Pour la relecture du discours de Dakar

Membre du conseil scientifique pour les questions africaines de l’Académie des sciences de Russie

Publié le 27 janvier 2009 Lecture : 3 minutes.

J’ai vécu cinq ans au Mali, dans les années 1970 et 1980. Plus d’une dizaine d’années après l’indépendance, les souvenirs de la colonisation restaient vivaces et teintaient l’air du temps d’une certaine nostalgie. Ce qui fut pour moi, jeune Soviétique, un véritable choc.

À cette époque, l’URSS s’opposait fermement au colonialisme et sa seule politique pour l’Afrique était celle qui devait encourager l’indépendance. Mais je ne pouvais ignorer certaines réalités du terrain… Tout ce qui relevait de l’État avait été élaboré pendant l’ère coloniale. Certes, il n’était pas difficile de s’apercevoir que la puissance coloniale avait beaucoup pris aux populations sans amener en échange de grands progrès dans les méthodes de production ni dans la formation des élites locales. Pourtant, la France avait également construit quelques infrastructures, investi dans la médecine, dans la scolarisation… C’est cela que Nicolas Sarkozy a tenté de dire aux étudiants de Dakar, en juillet 2007, lors d’un discours qui a fait couler beaucoup d’encre.

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Ayant participé à la coopération sovié­tique en Afrique pendant des années, je peux confirmer qu’il régnait une grande ambiguïté ­entre la France et ses anciens colonisés, à tous les ­niveaux. En effet, malgré les diverses repré­sentations diplomatiques installées dans ses anciennes colo­nies, la France y restait – de manière tacite – une nation privilégiée.

Ce lien particulier tient peut-être au fait que la France avait pris en charge les retraites de ses ex-fonctionnaires des colonies. Mais les causes en sont, je pense, plus profondes. Le sens de la « parenté historique » entre les anciennes métropoles et les États indépendants a souvent survécu aux changements post-coloniaux, même si, avec le temps, il a pu se fragiliser, voire disparaître complètement. Force est de reconnaître qu’en une seule génération certains États sont devenus anglophones ou arabophones, rompant parfois avec un schéma laïc pour affirmer des références religieuses, le plus souvent islamiques…

En 2005, j’ai participé, à Bamako, à un colloque sur le thème « France et Mali, regards croisés ». Aux prises avec leurs histoires respectives, les universitaires des deux pays ont entamé un vrai dialogue de sourds. Mais le désir de dialoguer était tout de même bien présent. Et pour un observateur extérieur, il était clair que Français et Maliens avaient chacun à la fois tort et raison. Surtout, il est remarquable que les universitaires français n’aient pas réussi à exprimer, devant leurs collègues africains, les mêmes regrets que le président Sarkozy a émis deux ans plus tard. Ce dernier a en effet reconnu, dans son discours de Dakar, l’erreur du principe même de la colonisation et de l’ingérence dans la vie des Africains.

Peut-on pour autant repartir de zéro ? Bien sûr que non : on ne peut ignorer l’héritage du passé. Mais il faut savoir l’appréhender d’une manière vertueuse. Aussi, le discours de Dakar n’était pas seulement d’un grand courage politique ; il était aussi stratégique. À terme, il devrait permettre l’instauration de rapports plus égaux entre la France et ses anciennes colonies. Car les Africains ne peuvent être insensibles ni aux regrets formulés pour les erreurs du passé ni à la volonté de mettre en œuvre une action commune. Et je reste convaincu que la France ne résoudra pas ses problèmes d’immigration, qui se sont aggravés ces trois dernières années, sans une profonde modification de ses rapports avec ses anciennes colonies africaines.

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Dès son élection en 2007, par sa volonté de fonder une union méditerranéenne ainsi qu’une nouvelle association avec l’Afrique, le nouveau président français a fait bouger les choses. Et la communauté intellectuelle commence elle aussi à revoir ses positions. Une évolution que l’échec du sommet euro-africain de Lisbonne en ­décembre 2007 ne doit pas décourager. C’est en établissant de nouveaux rapports de partenariat avec l’Afrique, sur un pied d’égalité, que la France relèvera les défis posés par la mondialisation.

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