Les télécoms africaines ne connaissent pas la crise

Pas de dépression en vue dans la téléphonie mobile sur le continent. Du moins pour ceux qui feront les investissements nécessaires à la croissance, tout en préservant leur rentabilité.

Publié le 27 janvier 2009 Lecture : 5 minutes.

Les télécoms africaines entrent dans une nouvelle année de croissance. Maroc Télécom vient d’en donner le tempo en promettant 250 millions d’euros à l’État du Mali pour acquérir 51 % de Sotelma, l’opérateur historique du pays. « C’est aussi important que les 572 millions d’euros proposés par le britannique Vodafone pour Ghana Telecom », explique Devine Kofiloto, consultant senior du cabinet norvégien Teleplan Consulting. Les ratios du prix payé au nombre d’abonnés sont en effet proches : 376 euros au Mali (670 000 abonnés mobiles), 400 euros au Ghana (1,4 million). La crise financière et économique internationale qui s’est déclenchée après la privatisation de Ghana Telecom, signée en juillet dernier, n’a pas eu d’impact sur le déroulement de l’appel d’offres malien. Dix poids lourds du secteur ont été candidats, du koweïtien Zain à Portugal Telecom, en passant par le russe MTS (Mobile Telesystem) ou encore l’égyptien Orascom Telecom.

Leur intérêt est d’autant plus grand que les nouveaux marchés accessibles sont de plus en plus rares. Et qu’au fil du temps, ils ont appris à apprécier la forte rentabilité de la téléphonie mobile en Afrique. Avec une marge opérationnelle représentant 44,5 % des ventes en 2007 (marge d’Ebitda, rapport du bénéfice d’exploitation au chiffre d’affaires), Maroc Télécom est même la filiale de Vivendi la plus rentable, devant SFR (téléphonie mobile en France, à 40 %). D’autres en Afrique font encore mieux : 63 % pour Orascom Telecom Algérie, 56 % pour Sonatel, numéro un au Sénégal et au Mali, ou encore 49,8 % pour Tunisiana. Et si la plupart des opérateurs africains se contentent de scores voisins de 40 %, leurs marges d’Ebitda sont de toute façon plus élevées que dans les pays occidentaux : 26,4 % pour Vodafone UK, 35,8 % pour l’américain AT&T sur son territoire, par exemple…

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L’activité restera soutenue en Afrique cette année. « Il faut s’attendre à une hausse de 25 % des abonnés, qui seront 450 millions sur le continent à la fin de 2009, et de 20 % du chiffre d’affaires des opérateurs, à 50 milliards de dollars », anticipe Guy Zibi, fondateur du cabinet AfricaNext Investment. D’après cet ancien directeur de recherche au cabinet américain Pyramid Research, « il n’y a pas de raisons que la crise, qui touchera peu la croissance des pays africains, ait des conséquences sur la demande en équipements et services de télécoms en Afrique. Déjà, l’année dernière, dans un contexte difficile d’inflation des prix des produits alimentaires et de l’essence, les télécoms africaines ont connu leur plus forte progression depuis dix ans en termes d’abonnés et de chiffre d’affaires. »

À quoi Devine Kofiloto, lui aussi optimiste pour les marchés africains en 2009, ajoute une condition : « Les opérateurs vont devoir accélérer leurs investissements. Ils ont d’abord grandi dans les zones urbaines, où ils ont pu atteindre le maximum de clients avec le minimum d’infrastructures. Pour élargir leur clientèle, ils doivent maintenant investir dans leurs réseaux pour s’installer dans des zones de plus en plus pauvres. » Analyse similaire du côté des équipementiers. « Les opérateurs africains ont actuellement trois priorités, explique Gilbert Marciano, directeur du marketing d’Alcatel-­Lucent pour les pays émergents. Ils doivent densifier leurs réseaux urbains, ajouter des équipements pour mieux couvrir les territoires et minimiser les coûts. » « La plupart des opérateurs africains avaient un retard en équipements. Ils sont en phase de rattrapage. En deux ans, MTN a installé plus de 1 000 relais GSM au Nigeria », ajoute un de ses concurrents, qui préfère ne pas être cité.

Le boom des équipements

Ils sont une dizaine de groupes internationaux, comme Motorola, Nokia Siemens Networks, Alcatel-Lucent ou encore les chinois ZTE et Huawei, à se partager le marché africain des équipements de télécoms, qui pourrait atteindre 1 milliard de dollars cette année. Difficile d’en savoir plus : dans ces groupes internationaux, la discrétion est de règle sur la répartition géographique de leurs données financières. Si l’Afrique représente entre 2 % et 3 % de leur chiffre d’affaires mondial, ses marchés sont très prometteurs. Pyramid Research estime que certains d’entre eux sont promis à une croissance annuelle de 30 % à 50 % : « En 2008, sur les dix pays affichant la plus forte croissance au monde, neuf étaient africains. »

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Les professionnels de ce secteur sont également optimistes pour l’avenir : « Le marché du “broadband” est en train de prendre le relais du GSM et il va exploser », estime Gilbert Marciano, en référence aux technologies 3G ou Wimax. Capables de délivrer un accès sans fil haut débit à Internet, elles font leurs premiers pas dans les capitales africaines, offrant une nouvelle gamme de services à la clientèle (courrier électronique, télévision, Web…). Aux opérateurs, elles apportent la possibilité d’élargir leur gamme de services et de tirer leurs tarifs vers le haut. Mais elles imposent l’installation de nouveaux équipements de réseau capables de délivrer la télévision au lieu du téléphone, donc d’investir à nouveau. Sans oublier la construction d’infrastructures en amont pour absorber le surcroît de trafic. Pas moins de douze coûteux projets de câbles à fibres optiques ont été lancés depuis deux ans, comme Seacom, destiné à faire le tour du continent par l’est, un projet à 500 millions de dollars.

L’importance des investissements envisagés, indispensables pour soutenir la croissance de la clientèle et des revenus, aura forcément des conséquences sur les finances des opérateurs. « La marge opérationnelle des grands groupes devrait diminuer, même si elle restera en Afrique plus élevée qu’ailleurs dans le monde », affirme Devine Kofiloto. La plupart des groupes ont déjà mis l’accent sur les économies : « Ils nous demandent des solutions optimisées pour baisser le coût d’exploitation et de déploiement de leurs sites », confirme Gilbert Marciano. Dans le même objectif, Zain a inventé au Nigeria un modèle économique original, nommé Rural Acquisition Initiative. Il s’agit d’une sorte de franchise signée avec un entrepreneur local. Il est payé pour le trafic de communications de ses clients et il est en charge de la maintenance des équipements et de la commercialisation des cartes SIM, ce qui permet à l’opérateur de s’affranchir des coûts liés à ces deux activités.

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Guy Zibi pointe un autre risque, conséquence directe de la crise financière : « L’accès au crédit devient plus difficile, ce qui handicapera notamment les petits opérateurs pour leurs investissements. » Au bout du compte, les contraintes du crédit, de l’investissement et de la rentabilité pourraient conduire à une recomposition du paysage au profit des plus gros opérateurs, capables de protéger leurs marges et de développer leurs activités sur de nouveaux segments qui peuvent être porteurs à long terme. Quant à leurs concurrents plus petits, ils vont chercher à accroître leurs parts de marché en cassant les prix, tout en renforçant leurs marges financières. Le pari s’annonce difficile et certains pourraient disparaître.

Zain en embuscade

Qui mangera qui ? Un groupe originaire des monarchies pétrolières a déjà esquissé la réponse. Fin septembre, alors que la crise internationale s’était déjà déclarée, le koweïtien Zain levait 4,5 milliards de dollars sur les marchés boursiers. Et le 22 octobre, à l’occasion de ses résultats trimestriels, il confirmait son objectif de tripler sa clientèle à l’horizon 2011, à 150 millions de clients, et de multiplier par neuf son résultat opérationnel, à 6 milliards de dollars. Il n’y a guère de doute qu’il le fera – à tout prix : c’est lui qui, en 2003, en déboursant 3,4 milliards de dollars pour prendre le contrôle de Celtel, a donné aux télécoms africaines la dimension – et l’attrait – qu’elles ont aujourd’hui.

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