Kadhafi, visage de l’Afrique

Publié le 9 février 2009 Lecture : 5 minutes.

L’événement pourrait se révéler lourd de conséquences négatives pour le continent africain, et peut-être même au-delà…

Je veux parler de la décision, prise inconsidérément par les chefs d’État africains réunis en sommet, au début de ce mois, à Addis-Abeba (voir pp. 34-39) de confier, pour un an, la présidence de leur organisation, l’Union africaine (UA), au colonel Mouammar Kadhafi.

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Maître depuis près de quarante ans de la Libye, le colonel a obtenu ce dont il rêvait. Mais l’UA se trouve, elle, enfermée dans un nœud inextricable de contradictions.

Jugez-en :

1- Mouammar Kadhafi a pris le pouvoir le 1er septembre 1969 par un coup d’État.

À l’époque, cette pratique était courante en Amérique du Sud, en Afrique et dans le monde arabe. Mais Kadhafi, lui, a le culot de se maintenir au pouvoir depuis près de quarante ans sans s’être jamais prêté à une élection : il professe en effet et affiche même le plus grand mépris pour les valeurs et les rites de la démocratie ; il va jusqu’à déconseiller, à qui veut l’entendre, de les embrasser.

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Or l’organisation dont il reçoit la présidence pour un an s’est donné pour doctrine de décourager les coups d’État, d’exclure les pays où ils interviennent, de peser pour que la totalité de ses membres soit dotée de gouvernements issus d’élections contradictoires, libres et transparentes.

Pourra-t-elle, au cours de l’année de la présidence Kadhafi, appliquer sa doctrine à la Mauritanie, à la Guinée, au Zimbabwe ou à la Côte d’Ivoire, alors que son président soutient ouvertement les pouvoirs en délicatesse avec les impératifs constitutionnels ?

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Ou bien verrons-nous le président de la Commission africaine, Jean Ping, et celui de l’UA soutenir des thèses opposées ?

Quoi qu’il en soit, on n’imagine pas un Kadhafi rabrouant les auteurs d’un coup d’État au risque de se voir rappeler sa propre turpitude.

2- S’étant déchargé de toute responsabilité de gestion dans son propre pays, Kadhafi a beaucoup de temps libre. À l’inverse de ses prédécesseurs, il pourra donc, s’il le veut, consacrer tout son temps à sa nouvelle fonction de président de l’Union.

Il voudra, j’en suis sûr, cogérer l’Union avec le président de la Commission : bien que diplomate, ce dernier, Jean Ping, acceptera-t-il d’être rétrogradé au rang de « collaborateur » d’un président hégémonique ?

3- Mouammar Kadhafi a dépensé beaucoup de temps, d’argent – et de talent – à faire croire qu’il est un panafricain sincère et authentique. Il militerait par conviction idéologique pour les États-Unis d’Afrique, s’inscrivant ainsi dans la lignée de Kwame Nkrumah et des autres pères fondateurs du panafricanisme.

C’est à mon avis une imposture, le dernier avatar dans la longue histoire d’un homme caméléon : n’a-t-il pas été successivement panarabe, panmaghrébin, révolutionnaire mondial, terroriste universel… ?

Ce mégalomane, qui n’aime rien tant que faire parler de lui, n’a-t-il pas gaspillé par centaines de millions de dollars l’argent de son pays afin d’accumuler des « armes de destruction massive » pour ensuite, par crainte de subir le destin de Saddam Hussein, les livrer aux Américains, avec en prime les noms et adresses de ses fournisseurs ?

Kadhafi est bien connu pour ses volte-face, ses virages à 180 degrés : il abandonne une idéologie dès qu’il en a épuisé les charmes ou lorsqu’il constate que la monture qu’il a enfourchée s’essouffle. Ce politicien doué et amoral laissera donc tomber le panafricanisme sans aucun état d’âme le jour où se présentera à lui une autre voie qui lui paraîtra plus prometteuse.

4- Un sage a énoncé : « Ce que vous êtes parle si fort que je n’entends pas ce que vous dites. »

De fait, l’apparence physique de Mouammar Kadhafi, celle qu’il a prise avec l’âge, intrigue les psychologues, dont certains en arrivent à s’interroger sur son équilibre mental : Pourquoi change-t-il de tenue vestimentaire plusieurs fois par jour ? Pourquoi les ensembles dont il aime se vêtir sont-ils de plus en plus bariolés, un compromis pas toujours heureux entre ce qui se porte en Libye, en Italie, au Sud-Sahara et dans les pays arabes ?

Je m’arrête ici un instant pour m’adresser plus particulièrement à ceux de mes lecteurs qui pourraient me juger trop sévère avec Kadhafi et penser que mon analyse est faussée par une antipathie personnelle.

Je leur assure qu’il n’en est rien et que, s’agissant des dirigeants politiques, j’ai pris pour règle, depuis longtemps, de les juger sur leurs actes, pas sur leurs discours. Le risque de se tromper est d’ailleurs très faible, voire inexistant, quand un dirigeant exerce le pouvoir depuis dix ou vingt ans.

Lorsque, comme c’est le cas de Kadhafi, l’homme sur lequel vous avez à vous prononcer a exercé sur son pays un pouvoir absolu pendant plus de trente-neuf ans et qu’il a disposé pendant tout ce temps-là de ressources financières très importantes, l’appréciation que vous portez sur ce qu’il a accompli ou raté ne présente aucune difficulté et vous pouvez, en toute quiétude, émettre un jugement et sans appel.

Mouammar Kadhafi a, en 1969, libéré la Libye d’une monarchie rétrograde, débonnaire mais corrompue. Il était alors un jeune officier, ardent nationaliste d’une indiscutable sincérité.

Mais l’exercice prolongé du pouvoir l’a peu à peu transformé. Le colonel putschiste a éliminé ou marginalisé ses premiers compagnons (qu’il surpassait de plusieurs coudées) et a conquis tous les rouages de l’État.

Les années passant, l’autocrate qu’il est devenu s’est entouré d’une bande de profiteurs dont certains ont été impliqués dans des assassinats, individuels et même collectifs.

Lui et les siens ont accaparé l’argent du pétrole et l’ont dépensé sans aucun contrôle juridique ou comptable. Ils ont exercé sur leur pays un pouvoir dictatorial qu’ils ont su conserver à ce jour.

Qu’ont-ils fait de la Libye en près de quarante ans ? Quels progrès lui ont-ils fait accomplir ? Ont-ils apporté à leur peuple un peu de bonheur ? L’argent du pétrole a-t-il servi à moderniser le pays ?

Non, trois fois non.

À la veille de marquer le quarantième anniversaire du régime Kadhafi, la Libye n’a pas de système éducatif ni de système de santé dignes de ce nom. Elle n’a pas non plus de politique économique stable et lisible.

Sa politique étrangère ? Elle en change tous les quatre ou cinq ans, selon les coûteuses lubies et les revirements de son « Guide ».

Vous pouvez chercher : à part le fait qu’il a su beaucoup faire parler de lui, il n’y a rien de positif dans le bilan de Kadhafi. Les quarante ans de son règne sans partage sont pour le malheureux peuple libyen des décennies perdues – et un temps de malheur.

Vous comprenez maintenant, j’espère, pourquoi je m’inquiète de voir le responsable de cette contre-performance et de ce bilan calamiteux personnifier l’Afrique et parler en son nom.

Qu’après avoir si longtemps tyrannisé le peuple libyen cet homme soit parvenu à être, fût-ce pour un an, le visage et la voix des Africains est, à mes yeux, un signe de plus que nous sommes en grave crise.

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