Louisa Hanoune: la vie en rouge

Première femme à avoir brigué la magistrature suprême dans un pays arabe, la secrétaire générale du Parti des travailleurs s’apprête à récidiver lors de la présidentielle d’avril. Portrait d’une militante dans l’âme qui s’est imposée sur la scène politique nationale.

Publié le 10 février 2009 Lecture : 7 minutes.

Louisa Hanoune nous reçoit au siège de son parti, à El-Harrach, un quartier populaire d’Alger. C’est un vendredi de décembre, juste avant l’heure de la grande prière hebdomadaire. « Son agenda est chargé », prévient son fidèle lieutenant, Djelloul Djoudi. Rentrée la veille d’un meeting tenu à Oran, la patronne du Parti des travailleurs (PT, d’obédience trotskiste), première femme à avoir brigué la magistrature suprême dans un pays arabe et s’apprêtant à récidiver en avril, a encore la voix enrouée. Emmitouflée dans un manteau marron, un foulard autour du cou, le chignon bien relevé, Louisa Hanoune a les traits tirés. « Ce n’est que le début, confie-t-elle en souriant. Une campagne électorale est une longue bataille, dure et âpre. »

La modestie de sa performance lors de la dernière présidentielle (moins de 2 % des suffrages exprimés) aurait pu la dissuader. Mais cela ne ressemble pas au personnage. « Je suis une battante, dit-elle. La politique de la chaise vide ? Très peu pour moi. Participer à une élection présidentielle, c’est la possibilité de disposer d’une formidable tribune pour faire progresser les idées du parti, défendre la souveraineté nationale et changer le destin des Algériens. Notre pays traverse une grave crise morale, économique et sociale. Nous n’avons pas le droit de déserter le champ de bataille. » Rivale malheureuse d’Abdelaziz Bouteflika en 2004, elle avait eu droit à un message personnel du vainqueur, qui tenait à la féliciter pour la qualité de sa campagne. Son tempérament lui a valu les compliments d’une autre célébrité de la scène médiatique algérienne, l’islamiste Ali Benhadj, qui a dit d’elle : « C’est le seul homme politique en Algérie. » Une formule qui fait sourire cette féministe accomplie. Machistes, les Algériens ? « Ils ne le sont pas, tranche-t-elle, j’ai pu le vérifier lors des meetings que j’anime à travers les quatre coins du pays. Là où je vais, je suis reçue et écoutée avec respect. Si, en Algérie, le statut de la femme est loin d’être parfait, il faut admettre que faire de la politique exige un engagement et une disponibilité de tous les instants. Combien de femmes sont-elles en mesure de consentir de tels sacrifices ? »

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Qu’on adhère ou non à son discours, Louisa Hanoune ne laisse jamais indifférent. « Elle a réussi à s’imposer sur la scène politique, où elle est devenue incontournable, analyse un observateur du sérail algérien. Ses positions en faveur de la démocratie du temps du parti unique lui ont valu plusieurs séjours en prison. Son verbe est tranchant. Elle est capable de développer une fine analyse en usant d’un langage simple, accessible aux illettrés. Redoutable oratrice, elle est crainte par ses adversaires lors des débats contradictoires. Les Algériens nourrissent des sentiments ambivalents à l’égard de leurs concitoyennes. Ils préfèrent les voir aux fourneaux, mais ils les respectent quand elles s’engagent dans un combat politique. »

Jeune rebelle

Originaire de Boudreil, dans la commune de Chekfa, en Petite Kabylie, Louisa Hanoune a vu le jour le 7 avril 1954, quelques mois avant le déclenchement de la guerre d’indépendance. Fille d’un père boulanger et d’une mère au foyer, elle a grandi au sein d’une fratrie de 7 enfants : 4 garçons et 3 filles. Au cours d’une opération de l’armée française, la maison familiale est entièrement détruite. « Cet épisode m’a traumatisée, confesse-t-elle. Ce jour-là, j’ai pris conscience que je ne pourrais jamais me taire face à l’injustice. »

Privée de toit, la famille se réfugie à Annaba, dans l’est du pays, pour commencer une nouvelle vie. À l’indépendance, en juillet 1962, la petite Louisa est scolarisée. Un privilège qui n’était pas à la portée de toutes les filles. D’ailleurs, elle sera la première de sa famille à faire des études. Après un brillant parcours à l’école, au collège et au lycée, Louisa décroche son bac en 1973 avec mention bien. Elle rêve d’un diplôme à l’université, mais son père s’y oppose. « À l’époque, raconte-t-elle, les parents n’acceptaient pas que leurs filles fassent des études supérieures. L’université était perçue comme un lieu de débauche, de perdition. Une fois l’école finie, les filles étaient bonnes à marier. » Ça ne sera pas le cas de Louisa. Encouragée par sa mère, elle s’inscrit à la faculté des sciences juridiques d’Annaba, où elle décroche une licence en droit. C’est dans ce campus que naît sa vocation de militante. L’Algérie des années 1970 baigne dans le lyrisme révolutionnaire tiers-mondiste, suscitant l’engagement politique. « Tout le pays bruissait encore de la guerre de libération, tout le monde parlait de socialisme, de justice, de progrès, se souvient-elle. L’Algérie était à la pointe du combat anti-impérialiste. Nous étions complètement solidaires des Palestiniens, leur cause était la nôtre. Engagée contre l’apartheid en Afrique du Sud, contre la guerre au Vietnam, notre génération a évolué dans cette atmosphère de combat… »

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Premier parti d’opposition

Cet engagement la conduit tout naturellement à rejoindre, en 1981, l’Organisation socialiste des travailleurs (OST), un groupuscule d’extrême gauche clandestin, tout comme l’étaient le Mouvement culturel berbère (MCB) ou le Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), émanation du Parti communiste algérien (PCA). Tous ces opposants au système du parti unique incarné par le Front de libération nationale (FLN) étaient traqués par la police politique de l’époque, la redoutable sécurité militaire (SM). Pour avoir distribué des tracts en faveur de l’instauration de la démocratie, Louisa est arrêtée le 18 décembre 1983. Incarcérée à El-Harrach, puis à Médéa, elle fait six mois de prison, non sans avoir exigé, en vain, le statut de prisonnier politique. Libérée, elle refuse de baisser les bras. Et fonde une association pour la défense et la promotion des droits de la femme. Elle se retrouve parmi les principaux opposants au code de la famille (ironiquement baptisé « code de l’infamie ») adopté en 1984 par les députés. Louisa goûte à nouveau à la prison le 16 octobre 1988, au plus fort des émeutes qui secouent le pays. Enlevée par la SM à l’aéroport d’Alger et détenue dans un lieu secret, elle entend les gémissements et les cris de jeunes manifestants à qui les nervis du régime font subir les pires tortures. « C’était abominable et inadmissible, s’insurge-t-elle encore aujourd’hui. Comment pouvait-on torturer des gamins qui ne faisaient que réclamer le droit de vivre dans la dignité ? »

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Le « chahut de gamins », dixit un apparatchik du FLN, ayant débouché sur l’instauration du multipartisme en 1989, Louisa Hanoune crée le Parti des travailleurs (PT). Vingt ans plus tard, elle n’est pas peu fière de son bilan. « Nous avons 100 000 militants encartés à travers tout le territoire national, annonce-t-elle, et le nombre de nos élus nationaux et locaux nous confère le statut de premier parti d’opposition en Algérie. » Ses détracteurs lui reprochent de servir de lièvre à Abdelaziz Bouteflika, assuré d’être réélu en avril prochain. Une critique que Louisa balaie d’un revers de main. « Le terme de lièvre me fait sourire, s’amuse-t-elle. Je ne suis pas une opposante de service ou de salon. » Il est vrai qu’elle n’est pas tendre quand elle évoque le bilan des deux mandats de Bouteflika. Farouchement antilibérale tout en récusant l’étiquette de trotskiste, elle affirme que les réformes économiques ont conduit le pays dans l’impasse. « La pauvreté, la misère et les inégalités sociales ont progressé d’une manière ahurissante, dénonce-t-elle. Les richesses nationales sont bradées au profit des étrangers. Quant au pouvoir d’achat, il ne cesse de régresser en dépit d’une santé financière insolente. À défaut d’instaurer une véritable économie de marché, on a transformé le pays en bazar. »

Hormis son intense vie publique, on sait peu de chose de Louisa Hanoune, qui refuse obstinément d’évoquer sa vie privée. « Je ne vois pas l’utilité de parler de ma personne, s’agace-t-elle. Mes engagements politiques passent avant le reste. » Si elle reconnaît partager sa vie avec un homme, nul n’en connaît l’identité. Quant aux enfants, elle a fait le choix de ne pas en avoir. Traumatisme familial oblige. « Quand j’étais jeune, j’ai vu ma grande sœur, mère de quatre enfants, répudiée sans aucune raison, raconte-t-elle. Un jour, son mari l’a jetée à la rue. Je me suis juré que pareille mésaventure ne m’arriverait jamais ! »

Louisa Hanoune ne prend pas de vacances – les dernières en date remontent à l’été 1996 pour un séjour en Grèce – et consacre son temps libre à la lecture. En saura-t-on davantage lors de la prochaine campagne électorale ? « Je ne fais pas dans la politique-spectacle, explique-t-elle. Le sensationnel ne m’intéresse pas. Cette présidentielle est une formidable opportunité pour redonner espoir aux Algériens. Il suffit, par exemple, de 5,2 milliards de dollars pour relancer le secteur industriel et créer 600 000 emplois. Avec une enveloppe annuelle de 4 milliards de dollars, on peut augmenter le smig de 12 000 dinars (133 euros), pour le porter à 30 000 dinars. Voilà le langage de vérité que nos compatriotes attendent de leurs responsables. » La campagne électorale sera-t-elle plus intéressante qu’on veut bien le dire ?

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