Ceux qui font bouger l’islam

Publié le 5 février 2009 Lecture : 7 minutes.

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Ceux qui font bouger l

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Depuis la Révolution iranienne jusqu’à la seconde guerre du Golfe, en passant par le 11 Septembre, l’actualité ne cesse de montrer un islam vindicatif, affublé de barbes et de voiles, revendiquant son islamité à coups de prêches haineux et de bombes meurtrières. Moins connus sont les tenants des courants modernistes lancés, à leurs risques et périls, dans une relecture du Coran, quand ce n’est pas dans une remise en cause de certains dogmes. À l’heure où une partie des masses musulmanes se réfugie dans une pratique littérale de la foi, ces acteurs d’une nouvelle interprétation du texte sacré en appellent à l’esprit contre la lettre et à la nécessité de rattacher l’islam au convoi de la modernité.

De fait, cette religion a toujours compté ses réformateurs et ses dissidents. Si les poètes et les écrivains ont été de tout temps des éléments perturbateurs (voir encadré p. 27), c’est dans les rangs de ses commentateurs, théologiens et grands cheikhs, pour la plupart, qu’elle a trouvé ses vrais réformistes. À preuve, la Nahdha (la « Renaissance »), au XIXe siècle, pendant musulman des Lumières, est née à l’initiative d’une élite essentiellement religieuse. C’est dans le sillage de ce mouvement que vont s’inscrire les modernistes du XXe siècle, en réaction à la montée du conservatisme. Car c’est l’activisme des Frères musulmans égyptiens et l’expansion du wahhabisme saoudien qui suscitent, dans les années 1960, la réplique de penseurs inquiets d’un retour en arrière au nom d’impératifs politiques et identitaires.

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Alors que ces « nouveaux penseurs de l’islam », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Rachid Benzine (voir encadré p. 23), ont des parcours individuels spécifiques, leurs travaux, ou leurs prises de position, recoupent la même problématique : comment dénoncer l’islamisme en affirmant que l’islam peut et doit s’adapter à la modernité ?

Leurs ouvrages portent essentiellement sur quatre thèmes : l’interprétation du texte coranique, la relation entre politique et religieux, le statut de la femme et, enfin, la notion de guerre sainte (djihad), laquelle tend aujourd’hui, dans le discours des intégristes, à définir la relation à l’autre, le non-musulman en l’occurrence.

Si ces nouveaux penseurs se recrutent un peu partout en terres d’islam, certains pays se distinguent par leur dynamique réformiste. C’est le cas de la Tunisie, où l’on peut parler d’une vraie « école de Tunis ». Engagée par Tahar Haddad au début du XXe siècle et mise en pratique par Bourguiba dès son accession au pouvoir en 1956, la pensée réformiste tunisienne a fait des émules dans les générations suivantes. Le contexte occidental, marqué par la liberté d’expression, a lui aussi été propice au travail des réformateurs, mais aussi à toutes les formes de dissidence, jusqu’aux plus outrancières. Celles et ceux qui font bouger l’islam peuvent ainsi se répartir en cinq catégories.

LES R

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EFORMISTES CLASSIQUES

Ce sont les vrais héritiers de la Nahdha. Ils entendent changer l’islam de l’intérieur sans rompre avec ses deux sources fondamentales, le Coran et les hadiths (les dits et actes du Prophète). Ils proposent des aménagements prenant en compte les exigences de la vie moderne. Leur but n’est point d’offenser l’islam ou de le sortir de son cadre, mais de le concilier avec le monde d’aujourd’hui. Du Tunisien Mohamed Talbi, qui suggère une « lecture vectorielle » du Coran, au roi du Maroc Mohammed VI, en passant par les hérauts de l’« ijtihad au féminin » (voir encadré p. 26), ces tentatives sont nombreuses et souvent relativement bien acceptées par les adeptes de l’orthodoxie.

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LES PARTISANS D’UNE RELECTURE DU CORAN

Ils prônent une distanciation à l’égard des sources de la charia, tels que les hadiths ou les différentes traditions de l’exégèse, pour de nouvelles lectures du Livre saint privilégiant l’esprit à la lettre. C’est essentiellement le cas de l’historien tunisien Youssef Seddik (voir p. 22). Certains entendent soumettre le corpus des interprétations traditionnelles à des lectures fondées sur des outils épistémologiques modernes (linguistique, sémiologie, droit comparé) et vont jusqu’à remettre en question la sacralité du texte coranique. Parmi ces universitaires, l’Égyptien Nasr Hamed Abou Zayd (voir p. 22), qui, le premier, a considéré le Coran comme un objet d’étude et d’analyse, le Syrien Mohammed Chahrour, auteur du Livre et le Coran, ou le Tunisien Mondher Sfar, avec son brûlot Le Coran est-il authentique ? (Cerf, 2000).

LES LAÏCS ET LES RATIONALISTES

Ces tenants d’une pensée critique plaident pour une séparation de l’État et de la religion, considérant que cette dernière relève de la sphère privée. Ils s’inscrivent dans la lignée de l’Égyptien Ali Abderrazik, auteur du fameux L’État et les fondements de la religion, publié en 1925 et qui lui avait valu d’être exclu de l’université d’Al-Azhar. Ils militent pour une approche fondée sur la raison et l’historiographie. Les plus représentatifs de ces rationalistes sont le Franco-Algérien Mohammed Arkoun (voir p. 25) et le Tunisien Abdelmajid Charfi (voir p. 25). Le plus audacieux est un autre Tunisien, Abdelwahab Meddeb, romancier reconverti dans la critique de l’orthodoxie à travers La Maladie de l’islam (Le Seuil, 2002), où il tente d’identifier ce qui nuit à l’esprit de cette religion et la rend apparemment incompatible avec l’époque moderne.

LES PSYS ET AUTRES ANALYSTES

À cette catégorie appartiennent des essayistes travaillant sur les textes fondateurs de l’islam comme objet de recherche dans le but de saisir le comportement ou la psyché du musulman. Cette lecture inclut une approche psychanalytique, dont le représentant attitré est le Tunisien Fethi Benslama, qui fut le premier à avoir mis la religion du Prophète sur le divan (voir notamment La Psychanalyse à l’épreuve de l’islam, Aubier, 2002) et tenté de cerner la personnalité musulmane. Citons également l’anthropologue algérien Malek Chebel, auteur d’une abondante littérature sur la sexualité et la sensualité chez les musulmans.

LES PROVOCATEURS ET LES DISSIDENTS

À la différence de ceux qui suggèrent un retour à « l’islam des origines » pour y trouver des réponses aux exigences de l’époque moderne, certains s’en prennent à la religion musulmane dans son ensemble. Qu’ils soient romanciers, essayistes ou témoins critiques, ils sont régulièrement dans l’actualité et passent pour les pires ennemis de leur religion. L’Anglo-Indien Salman Rushdie et la Bangladaise Taslima Nasreen représentent cette catégorie d’écrivains dont la célébrité, pour cette dernière en tout cas, tient davantage aux manifestations de rue que leur œuvre a provoquées qu’à la qualité de celle-ci.

En revanche, c’est à la faveur de la réaction aux Versets sataniques de Rushdie qu’a émergé une littérature décidée à s’emparer du thème religieux pour en faire matière à création. Sur un autre registre, des romancières comme la Marocaine Nedjma, auteur du premier roman érotique écrit par une femme arabe (L’Amande, Plon, 2004), et, à moindre échelle, l’Algérienne Ahlam Mosteghanemi ont égratigné quelques tabous relatifs à la pudeur imposée aux musulmanes quant aux affaires du sexe…

À ces auteurs qui se réfugient derrière la fiction pour régler leurs comptes avec la religion s’ajoutent les essayistes qui critiquent de front l’islam. C’est le cas de l’Égyptienne Nawal Saadaoui, bête noire des islamistes, qu’elle n’a jamais cessé de provoquer en militant pour un féminisme à l’occidentale. Le même anathème s’exerce contre le comportement anti-musulman de certaines femmes parties en guerre contre leur religion, comme la Somalienne Ayaan Hirsi Ali, ou voulant en changer les pratiques fondamentales, à l’instar de l’Iranienne Chahdortt Djavann dans Bas les voiles ! Sans oublier celles qui entendent féminiser les fonctions d’imam ou de muezzin – la première femme à psalmodier le Coran sur CD est l’Irano-Irakienne Akdass al-Moulouk, qui vit depuis quarante ans à Paris…

QUEL IMPACT ?

Cette dernière catégorie, qui provoque le plus de passions et de remous, est celle qui a le moins d’impact. Le soutien dont elle bénéficie dans un Occident prompt à promouvoir les pourfendeurs de la « religion de Mahomet » n’est pas la garantie d’une influence sur les mentalités musulmanes, mais, bien au contraire, un motif de rejet, tant les musulmans sont réfractaires aux atteintes frontales à leur foi.

Ceux qui s’expriment à l’intérieur des pays islamiques échappent plus ou moins à l’accusation d’être les « suppôts de l’Occident », mais restent sous la menace d’une fatwa. Résultat : la plupart de ces polémistes passent plus de temps à se protéger qu’à produire. « Chaque fois que je reçois une menace, j’ai l’impression que j’ai perdu et ça me décourage. Alors, je reste une semaine sans écrire », confie la sociologue tunisienne Salwa Charfi, dont les recherches portent essentiellement sur le discours des fatwas via les sites électroniques – et elle-même objet d’une fatwa… « Je ne doute pas de mes idées, ajoute-t-elle, mais de leur efficacité. Car les islamistes sont partout. On m’insulte dans tous les dialectes. »

De façon générale, l’impact des penseurs réformistes est tout relatif et leur parole marginalisée. Il est vrai que le fossé est grand entre ces intellectuels sans disciples et des populations acquises à l’orthodoxie, subjuguées par les chaînes spécialisées du Golfe et confondant islam et résistance à l’Occident ; entre des voix officielles appelant au retour à la tradition et une démarche individuelle de simples chercheurs ; entre des prêcheurs qui, bénéficiant de la bienveillance de certains États, occupent la scène médiatique et une petite élite dépourvue des moyens de se faire entendre.

C’est dire si, aussi bien sur le plan de la révolution de cette pensée que de son impact, l’on est loin de la promesse d’une Réforme, au sens utilisé au XVIe siècle en Europe et qui avait débouché sur une transformation totale du christianisme. Est-ce à cause du contenu même de cette pensée ? Certains avancent en effet que l’apport de ces nouveaux acteurs de l’islam moderne oscille entre un regard sur la foi, qui pour être nouveau n’est jamais en rupture avec l’islam, et des attaques qui tournent le plus souvent au déni de soi.

Si l’islam a ses Pascal et ses Voltaire, il lui manque encore son Luther.

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