La guerre des clones
Marc Ravalomanana, le président de la République, et Andry Rajoelina, le maire de la capitale, se ressemblent trop pour ne pas se haïr. Mais leur rivalité a gravement dérapé : plus de 80 morts après cinq jours d’émeutes et de pillages !
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C’est à une terrible lutte de personnes, au choc de deux ego surdimensionnés que pourrait se résumer le bras de fer entre Andry Rajoelina, le maire d’Antananarivo, et Marc Ravalomanana, le président de la République. Sauf que, depuis le 26 janvier, la confrontation prend très mauvaise tournure. Après cinq jours de manifestations, d’émeutes et de pillages, plus de 80 morts ont été recensés à travers la Grande Île.
L’affrontement n’est pas sans rappeler celui qui opposa l’actuel chef de l’État à Didier Ratsiraka, son prédécesseur, à l’issue du scrutin contesté de décembre 2001. Six mois durant, le pays avait été paralysé par des violences à répétition, qui, in fine, permirent à Ravalomanana et à ses partisans de s’imposer à la tête du pays. Sept ans plus tard, l’heure est à l’inquiétude.
Le parti du président a certes remporté toutes les consultations organisées depuis 2002, et le chef de l’État, en décembre 2006, s’est vu confier un second mandat sans qu’aucun de ses concurrents puisse contester sa suprématie. Mais si le premier quinquennat avait l’attrait de la nouveauté, le second est rattrapé par la réalité économique et sociale. La cote d’amour du brillant self-made man n’est plus ce qu’elle était. « Marc a multiplié les maladresses, explique un diplomate. En avril 2007, un référendum constitutionnel lui a permis de renforcer ses pouvoirs. Depuis, il se montre beaucoup moins souple dans sa manière de gouverner. »
Certaines de ses décisions ont contribué à alimenter la rancœur populaire. L’achat, pour 60 millions de dollars, d’un nouveau Boeing présidentiel est par exemple très mal passé. Alors que les prix du riz et des carburants ont battu l’an dernier tous les records, les Malgaches voient leur pouvoir d’achat inexorablement rogné par une inflation avoisinant les 10 %.
De même, fin novembre, l’annonce selon laquelle la multinationale coréenne Daewoo allait exploiter 1,3 million d’hectares de terres agricoles sur la Grande Île a certainement coûté très cher au pouvoir. Dans un pays où la Terre des ancêtres reste une valeur sacrée, ce « bradage » de la richesse nationale a fortement déplu aux Malgaches, toutes opinions confondues.
LE FEU AUX POUDRES
Dans ce contexte tendu, il a suffi d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. C’est l’interdiction de Viva TV, propriété de Rajoelina, qui a joué ce rôle. Le 13 décembre, accusée de diffuser des propos de nature à troubler l’ordre public, la chaîne a été contrainte d’interrompre ses émissions. En cause : une intervention de l’ancien président Ratsiraka, aujourd’hui exilé à Paris, critiquant son successeur.
Dès l’élection municipale à Tana, en novembre 2007, l’affrontement entre le nouveau maire et son prédécesseur devenu président semblait inévitable, programmé. Les deux hommes se ressemblent trop pour ne pas se détester. De véritables clones ! En conquérant la capitale, Rajoelina a infligé au camp présidentiel son premier revers sérieux. Et marché ouvertement sur ses plates-bandes.
Comme son prédécesseur à l’hôtel de ville, il entend faire de sa gestion municipale un modèle de gouvernance. Comme lui, ce jeune homme pressé s’est doté d’un parti dont le nom est à lui seul tout un programme : Tanora Gasy Vonona (TGV, comme le train à grande vitesse), ce qui signifie « les jeunes Malgaches décidés ». Comme le PDG de Tiko devenu chef de l’État, cet as du marketing direct a acquis une chaîne de radio et de télévision qui lui permet de soigner sa popularité dans les quartiers d’Antananarivo. Et, comme lui, « Andry TGV » jure que ses qualités d’entrepreneur sont un gage d’efficacité : « Je ne fais partie ni de la mouvance présidentielle ni de l’opposition. Sur le plan idéologique, je suis capitaliste », expliquait-il, peu après son élection. Du Ravalomanana dans le texte !
Bref, en l’absence de concurrents au sein des partis traditionnels, Andry TGV avait tous les atouts – démagogie comprise – pour endosser la casaque d’opposant emblématique. Bien sûr, Ravalomanana peut toujours se réfugier derrière la légalité pour faire valoir ses droits. Mais depuis le temps (décembre 2001) où il brandissait la Bible et se prévalait de la ferveur populaire pour exiger le départ de Didier Ratsiraka, il sait que la Constitution ne suffit pas toujours pour rester au pouvoir.
En revanche, même si Rajoelina a suffisamment de charisme pour tenir les rues de Tana, il est permis de se demander s’il dispose d’arguments assez solides pour réclamer la formation d’un gouvernement de transition. Son rapprochement avec Roland Ratsiraka, neveu de l’ancien président et candidat malheureux à la présidentielle de 2006, montre bien que le maire de la capitale veut donner à la contestation une ampleur nationale. Ce qui a conduit le pouvoir à crier au complot : pour le chef de l’État, Rajoelina est bien « l’initiateur des troubles ». Et Roland Ratsiraka, « le cerveau des événements ».
Les protagonistes de la crise ayant radicalisé leurs positions, qui peut encore entreprendre une médiation ? Alors qu’il s’y opposait il y a huit ans, le chef de l’État invite aujourd’hui la communauté internationale à s’impliquer dans le règlement de la crise. Il n’a même pas hésité à solliciter la France, faisant taire la rancune qu’il a longtemps ressentie à son égard en raison de son attitude jugée favorable à Ratsiraka (un proche de Jacques Chirac) durant la crise de 2002.
Autre arbitrage possible, celui de l’Union des Églises chrétiennes (FFKM). Mais celle-ci n’affiche plus la même cohésion que par le passé. L’Église réformée passe pour trop proche du pouvoir, et l’Église catholique reste, pour le moment, assez discrète. Quant à l’armée, elle ne semble pas davantage en mesure de s’imposer comme ultime recours. Divisée, démotivée, elle est en outre frustrée par la mise à la retraite d’officiers supérieurs et leur remplacement par des jeunes inexpérimentés. Sa passivité face aux pillages à Tana, le 26 janvier, est révélatrice de son état d’esprit. En attendant l’arbitre providentiel, la guerre des clones continue.
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