Mariage forcé à Harare
Un gouvernement d’union nationale doit être formé le 13 février. La cohabitation entre le chef de l’Etat Robert Mugabe et son adversaire Morgan Tsvangirai s’annonce extrêmement périlleuse.
On ne s’attendait pas à un mariage d’amour, mais au moins à un mariage de raison. On a finalement assisté à un mariage forcé. Sans la pression de l’Union africaine et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), jamais le président Robert Mugabe et son principal opposant, Morgan Tsvangirai, n’auraient accepté cette union. Le pays à l’agonie, avec ses dizaines de milliers de malades et ses quelque 3 200 morts du choléra, son inflation délirante et son économie à genoux, avait besoin d’urgence d’un gouvernement, aussi bancal soit-il, pour mettre un terme au drame humain qui se déroule aujourd’hui.
Rien n’est pourtant gagné. La cohabitation entre les deux hommes, le premier restant président et le second occupant le poste de Premier ministre et chef du gouvernement, sera au mieux difficile, au pire impossible. Mugabe et Tsvangirai n’ont pas l’un pour l’autre le minimum de respect que requiert cette gestion partagée du pouvoir. Pis, ils se haïssent.
Robert Mugabe n’a jamais eu de considération pour cet opposant qui n’a pas combattu pendant la guerre d’indépendance et qui a fait ses armes dans le syndicalisme. Il lui reproche aussi de s’être appuyé sur les fermiers blancs, qui ont soutenu financièrement son parti, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC). Et, quand il qualifie Morgan Tsvangirai de « marionnette de l’Occident », ce n’est pas une simple rhétorique anticolonialiste.
Compromis bancal
Le chef du MDC, lui, n’oublie pas les dizaines de ses partisans tués par les forces de Mugabe, les centaines de blessés et les mauvais traitements qu’il a lui-même subis dans les geôles de la police d’Harare. Pour ne pas passer pour un jusqu’au-boutiste, il a accepté ce compromis bancal.
Dans ce gouvernement d’union, Morgan Tsvangirai joue sa crédibilité. Il devra s’attaquer au plus vite à quelques défis majeurs : mettre enfin sous contrôle l’épidémie de choléra, rétablir la distribution d’eau potable, assurer l’accès des Zimbabwéens à l’aide internationale en attendant que la population puisse à nouveau se nourrir, remettre les fonctionnaires au travail dans les secteurs clés de la santé et de l’éducation.
Toute décision sera l’objet d’un bras de fer, il le sait. Le MDC, par exemple, s’est très clairement prononcé contre le maintien à son poste du gouverneur de la Banque centrale Gideon Gono, le banquier de Mugabe, incapable d’enrayer la chute abyssale du dollar zimbabwéen. Récemment reconduit à son poste par le chef de l’État, Gono vient d’ôter pour la énième fois 12 zéros à la monnaie qu’il continue d’imprimer sans compter.
Le gouverneur, qui garantit à Mugabe et à sa clique l’accès aux précieuses devises étrangères qui font cruellement défaut à l’économie nationale, ne manque pas d’un certain cynisme. Dans une récente interview à l’hebdomadaire américain Newsweek, il se qualifie de « modeste artisan de la stratégie de survie » de son pays. « Ce qui me motive et qui me donne espoir dans le lendemain, c’est que je sais que ça ne peut pas être pire », dit-il en livrant ses prévisions pour l’année 2009. Si le MDC parvient à mettre Gono à la retraite, il marquera un point déterminant face à Mugabe.
Morgan Tsvangirai aura pour lui le soutien moral et financier de la communauté internationale, même s’il ne faut pas s’attendre à une soudaine pluie de milliards. Les bailleurs de fonds attendent des gages sur le bon fonctionnement de ce gouvernement d’union. Déjà les partenaires extérieurs se montrent circonspects. Les Américains ont fait savoir qu’ils étaient « sceptiques », même s’ils renoncent provisoirement à exiger le départ de Mugabe. Les Britanniques ont annoncé le maintien des sanctions, tout comme l’Union européenne. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a reconnu que l’accord était « imparfait ». Il a également demandé la libération des prisonniers politiques, une trentaine de militants de l’opposition étant toujours détenus.
Accord imparfait
Un comité de surveillance de l’accord a été mis en place dès le 3 février. Cet organe, qui est censé aplanir les divergences, est composé de représentants du MDC, de la faction dissidente du MDC, dirigée par Arthur Mutambara, et de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-FP, au pouvoir). La Zanu y a placé des hommes de poids, comme Patrick Chinamasa, le ministre de la Justice, qui a conduit les négociations avec le MDC et Emmerson Mnangagwa, ancien président de l’Assemblée et dauphin possible de Mugabe. Ce comité doit veiller au respect d’un accord, conclu à l’arraché, et qui reste sur bien des points assez flou. Le très disputé ministère de l’Intérieur, par exemple, sera dirigé par deux ministres – l’un du MDC, l’autre de la Zanu – sans que le détail de cette cohabitation ait été défini.
Dans ce système de partage du pouvoir, Tsvangirai a beaucoup à perdre. Il focalise tous les espoirs d’une population aux abois, et n’a qu’une très étroite marge de manœuvre. Participer à ce gouvernement, c’est prendre le risque de décevoir mais aussi d’affaiblir son parti, qui a déjà connu une scission il y a quelques années, et qui aujourd’hui est divisé sur l’opportunité d’entrer dans ce gouvernement d’union.
Mugabe, en revanche, n’a pas grand-chose à perdre. Il a déjà irrémédiablement entaché sa réputation de héros de la libération et de dirigeant éclairé pour rejoindre, lentement mais sûrement, les rangs des chefs d’État que l’ivresse du pouvoir a rendus sourds et aveugles. Il a perdu les élections mais se retrouve aujourd’hui, par cet accord, légitimé à son poste de président. Il a encore une fois imposé à la SADC, qu’il manipule et méprise à la fois, un règlement de crise qui lui convient.
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