L’imagination au pouvoir

L’auteur sud-africain naturalisé australienâJ. M. Coetzee livre une étonnante partition à trois voix pour exalter le genre romanesque.

Publié le 5 février 2009 Lecture : 2 minutes.

Ancien étudiant en mathématiques, ancien programmeur chez IBM et auteur d’une thèse de linguistique, l’écrivain d’origine sud-africaine John Maxwell Coetzee a une approche austère de la littérature. Phrases épurées, vocabulaire pesé avec précision, rythme neutre – pour ne pas dire froid. À première vue, Journal d’une année noire ne déroge pas à la règle, loin de là. Si l’éditeur précise qu’il s’agit bien d’un roman, le lecteur hésite à qualifier ainsi l’objet littéraire non identifié qu’il tient entre les mains. Ledit journal est tout à fait insolite dans sa présentation.

Les pages apparaissent divisées horizontalement en trois portions d’inégales longueurs qui peuvent se lire indépendamment les unes des autres… ou pas. La première partie est une série d’essais politiquement incorrects rédigés sur divers sujets d’actualité – le terrorisme, Guantánamo, la pédophilie, la grippe aviaire – par un écrivain vieillissant dont seule une initiale est dévoilée : « C. »

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La deuxième partie est constituée des états d’âme dudit C. à propos de la jeune femme, Anya, qu’il a embauchée pour taper son manuscrit. Quant à la troisième partie, c’est le point de vue de la belle dactylo sur C. et ses « opinions tranchées ». Anya se présente ainsi : « Comme je le croise, chargé de son panier à linge à laver, je ne manque pas de tortiller du cul, mon petit cul appétissant, étroitement moulé dans mon jean. Si j’étais un homme, je ne pourrais pas me quitter des yeux. »

Ce Journal d’une année noire se révèle vite bien moins austère qu’il n’en avait l’air. Avec son enthousiasme, son bon sens, ses critiques, son humour, sa vitalité, Anya l’aguicheuse va devenir le moteur de l’histoire. Celle par qui l’imagination renaît pour un romancier vieillissant qui fait penser à un certain J.M. Coetzee, 68 ans, Prix Nobel de littérature en 2003 et tout nouveau citoyen australien. Intervient ensuite un autre personnage, le petit ami d’Anya, golden boy sûr de lui qui ne se gêne pas pour donner aussi son avis.

Et voilà qu’au beau milieu du livre tous les textes se contaminent. Les frontières artificiellement construites par Coetzee explosent : les idées s’incarnent et les personnages les font vivre au gré de leurs propres contradictions. Les « opinions tranchées » de C. deviennent des confidences sur la vie, des « opinions adoucies » sur le vieillissement, l’amour, le sexe, l’art, les oiseaux… Et l’allumeuse Anya se laisse gagner par la tendresse en découvrant l’homme derrière l’écrivain.

Comme son titre ne l’indique pas, ce Journal d’une année noire est, au fond, un livre optimiste jeté au visage d’une époque difficile. Célébrant la victoire du roman sur le monde éthéré des idées, il dit surtout les ressources de l’humanité et l’inventivité de la vie.

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