Rébellions et résistances
Ceux qui font bouger l
Il fut un temps où un Al-Maari (au Xe siècle) doutait de l’existence de Dieu sans craindre une fatwa et où un Abou Nawas (au VIIIe siècle) vantait les vertus du vin sans essuyer les foudres des théologiens. Si la petite fille du Prophète, Soukaïna, arguait de sa beauté pour sortir tête nue, la poétesse andalouse Wallada recevait dans son salon oulémas et penseurs, pendant que des savants enseignaient les choses du sexe autour des colonnes des mosquées.
À la recommandation du poète Omar Khayyam qui récitait « Referme ton Coran, pense et regarde librement le ciel et la terre » répondaient l’ironie sarcastique d’Al-Jahiz, dont s’inspireront les comédies de Molière, les audaces d’Al-Mutanabbi, qui se prenait pour un prophète, l’indécence de Bachar Ibn Burd, les performances d’« insulteur public » d’Abou-Moutahhar, compagnon de beuverie du grand poète Ibn al-Hajjaj, autre enfant terrible de la littérature arabe.
De fait, il existe toute une littérature musulmane de l’insolence qui compte ses écrivains maudits et ses nihilistes avant la lettre, dont l’époque actuelle a oublié les traces et qui permettaient au traducteur René Khawam d’affirmer que « l’islam fut, près de dix siècles durant, aux portes de l’Occident à demi barbare, le lieu géométrique de toutes les libertés ».
Plus proche de nous, au début du XXe siècle, le poète Nizar al-Kabbani chantait l’amour sans être inquiété, tandis que les femmes qui s’étaient mises, elles aussi, à la littérature, à l’instar de Ghada Samman ou Leila Baalabak, l’auteur du fameux Je suis vivante, exprimaient sans crainte leur désir de s’émanciper de la tradition.
Mais les rebelles de l’islam appartiennent à toutes les catégories sociales, qu’elles soient aisées ou démunies, savantes ou analphabètes. Aujourd’hui, par exemple, en ces temps où le voile reconquiert massivement la rue, garder la tête nue est devenu dans certains pays musulmans un acte de résistance. C’est ce que confient de nombreuses jeunes femmes, étudiantes ou fonctionnaires, médecins ou mères au foyer. À preuve, aussi, ces épouses qui refusent la soumission conjugale ou l’enfermement, qui choisissent de travailler, d’avorter ou de s’exiler…
Ces milliers de fidèles anonymes font de l’exégèse moderniste sans le savoir, adaptant l’islam à leur quotidien à travers leurs comportements personnels, leurs relations avec l’autre ou dans leurs métiers. Il en est ainsi des hommes qui se battent pour assurer une éducation à leurs filles, ou qui refusent de leur léguer moins qu’à leurs frères, établissant des testaments en leur faveur. Des militants associatifs engagés dans des domaines considérés comme le signe de la débauche ou du courroux de Dieu (homosexualité, sida, prostitution, célibat, enfants des rues…) dénoncent à travers leur engagement l’hypocrisie sociale qui consiste à faire croire que ces « maux » n’existent pas en terre d’islam. Des téléspectateurs écrivent tous les jours aux responsables de l’audiovisuel arabe pour tirer la sonnette d’alarme à propos de l’impact catastrophique des chaînes religieuses ou sur les dérives antioccidentales. Est-ce à dire que la résistance à l’intégrisme a moins de chances de venir d’en haut que d’en bas et que sa réalité s’exerce davantage dans la pratique quotidienne que dans les lectures théoriques ? L’avenir le dira.
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