Un dauphin sous surveillance

Issus de la famille, des tribus alliées, des Comités révolutionnaires ou de la nomenclature sécuritaire et militaire, cinq hommes tiennent les rênes du pouvoir dans l’ombre de Kadhafi. Et pèsent de tout leur poids sur les orientations de Seif el-Islam, successeur putatif du « Guide ».

Publié le 5 février 2009 Lecture : 7 minutes.

Le compte à rebours a commencé. Après avoir été adoubé par Washington, où il s’est rendu en novembre 2008, Seif el-Islam Kadhafi, 37 ans, successeur putatif du « Guide », s’est vu délivrer un satisfecit par Ahmed Ibrahim, l’un des fondateurs des Comités révolutionnaires. Hostile aux velléités réformatrices de Seif, le leader de la vieille garde a fini par hisser le drapeau blanc. La voie est désormais ouverte à la concrétisation des réformes politiques qui permettraient à Seif de coiffer au poteau son frère Mootassem dans la course, non déclarée, à la succession. À la clé, un projet de Constitution en cours de finalisation sur lequel travaillent, depuis décembre, des experts gouvernementaux avec le concours de conseillers anglo-saxons. Seif veut marquer le quarantième anniversaire de l’accession de son père au pouvoir par l’adoption, en septembre prochain, d’une Loi fondamentale censée faire de la Libye, pour la première fois depuis l’abrogation de la Constitution monarchique, en 1969, un État de droit. Le projet est basé sur la doctrine du « Guide » amendée par des idées « réformistes » de Seif. Il devrait notamment prévoir un mécanisme pour l’élection d’un chef de l’État, fonction qui n’existe pas sur le plan formel, tous les pouvoirs étant de facto concentrés entre les mains de Kadhafi depuis bientôt quarante ans.

Ces élections se dérouleraient dans le cadre des structures de « pouvoir populaire » mises en place par Kadhafi et qui, en pratique, rappellent les systèmes autoritaires à parti unique. Il n’est donc pas question de candidature(s) qui ne soient approuvées par le « Guide ». Au moins cinq hommes, issus de la famille, des tribus alliées, des Comités révolutionnaires ou de la nomenclature sécuritaire et militaire, tiennent les rênes du pouvoir dans l’ombre de Kadhafi. Et sont, plus que jamais, des pièces maîtresses dans la partie qui se joue.

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Ahmed Ibrahim, 52 ans, était le principal obstacle à toute réforme du fait de sa position, tant sur le plan idéologique que familial, tribal ou organisationnel, au point d’avoir fait figure de dauphin à une certaine époque. Cet intellectuel, qui dirige aujourd’hui le Centre d’études internationales du Livre vert (de Kadhafi), est le « fils spirituel » du « Guide », mais aussi son cousin et, à ce titre, issu de la même tribu. Il a été le dirigeant le plus influent à la tête du Congrès général du peuple (CGP, Parlement). Son nom est étroitement lié aux Comités révolutionnaires, dont il est l’un des principaux fondateurs. Les gardiens de l’orthodoxie Kadhafiste et lui se sont ouvertement opposés au « réformisme » de Seif quand, l’été dernier, celui-ci a ordonné à ses partisans d’organiser dans plusieurs villes des forums publics pour débattre de ses projets de réformes politiques et obtenir des ralliements. Ibrahim et d’autres membres des Comités révolutionnaires y ont vu une brèche dans le système de « Jamahiriya » (État des masses), fondé sur l’idéologie du Livre vert, exigeant – et obtenant – l’arrêt de ces forums, qui auguraient, à leurs yeux, l’instauration d’un pluralisme politique. Seif a finalement renoncé à toute mention de ces forums publics dans le projet de Constitution. Point donc de lieux d’expression en dehors des Congrès populaires de base, dont chaque Libyen est censé être membre d’office. Dès lors, Ibrahim est devenu plus conciliant, constatant, le 21 janvier, que Seif agit désormais dans le cadre de la Jamahiriya et de ses institutions que sont les Congrès et les Comités populaires [les premiers décident et les seconds exécutent, dixit Kadhafi, NDLR]. « On doit savoir gré à Seif, a-t-il ajouté, d’avoir conduit une action visant à appliquer les décisions des Congrès, loin de toute bureaucratie. » Une manière élégante de signifier qu’il ne s’oppose plus à la marche de Seif vers la succession, tout en se proposant de rester vigilant et de veiller à ce que la « ligne jaune » que constitue le pouvoir populaire ne soit pas franchie.

Mootassem Kadhafi, 35 ans, est, avec Seif el-Islam, Saadi, Aïcha, Hannibal, Khamis et Seif el-Arab, l’un des sept enfants nés du second mariage de Kadhafi avec Safia Charkass, une femme au caractère trempé originaire d’une importante tribu du Djebel el-Akhdar (la Montagne verte), en Cyrénaïque (dans l’Est libyen). Mohamed, patron du secteur des télécommunications, est né d’un premier mariage avec une Tripolitaine. Ces dernières années, d’aucuns ont présenté Saadi comme une possible solution de rechange à Seif, mais l’excentrique fan de football reconverti en homme d’affaires est complètement hors jeu. Et c’est son autre frère, le colonel-major Mootassem Kadhafi, qui a vu sa cote grimper en flèche du fait de son poids et du potentiel qu’il représente dans la course à la succession. L’un de ses principaux atouts, notamment aux yeux de son père : de tous ses frères, il est celui qui a réussi dans le métier de chef militaire, malgré une erreur de jeunesse à la tête de son premier bataillon, qui s’est heurté à la propre garde de Kadhafi. Une erreur qui lui vaut d’être envoyé au Caire, où il est pris en main par les militaires égyptiens sous la houlette de Hosni Moubarak en personne. De retour au pays, Mootassem ne tarde pas à s’imposer comme l’homme fort de l’armée. En janvier 2007, il prend la tête du Conseil de sécurité nationale, une fonction qui lui permet d’intervenir dans tous les secteurs. Parallèlement, celui que les soldats appellent le « Docteur » devient l’idole des unités d’élite placées sous son commandement. Lors de la visite de Kadhafi à Moscou, en novembre 2008, c’est encore lui qui négocie les achats d’armement avec le président russe Dmitri Medvedev et son chef du gouvernement, Vladimir Poutine.

Au cours des quarante dernières années, la direction de l’armée a été systématiquement « Kadhafisée » : la plupart des officiers supérieurs sont issus de la tribu du « Guide ». Sur les douze jeunes officiers qui composaient le Conseil de la révolution au lendemain du coup d’État de 1969, trois seulement sont encore en fonctions (outre Kadhafi) : le général Aboubakr Jaber Younes, qui porte, depuis plus de trente ans, le titre de secrétaire (ministre) provisoire de la Défense ; le général Mustapha Kharroubi ; et le général Khouildi Hamidi. Tous trois sont marginalisés et réduits à des tâches honorifiques et protocolaires comme celle de représenter le « Guide » pour accueillir ou saluer à l’aéroport des chefs d’État étrangers en visite. Les autres membres historiques du Conseil de la révolution ont été le plus souvent limogés ou exécutés.

Le général Sayed Kaddaf Eddam, 65 ans, est issu d’une branche « noble » de la tribu des Kadhafi. Né en Égypte, où ses parents avaient émigré, il a toujours fait partie du premier cercle du « Guide », dont il a longtemps dirigé la garde personnelle. Il a également été le patron militaire de la Cyrénaïque. Aujourd’hui, il est de toutes les intrigues du sérail. Kadhafi compte sur lui pour garder les notables des tribus sous contrôle à travers une structure parallèle aux Congrès populaires. Lors de l’affaire des infirmières bulgares, c’est lui qui a « calmé » les parents des victimes contaminées par le virus du sida hostiles à tout règlement. Son nom est cité pour occuper la fonction de chef de l’État à la faveur de l’adoption de la Constitution pendant une période transitoire, le temps que Seif se fasse élire et prenne la relève après le retrait de Kadhafi.

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Le général Ahmed Kaddaf Eddam, 56 ans, est d’abord l’homme clé des relations avec l’Égypte voisine, où il est né à Marsa Matrouh, comme son frère aîné Sayed Kaddaf Eddam. Derrière ses allures de play-boy, il est l’homme des missions très spéciales contre des opposants exilés, que ce soit dans les pays arabes, en Afrique ou en Europe. Après le coup d’État de 1969, Kadhafi lui fait embrasser la carrière militaire. Il fera partie de sa garde personnelle avant de diriger des régions militaires. Très lié au président égyptien Hosni Moubarak et à ses services, Ahmed Kaddaf Eddam réside le plus souvent au Caire et entretient des liens étroits avec tous les enfants du « Guide ».

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Moussa Koussa, 61 ans, chef des services secrets libyens depuis 1994, a longtemps été, à la demande de Kadhafi, le « tuteur » du jeune Seif pour le préparer à participer aux affaires publiques, tandis que Saadi était chaperonné par son oncle maternel, Abdallah Senoussi, un autre chef de la sécurité. Dès la fin des années 1990, Moussa Koussa fait équipe avec Seif lors de rencontres secrètes avec les Britanniques et les Américains pour leur fournir des renseignements dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », mettre la dernière main au règlement de l’affaire Lockerbie, et, en 2003, après l’invasion de l’Irak et l’arrestation de Saddam Hussein, aider au démantèlement du programme libyen d’armes de destruction massive. Autant de preuves de bonne volonté qui ont abouti à la normalisation des relations avec l’Europe et les États-Unis, et conféré à Seif une stature internationale. Aujourd’hui, Koussa, devenu fréquentable aux yeux des États-Unis et de la France, s’affiche dans des meetings publics aux côtés de Seif en signe de soutien à son projet « la Libye de demain ». L’opposition libyenne en exil, elle, ne s’en laisse pas conter. Pour elle, c’est blanc bonnet, bonnet blanc : Seif, dit-elle, veut laver le régime de Kadhafi de la terrible répression menée contre les opposants durant quarante ans et introduire des mesures cosmétiques destinées en réalité à pérenniser un système honni par les Libyens.

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