Fesci, syndicat ou mafia ?
Régnant sans partage sur l’université, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire est critiqué pour sa violence et ses pratiques douteuses. L’organisation a beau avoir mis de l’ordre dans ses rangs, elle continue à faire peur.
Le secrétaire général de la Fesci fulmine. Et menace. Alors que le syndicat, réputé proche du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir) n’a pas mené de grandes campagnes pour la cause étudiante depuis l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, Augustin Mian, étudiant de 31 ans inscrit en maîtrise de droit, n’exclut pas de recourir à la grève. Motif : les frais d’inscription à l’université, qui devraient prochainement passer à 50 000 F CFA, un tarif unique, alors qu’ils s’échelonnaient jusqu’ici de 7 000 à 10 000 F CFA selon le niveau d’études.
« Il faut pas nous fatiguer avec cette affaire de frais de scolarité. On subit déjà des retards dans le versement des bourses, les restaurants universitaires ne fonctionnent pas, les cités U sont délabrées et on veut nous faire payer 50 000 F CFA d’inscription. Ce n’est pas possible ! » vocifère le leader de la Fesci. Qui regrette que son organisation n’ait pas été invitée à des négociations préalables à l’adoption de ces nouveaux tarifs. Pour ses détracteurs, la Fesci fait plutôt preuve d’hypocrisie. « En fait, ce que ses responsables veulent négocier, c’est la part que le syndicat va prélever sur ces frais d’inscription », lance Patrick N’Gouan, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho). Depuis plusieurs semaines, différentes sources à Abidjan font effectivement état de discussions avec les autorités de tutelle pour l’obtention d’une « dîme » par le syndicat. La rumeur est d’autant plus plausible que celui-ci a la réputation de racketter les étudiants.
Sur les campus, la Fesci se comporte en véritable mafia, un terme employé par Human Rights Watch (HRW) ou la Lidho, mais aussi par le président Laurent Gbagbo lui-même. En mai dernier, le chef de l’État a en effet demandé aux étudiants d’« abandonner pour toujours la violence, le banditisme et la mafia », ajoutant : « Sachez que je ne défends pas les bandits, je défends les futurs cadres du pays. »
Il n’empêche. C’est dans une totale impunité que la Fesci continue à régner, par la terreur, dans les universités, les campus et même les lycées. Au mois de janvier, pas moins de trois incidents sérieux ont défrayé la chronique. Entre le 12 et le 14, aux « 220 Logements », dans la commune d’Adjamé, les « fescistes » ont affronté à coups de gourdins et de machettes des jeunes du quartier. Il a fallu l’intervention massive des forces de l’ordre pour calmer le jeu.
Le 14, alors que la situation se calmait à Adjamé, des accrochages se sont produits à Yopougon entre des membres de la Fesci et des lycéens appartenant à l’Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Ageeci). Quatre jours plus tard, le 18, des représentants du Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) qui enquêtaient sur ces incidents ont été agressés. L’Ageeci est considérée par la Fesci comme proche de l’ex-rébellion qui tient le nord du pays. Depuis la création de ce mouvement en 2004, son fondateur, Habib Hobo, a été tué, une militante violée et plusieurs autres syndicalistes bastonnés. Enfin, le 22 janvier, à Yamoussoukro, ce sont des membres du « Collectif étudiants des grandes écoles » qui ont été attaqués. Bilan : cinq blessés, dont deux sérieusement. La plupart du temps, la réponse de la police ou de la justice est quasi inexistante.
En toute Impunité
« En mai 2007, quand la Fesci est venue saccager les locaux de la Lidho, nous avons prévenu la police. Ses agents se sont contentés de regarder les casseurs prendre le matériel pour l’emmener à la cité U de Mermoz. On a déposé une plainte, mais celle-ci est évidemment restée sans suite », raconte Patrick N’Gouan. Aux yeux des étudiants fescistes, la Lidho avait commis un crime en autorisant les enseignants, alors en grève, à se réunir dans ses locaux, le syndicat étudiant leur ayant interdit d’organiser la rencontre à l’université. « Notre siège est situé dans le quartier Mermoz, et ils considèrent qu’on est sur leur territoire. Ils nous ont même demandé de déménager », poursuit le président de la Lidho.
« Nous sommes certes des êtres humains, nous avons notre intelligence mais nous avons aussi un côté bestial », expliquait en 2005 l’un des plus célèbres « parrains » du mouvement, Kouakou Brou, alias Maréchal KB, dans une interview au quotidien Fraternité matin. Selon HRW, KB est considéré comme le « dirigeant militaire » de la Fédération.
Pour conforter sa mainmise sur l’université, la Fesci manie depuis longtemps violences et intimidations. De graves incidents ont opposé à la fin des années 1990 deux tendances concurrentes – l’une proche du FPI, l’autre du Rassemblement des républicains (RDR). Les différends se sont réglés à la machette. Depuis 2002, la culture de la violence n’a fait que se renforcer.
En décembre, le Cecos (Centre de commandement des opérations de sécurité), une unité d’élite de la police, a découvert une cache d’armes lors d’une perquisition à la cité U de Cocody. Les basses besognes sont confiées aux « antichambristes », petites frappes du mouvement qui patrouillent, selon des témoins, avec un sac à dos contenant couteaux, machettes et autres armes. « Les antichambristes existent, se défend Augustin Mian. Mais c’est juste un nom que l’on donne aux jeunes du mouvement, qui attendent leur tour dans l’antichambre. Ils n’ont aucun rôle particulier. »
« C’est vrai qu’il y a eu des dérapages dans la vie de notre mouvement, je le reconnais. Mais le contexte n’est plus le même, les temps ont changé », plaide Mian. Les accrochages de la mi-janvier à Adjamé ? « Des provocations. » L’agression des lycéens à Yopougon ? « Une bagarre entre camarades. » Bref, à l’entendre, la Fesci serait redevenue, sous son égide, une institution respectable. « Nous avons été invités dans le bureau du chef de l’Onuci [Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire], c’est bien la preuve que nous ne sommes pas une mafia. L’ONU ne discute pas avec des mafias », argumente le secrétaire général. On ne voit pas très bien non plus pourquoi l’Onuci aurait besoin de consulter le secrétaire général d’un syndicat estudiantin si celui-ci se cantonnait à son rôle de défense des intérêts des étudiants. Le 10 octobre dernier, par exemple, la Fesci s’est illustrée en organisant le saccage de trois centres d’inscription sur les listes électorales, souligne un rapport de l’ONU.
Profil bas
Le syndicat a une organisation et un vocabulaire inspirés de l’univers militaire avec des secrétaires généraux qui se font appeler « général », un siège administratif surnommé « le Pentagone », et un quartier général baptisé « le Commandement supérieur ». Dans une enquête publiée en mai 2008, HRW détaille la façon dont la Fesci a mis les campus en coupe réglée, ce que nie en bloc Augustin Mian. Mais selon l’ONG, les petits commerçants doivent payer un « quota » s’ils veulent travailler aux abords des cités universitaires ou des campus. Parfois ce sont des fescistes eux-mêmes qui installent des commerces, des buvettes, voire une boîte de nuit comme le fameux « Marais », à la Cité rouge. Selon la Lidho, le syndicat prélèverait aussi des taxes sur les bourses, et aurait pris en charge la collecte des loyers des chambres universitaires. La Fesci ferait ainsi payer 20 000 F CFA par chambre au lieu du tarif officiel, fixé à 6 000 F CFA. Certains fescistes se permettraient également de téléphoner, manger et boire dans les commerces d’alentour sans jamais régler l’ardoise.
Les étudiants n’ont pas vraiment le choix. Ils doivent être membres du syndicat pour bénéficier de certains droits. Sinon, ils doivent se faire extrêmement discrets. Les autres mouvements de jeunesse ont bien du mal à exister sur les campus. La Fesci « a imposé la pensée unique par la terreur », expliquait le 29 janvier dernier Kouadio Konan Bertin, dit KKB, président des jeunesses du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dans un entretien au journal Le Nouveau Réveil. Selon lui, les étudiants, s’ils ne sont pas membres du FPI, « ne peuvent afficher leur militantisme au grand jour ». « À chaque fois que nous avons essayé de mobiliser les jeunes, ceux-ci étaient virés de leur chambre dès le lendemain, voire blessés ou tués. Je ne peux pas envoyer les jeunes du PDCI à l’abattoir », ajoute KKB. La Fesci ? « Ce sont les escadrons de la terreur », confiait récemment un cadre du FPI.
Depuis la signature des accords de Ouagadougou, le 4 mars 2007, le mouvement fait plutôt profil bas. Pas question de nuire aux intérêts du chef de l’État, qui reste le grand parrain de l’organisation étudiante, et qui, pour le moment, joue l’apaisement. La Fesci pourtant, estime Patrick N’Gouan, « peut paralyser le processus électoral. On parle de démobiliser les milices, mais il faudrait commencer par la Fesci », conclut-il.
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