La concurrence bat son plein en Afrique de l’Ouest

Sur un marché tendu, marqué par la flambée des prix et une baisse de la consommation, les outsiders – Ghana, Nigeria, Cameroun… – veulent tirer profit des difficultés actuelles du leader mondial ivoirien.

Publié le 5 février 2009 Lecture : 6 minutes.

«Planter du cacao, c’est semer de la poussière d’or pour récolter des lingots. » Les producteurs africains feraient bien de réfléchir à cet aphorisme du romancier brésilien Jorge Amado (Tocaia Grande) à l’heure où les cours mondiaux de la fève ont atteint des niveaux qu’ils n’avaient plus connus depuis vingt-trois ans. La semaine dernière à New York, la tonne flirtait avec les 2 600 dollars et les bookmakers pariaient sur le franchissement rapide du cap des 3 000 dollars. Une situation assez paradoxale alors que tous les experts misent sur une baisse de la consommation mondiale de chocolat, qui devrait tourner autour de 3,7 millions de tonnes en 2009, provoquée par les effets de la crise financière et économique sur le pouvoir d’achat.

Ce n’est pas la seule raison. La récolte est en légère baisse au Brésil et les maladies qui ont frappé les plantations ne permettront vraisemblablement pas à l’Indonésie d’atteindre les 600 000 tonnes (17 % de la production mondiale). Mais ce sont surtout les perspectives d’une baisse de la production en Afrique de l’Ouest, près de 65 % de la récolte mondiale, qui ont entraîné une brusque vague d’achats. « Les arrivages de fèves dans les ports ivoiriens d’Abidjan et de San Pedro sont en baisse de 30 %. La production mondiale (3,6 millions de tonnes) sera inférieure à la consommation cette année. Il est donc naturel que les prix grimpent », indique Laurent Pipitone, de la division économique et des statistiques à l’Organisation internationale du cacao (ICCO), qui regroupe les pays producteurs et consommateurs. S’il est encore tôt pour connaître l’ampleur exacte du déficit, certaines analyses, comme celle la banque Fortis, parlent déjà d’un manque de 45 000 tonnes quand d’autres parlent de plus de 100 000 tonnes. La récolte ivoirienne pour la campagne actuelle, qui représente d’habitude 40 % de la production mondiale, serait en forte baisse, à 1,1 million de tonnes, soit 265 000 tonnes de moins que l’année précédente. Autre handicap : la chute de la qualité : 17 % des fèves produites ne répondraient pas aux normes, contre 5 % au début des années 2000.

la suite après cette publicité

REFORME ATTENDUE DE LA FILIERE IVOIRIENNE

Des mauvaises performances qui ne sont que le reflet de la gestion approximative d’une filière confiée aux représentants des paysans depuis la libéralisation des activités, intervenue en 1999. Les objectifs n’ont jamais été atteints. Grèves à répétition, malversations financières, quasi-absence d’encadrement, graves problèmes fonciers allant jusqu’à la mort de certains producteurs étrangers… Confrontés à une forte hausse de la fiscalité du cacao, les planteurs « les plus taxés du monde » ont délaissé l’entretien des vergers et privilégié les volumes. Les problèmes de terres entre autochtones et allogènes ont également réduit les velléités de renouvellement des plantations. « Confinée à l’est du pays, la boucle du cacao s’est déplacée vers l’ouest selon une même logique : la migration des hommes qui viennent défricher des pans de forêts pour y installer leurs vergers. Mais ceux qui prennent le risque de s’installer sont rares, en raison de l’insécurité foncière. Si rien n’est fait, la production pourrait tomber à 500 000 ou 600 000 tonnes dans quelques années et la Côte d’Ivoire ne sera plus le premier producteur mondial », estime François Ruf, spécialiste du cacao au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Les bailleurs de fonds ont subordonné l’annulation de la dette ivoirienne à une réforme profonde de la filière. Pour montrer leur bonne foi, les autorités ont entamé une grande lessive devant mettre fin aux dérives. À la demande du chef de l’État, le procureur de la République a diligenté une enquête qui a conduit à l’incarcération provisoire pour « détournement de fonds et abus de biens sociaux » de vingt-trois dirigeants des structures de gestion de la filière, en attente de jugement. Fin décembre, le ministre de l’Économie et des Finances, Charles Diby Koffi, et son homologue de l’Agriculture ont écrit à Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale. Un courrier sur « la politique de développement de la filière café-cacao » dont Jeune Afrique a eu copie. Les autorités proposent de limiter la taxation à 22 % du prix CAF (Cost and Fret, aujourd’hui supérieure à 40 %) d’ici à 2011, de relancer la recherche, mieux former l’encadrement… « Les intentions sont bonnes, comme toujours. Maintenant, il faut trouver et mettre en place les dispositifs adéquats pour les réaliser sous peine de voir les paysans se tourner vers d’autres cultures », explique un diplomate. C’est déjà le cas. « J’ai remplacé plusieurs hectares de cacao par de l’hévéa, explique un jeune agriculteur. La Saph [Société africaine de plantation d’hévéa] assure l’encadrement et nous donne un revenu mensuel. »

L’AFRIQUE DISTANCE SES CONCURRENTS

la suite après cette publicité

Des déboires dont entend bien profiter le Ghana pour ravir la place de premier producteur mondial à la Côte d’Ivoire. Depuis 2000, la récolte du voisin anglophone n’a cessé d’augmenter pour atteindre aujourd’hui entre 600 000 et 700 000 tonnes. L’ambition est de produire plus de 1 million de tonnes de cacao en 2010 et d’en transformer 50 % sur place. Contrairement à la Côte d’Ivoire, le Ghana n’a pas libéralisé totalement la filière. La Cocobod, entreprise étatique, gère les exportations et fixe le prix au producteur. Et, surtout, la fiscalité est beaucoup moins lourde. « Le paysan touche environ 70 % du prix à l’export alors que son voisin ivoirien ne dépasse pas les 40 %. La volonté politique est également très présente. Pendant toute la présidence de John Kufuor, les autorités ont financé le traitement des vergers », explique-t-on à la Banque mondiale. Le cacao a rapporté 1,5 milliard de dollars au pays en 2008, ce qui en fait la deuxième source de revenus juste derrière l’or. Les autorités encouragent l’installation des industriels. Cargill et Archer Daniels Midland (ADM) investissent massivement autour des ports de Takoradi et de Tema. Près de 500 000 tonnes de fèves seront traitées localement.

« On assiste également à une dynamique de plantations dans le sud-est du Nigeria et le sud-ouest du Cameroun », précise François Ruf, du Cirad. De 160 000 tonnes sur la campagne 2006-2007, la production nigériane devrait passer à 240 000 tonnes cette année, avec un objectif de 600 000 tonnes dans deux ans. Environ 25 % des fèves sont transformées sur place. Au Cameroun, la filière reprend également des couleurs après avoir traversé une lente agonie, qui a fait descendre la production autour des 100 000 tonnes. Quelque 190 000 tonnes devraient être produites pour cette saison. La flambée des cours est répercutée. « Nous avons vendu le kilo à plus de 1 000 F CFA au début de janvier. On attend actuellement qu’il monte jusqu’à 1 300 F CFA », explique un planteur installé dans le sud du pays. Les producteurs ivoiriens ont touché moins de 500 F CFA le kilo en début de campagne.

la suite après cette publicité

Profitant de l’embellie des cours, plusieurs autres pays africains (Tanzanie, Ouganda, Togo, Liberia…) ont manifesté leur volonté de développer la production. Ce serait d’autant plus opportun qu’en Indonésie les récoltes stagnent autour de 500 000 tonnes par an, en raison des maladies. Quant à l’Amérique du Sud, sa part dans la production mondiale est passée de 15 % à 12 % en dix ans. Bref, l’industrie chocolatière compte sur l’Afrique pour faire face à l’essor de la demande. « Tout le monde s’accorde à dire qu’il est impératif de créer de nouvelles plantations. Mais il est de moins en moins facile d’organiser la migration des agriculteurs et cela devient de plus en politiquement incorrect de défricher la forêt », remarque François Ruf. Il existe néanmoins des solutions alternatives comme le renouvellement du verger ivoirien. Mais cela implique des coûts additionnels en matière de fertilisation et d’entretien, une plantation n’étant jamais aussi productive que sur un sol forestier. Un risque que les paysans ne sont pas prêts à prendre sans subventions ni appui technique.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires