Mamadou Dia

Décédé le 25 janvier à Dakar, le premier Premier ministre du Sénégal indépendant aura vu sa carrière écourtée par sa « rivalité » avec le président Senghor.

Publié le 3 février 2009 Lecture : 6 minutes.

« Maodo », le Patriarche, qui fut le chef des premiers gouvernements sénégalais, est mort à Dakar le 25 janvier 2009. Qu’il n’y ait pas place pour deux caïmans mâles dans le même marigot, Mamadou Dia l’aura appris à ses dépens. Pourtant, le couple Dia-Senghor avait d’abord bien fonctionné, tirant de ses profondes différences une remarquable complémentarité. Mais le bicéphalisme sécrète bien des poisons, comme le savent les caïmans.

Né en 1910 ou 1911, Mamadou Dia était le cadet de quatre ou cinq ans de Léopold Sédar Senghor. Autant dire qu’ils étaient de la même génération. Mais le décalage est plus considérable s’agissant de l’entrée en politique. Du moins par l’intensité. Car Senghor, même s’il n’en prit conscience qu’à l’âge adulte, était ce qu’on appelle un animal politique, se délectant des manœuvres partisanes qu’exécrait Dia. D’ailleurs, lors de leur première rencontre, en 1945, le directeur de l’école régionale de Fatick ne manqua pas de reprocher au candidat à l’Assemblée constituante française de s’éloigner d’une carrière dans l’éducation.

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C’est donc à contrecœur qu’il présenta sa candidature au conseil général du Sénégal en 1946. Élu, il avait mis le doigt dans l’engrenage. Sénateur en 1948, puis député en 1956, il profita de ses séjours à Paris pour étudier le droit et, surtout, l’économie sous le magistère de François Perroux, et militer dans les cercles animés par le dominicain Louis-Joseph Lebret, où il rencontra Roland Colin, son futur directeur de cabinet.

Dans le même temps, il accompagnait Senghor sur sa trajectoire politique, fondant avec lui le Bloc démocratique sénégalais en 1948, puis, en 1956, l’Union progressiste sénégalaise, et devenant secrétaire général des deux formations.

1956, c’est l’année de l’adoption, par le Parlement français, puis de la mise en œuvre de la loi-cadre dite Defferre, du nom du ministre de la France d’outre-mer, accordant l’autonomie interne aux colonies africaines et à Madagascar. « Joujoux et sucettes », commente Senghor, mais c’est un pas dans la bonne direction. Mamadou Dia est alors élu, par l’Assemblée territoriale, vice-président du conseil de gouvernement du Sénégal, c’est-à-dire chef de facto de cet exécutif dont le gouverneur est le président en titre.

En attendant les prochaines étapes d’une décolonisation qui s’accélère, Dia s’active à mettre en place les moyens d’une planification autogestionnaire d’un développement basé sur les ressources nationales, c’est-à-dire l’agriculture, en insistant sur les cultures vivrières. Occupé par la réforme des structures politiques, Senghor laisse faire. Il n’en considère pas moins que le développement endogène ne peut être qu’un projet à long terme, si ce n’est une vue de l’esprit, et il entend plutôt s’appuyer sur la coopération avec la France.

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Sur un autre plan, les deux hommes apparaissent de plus en plus opposés, celui de la laïcité de l’État. Là, ils jouent à rôles renversés. Le musulman très pieux qu’est Dia entend tenir les chefs religieux à distance des lieux de décision. Le catholique Senghor pense que ce pays n’est gouvernable qu’en s’appuyant sur les khalifes des confréries – ce qui se révélera un bon calcul.

Voici 1958, de Gaulle au pouvoir à Paris, préparant la Constitution de la Ve République et de ce qu’on appellera la Communauté franco-africaine. Celle-ci sera une fédération d’États « groupés ou non » et jouissant du droit de sécession. Partisan de la création de « fédérations primaires », Senghor convainc trois pays voisins, le Soudan français, le Dahomey (futur Bénin) et la Haute-Volta (Burkina) de se joindre au Sénégal. Au dernier moment, ces deux derniers se rétractent sous la pression de la Côte d’Ivoire ; Sénégal et Soudan restent seuls pour former le Mali.

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Persuadé qu’il tiendra tête aux Soudanais, en l’occurrence à Modibo Keita, qui devient président de la Fédération du Mali proclamée le 4 avril 1959, Senghor sous-estime les démons du bicéphalisme. Dia, toujours à la tête du gouvernement sénégalais, devient vice-président du Mali. Celui-ci obtient son indépendance le 4 avril 1960, mais, après moult péripéties, dans la nuit du 19 au 20 août, l’union se disloque, le Soudan conservant le nom de Mali.

En un tournemain, la Constitution de la République du Sénégal est rédigée et adoptée, instituant un régime parlementaire calqué sur celui de la IVe République française. Le 5 septembre, l’Assemblée élit Léopold Sédar Senghor président de la République, Mamadou Dia restant chef du gouvernement. Ce choix constitutionnel, dicté par son éducation politique à l’ombre, puis au cœur des institutions politiques de la France, est la deuxième faute de Senghor, qui s’en voudra par la suite de ne pas avoir pensé aux caïmans.

Il est vite évident que le bicéphalisme de l’État unitaire n’est pas plus viable que ne l’était celui de la Fédération. Dia veut instituer un socialisme autogestionnaire fondé sur des coopératives. Senghor est d’accord sur une décentralisation, mais non sur l’affaiblissement de l’État qu’implique l’autogestion ; au contraire, il veut bientôt faire réviser la Constitution pour instituer un régime présidentiel. Dia part en guerre contre les confréries et prêche un retour aux sources de l’islam ; Senghor estime que l’encadrement de la population par les solides structures des mourides et des tidjanes est irremplaçable à moyen terme. Les milieux d’affaires et les khalifes généraux des confréries s’inquiètent de la politique de Dia, et le gouvernement français tout autant. Vingt-huit mois après la rupture de la Fédération du Mali, le Sénégal connaît sa seconde crise.

Le 14 décembre 1962, le député Théophile James et une quarantaine de députés déposent une motion de censure contre le gouvernement de Dia, accusé d’utiliser la loi sur l’état d’urgence, toujours en vigueur depuis la rupture de la Fédération du Mali, comme « un moyen de répression aveugle » et auquel les parlementaires reprochent sans le dire sa politique d’austérité qui n’épargne pas leurs émoluments. Le chef du gouvernement argue de ce que les auteurs de la motion auraient dû demander l’accord du parti avant de déposer celle-ci, et il fait interdire l’accès de l’Assemblée par l’armée. Dans l’après-midi, les députés se réunissent chez leur président, Lamine Guèye, et votent la motion de censure. La nuit est marquée par des mouvements de troupes ordonnés par l’une et l’autre parties. Le 18 décembre, Mamadou Dia est arrêté à son domicile, avec ses principaux collaborateurs, par le commandant des parachutistes.

Il sera condamné, le 9 mai 1963, par la Haute Cour de justice, à la détention perpétuelle pour tentative de coup d’État, et trois de ses ministres à vingt ans de réclusion. Il sera gracié en 1974.

Mamadou Dia aura souffert de conditions de détention éprouvantes et il reviendra aveugle de Kédougou, au Sénégal oriental, où il avait accompli sa peine. Il n’aura pourtant rien perdu de son acuité de perception des réalités sociales ni de son esprit critique, n’épargnant pas les nouveaux dirigeants du Sénégal. Si bien que le président Abdoulaye Wade, qui avait été un de ses avocats en 1963 et qui avait annoncé en 2000, dès son accession à la magistrature suprême, qu’il allait faire réviser le procès, ne tarda pas à changer d’avis. Son absence aux obsèques de ce personnage historique a été remarquée. 

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