils dénoncent un manque de transparence et accusent les responsables locaux de népotisme et de corruption. Les marches de protestation se succèdent, et les sit-in avec les familles deviennent permanents. Des heurts sporadiques ont lieu avec les forces de police. À Redeyef, on déplore la mort de deux jeunes manifestants : le premier, le 6 mai, accidentellement électrocuté à l’intérieur d’un générateur électrique de la CPG. Le second, le 6 juin, abattu par la police, qui dit avoir riposté aux jets de cocktails Molotov. Il y a eu aussi des dizaines de blessés.

Ben Ali les comprend…

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Le 7 juin, sur ordre du président Ben Ali, l’armée se déploie dans Redeyef. Hajji s’en félicite, mais, contre toute attente, il est arrêté le 22 juin avec plusieurs syndicalistes et chômeurs. La plupart des organisations de la société civile, du barreau jusque dans les milieux politiques de la mouvance présidentielle, leur apportent leur soutien. L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) réclame désormais leur libération. À Redeyef, les jeunes continuent à scander : « Ils nous ont pris Adnane, nous sommes tous des Adnane. »

Pourtant, Ben Ali et les syndicalistes partagent la même analyse quant aux causes de la protestation sociale et aux moyens d’y remédier. S’attaquant aux causes, le président a remplacé le PDG de la CPG, le gouverneur (préfet) de Gafsa et le délégué (sous-préfet) de Redeyef. Le 16 juillet, il a clairement dit que les événements du bassin minier sont « dus à des irrégularités commises par les responsables de la CPG ». Côté remèdes, il a lancé, lors d’une session extraordinaire du conseil général du gouvernorat de Gafsa, toute une batterie de mesures destinées à promouvoir l’investissement et créer des emplois. Alors, pourquoi poursuivre cette guéguerre ? Le recours en cassation prévu par les avocats ne devant pas changer grand-chose, la solution ne serait-elle pas en définitive à chercher en haut lieu ? 

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