Vaticinations sur « la crise »…

Publié le 3 février 2009 Lecture : 5 minutes.

Les économistes avaient déjà mauvaise réputation avant cette crise économique dont nous commençons seulement, chacun dans son pays, à ressentir les premiers effets. Mais comme aucun d’eux ne l’a vue venir, ni, a fortiori, n’en a prévu l’ampleur, comme aucun n’a diagnostiqué le mal, nous pensons généralement qu’ils ne connaissent pas le remède.

Peu d’entre nous leur font encore confiance, et nous avons même tendance à penser qu’ils parlent beaucoup pour mieux faire oublier qu’ils ont perdu leurs repères.

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Pour ma part, je les écoute, les lis, et il m’arrive de parler avec certains d’entre eux. Je constate et estime devoir vous le dire, qu’après avoir été surpris et désarçonnés, ils commencent à retrouver leurs esprits.

Les meilleurs d’entre eux ne sont évidemment pas ceux qui viennent de s’exhiber au Forum économique de Davos et d’y pérorer devant des opérateurs politiques et économiques qui ont perdu de leur superbe.

J’ai sélectionné pour vous, en pensant que cela pouvait vous aider à y voir plus clair, les analyses à mon avis pertinentes de trois d’entre eux qui se sont déjà ressaisis et ne craignent pas de se projeter sur le reste de l’année 2009.

Je leur donne longuement la parole et d’abord au plus prestigieux d’entre eux :

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1. Amartya Sen (Indien, Prix Nobel d’économie 1998)

« Nous vivons la pire crise économique depuis les années 1930, mais cela ne devrait pas être aussi grave qu’à l’époque. Nous ne sommes pas dans la même situation : la compréhension des politiques à mettre en œuvre pour changer la situation est bien meilleure. On peut donc espérer que la crise actuelle ne durera pas aussi longtemps…

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Parler de nouveau capitalisme est une confusion. Je pense que l’on a besoin d’un monde dans lequel les vertus du marché et du capital sont reconnues, mais leurs limites aussi : le système capitaliste a tendance à produire d’énormes inégalités qu’il faut corriger…

Le capitalisme n’a pas échoué, il suffit de traiter les injustices qu’il induit…

La crise économique va encore s’intensifier. Le chômage va augmenter aux États-Unis et en Europe, mais cette dernière sera moins affectée.

L’économie mondiale va ralentir…

En Afrique, à cause de la baisse des exportations agricoles et d’une croissance économique réduite, le recul va être important. En Chine et en Inde, les taux de croissance vont ralentir…

À la fin de l’année, dans les pays occidentaux, on commencera à voir les effets des plans de relance et je serai très surpris si l’on ne constate pas de signes d’amélioration. »

2. Jean-Paul Fitoussi (Français)

« Le risque politique est majeur dans les régimes non démocratiques… Les éléments d’une poudrière sont réunis en Asie : il est très difficile pour 100 millions d’habitants de retourner à la pauvreté sans protester, en se laissant faire comme s’ils étaient taillables et corvéables à merci. En Europe, la Grande-Bretagne et l’Italie risquent de beaucoup souffrir. »

3. Nicolas Baverez (Français)

« Le capitalisme en crise va muter et non pas disparaître. Il est un mode de production fondé sur l’esprit d’entreprise et la rémunération en fonction du risque. Dans sa forme mondialisée, dont la finance était la pointe avancée, il s’est écarté de ces principes en déconnectant les profits et les rémunérations des performances et des risques réels.

Mais le capitalisme a une capacité à se régénérer aussi élevée qu’à générer des bulles. Il survivra en se transformant, avec l’espoir de préserver la dynamique d’intégration et d’innovation de la mondialisation, tout en assurant une régulation plus efficace à travers la coordination des acteurs d’un système multipolaire…

Le libéralisme politique est une philosophie fondée sur les respects des droits de l’individu mais aussi sur le primat de la décision collective… Parce qu’il parie sur la raison des citoyens, parce qu’il repose sur le respect de l’État de droit, parce qu’il fixe un principe de modération et de contrôle des pouvoirs, le libéralisme constitue le meilleur antidote à l’emballement des pulsions collectives et le meilleur guide pour reconstruire le capitalisme du XXIe siècle.

Le libéralisme politique n’est donc pas la cause mais la solution à la crise du capitalisme mondialisé. »

Paul Collier (Britannique, professeur d’économie à Oxford) s’intéresse, lui, plus particulièrement, et c’est son mérite, au sort des 58 pays les plus pauvres, dont les deux tiers sont en Afrique.

« 58 pays, essentiellement africains, restent à la traîne et s’écroulent. Leurs habitants vivent comme au XIVe siècle : ils subissent conflits violents, épidémies, pauvreté, espérance de vie faible. Ils savent que le XXIe siècle existe et qu’ils sont laissés au bord de la route. […]

Ces pays ont raté une extraordinaire période de croissance économique, celle qui va des années 1960 jusqu’à maintenant. Ils ont raté le boom des matières premières des années 1970. […]

Ces pays du bas de la pyramide vont souffrir de la baisse ponctuelle des cours des matières premières et de la réduction de l’aide aux pays en développement qui va probablement découler de la récession. L’inégalité économique dans un monde de plus en plus globalisé va devenir un cauchemar. »

C’est ici qu’intervient une proposition originale de Robert Zoellick, dont Paul Collier dit, à juste titre, qu’il est probablement le meilleur président que la Banque mondiale ait connu.

Très intelligemment, Robert Zoellick – choisi par George W. Bush, ne l’oublions pas – lie sa proposition à l’arrivée de… Barack Obama à la Maison Blanche et à l’espérance que cette arrivée a suscitée dans le monde.

Opérateur et homme d’action sur la brèche, il dit ce qu’il faut faire, et assure qu’il n’y a pas un jour à perdre :

« Avant même la fin de ses cent premiers jours à la Maison Blanche, le président Obama va participer au G20 qui se réunit début avril à Londres. Il devrait, au nom des États-Unis, prendre l’initiative d’appeler tous les pays développés à consacrer 0,7 % des montants de leurs plans de relance à un fonds de vulnérabilité destiné aux pays pauvres pour leur permettre de combler leurs déficits et de faire ainsi face à la crise. Les États-Unis et le président Obama donneraient le signal – et le bon exemple – en affectant 6 milliards de dollars* à ce “fonds de vulnérabilité”.

La crise a déjà fait replonger dans la pauvreté 100 millions de personnes, et le recul des exportations va en mettre au chômage des dizaines de millions d’autres.

L’aide aux pays pauvres stagne aux alentours de 100 milliards de dollars par an, loin de l’objectif de 0,7 % du PIB des pays développés fixé par les Nations unies au siècle dernier (les États-Unis ne consacrant eux-mêmes à l’aide que 0,2 % de leur PIB). »

Et M. Robert Zoellick de conclure, non sans mérite : « Les pauvres de pays africains n’ont pas à payer le prix d’une crise née aux États-Unis. »

On ne saurait mieux dire !

*Soit 0,7% des 825 milliards de dollars qu’ils ont décidé de consacrer à la lutte contre la crise.

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