Le pèlerin et le philosophe

Publié le 3 février 2009 Lecture : 2 minutes.

NUL N’EST PROPHETE EN SON PAYS. C’est ce qu’a dû se dire le nouveau maire de Rotterdam à l’issue de son premier conseil municipal, il y a quelques jours. Ahmed Aboutaleb y fut vivement pris à partie par la conseillère municipale Salima Belhaj. Cette jeune femme d’origine marocaine – elle aussi – représente un parti rival du parti socialiste auquel appartient Aboutaleb.

Salima s’opposait-elle au programme du nouveau maire ? Critiquait-elle ses formulations parfois rugueuses ? Que nenni : elle lui reprochait de mal prononcer son nom. Et maintenant accrochez-vous, l’histoire devient bizarre. Aboutaleb a effectivement cité plusieurs fois sa collègue. Il l’a fait courtoisement mais en la désignant par « madame Belhaj » – prononciation à la marocaine ou à la française, comme ça s’écrit. Mais il faut savoir qu’en néerlandais le j se prononce y. Les Hollandais, sans y entendre malice, nomment donc la jeune femme « Belhay ». C’est une erreur. Ahmed pensait faire plaisir à Salima en lui rendant son nom, en quelque sorte. Eh bien, pas du tout ! Elle lui passa un savon et exigea qu’il prononce désormais « Belhay », comme le font les « têtes de fromage » – c’est ainsi qu’on désigne aux Pays-Bas les autochtones hollandais.

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Une erreur commise par le plus grand nombre n’en est plus une, assurent certains linguistes. Mais en l’occurrence, c’est la « victime » de l’erreur qui demande qu’elle se perpétue ! Ça, c’est inhabituel. Jusqu’ici, on n’avait jamais vu quelqu’un se faire enguirlander pour avoir prononcé un mot de manière correcte. Si on veut aller plus loin et faire de l’analyse sémantique, au risque de la cuistrerie, on peut relever ceci : Belhaj signifie « le fils du pèlerin » en arabe et Belhay sonne comme Ibn al-Hayy, soit « le fils du vivant ». Or l’un des grands classiques de la littérature arabe s’intitule Hayy Ibn Yaqdhân, soit « Vivant, fils de Vigilant » – c’est le nom de son personnage principal. Le message central de cette robinsonnade avant la lettre du grand philosophe Ibn Tofayl est que l’homme doit faire usage de sa raison et se méfier des vérités soi-disant « révélées ».

Dame Belhaj sait-elle tout cela ? En tout cas, sa protestation a des résonances bien plus profondes qu’on ne pourrait le croire à première vue. Vaut-il mieux être le fils (ou la fille) d’un hajj, d’un homme pieux qui a accompli le pèlerinage de La Mecque, fût-il mort ; ou vaut-il mieux être fils d’un vivant, et peut-être même de l’extraordinaire Hayy Ibn Yaqdhân qui, seul sur son île déserte, découvrit tout seul tous les secrets de la nature, sans l’aide d’aucun Livre révélé, ni Bible, ni Coran ? Vaste débat. Et toujours très actuel…

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