Attentat de Djerba: les liens du sang

Incarcéré depuis six ans à la prison de Fresnes, le frère cadet du kamikaze est jugé à Paris pour complicité. Mais si le faisceau de présomptions est lourd, les preuves manquent.

Publié le 27 janvier 2009 Lecture : 5 minutes.

Studieux, appliqué, glabre, allure très BCBG, notant scrupuleusement sur un petit cahier le déroulement du procès qui s’est ouvert à Paris le 5 janvier, Walid Naouar, 28 ans, ressemble à un étudiant venu traîner ses guêtres au palais de justice pour goûter au parfum si particulier de la cour d’assises. Il n’a encore raté aucune des séances du procès de l’attentat du 11 avril 2002 contre la synagogue de Djerba, qui a coûté la vie à 21 personnes (14 Allemands, 5 Tunisiens et 2 Français). Rien d’étonnant à cela : il est sur le banc des accusés, en compagnie de Christian Ganczarski, un Allemand converti à l’islam, de quinze ans son aîné, veste élimée, barbe en bataille, look de taliban européen. Les deux hommes, perdus au milieu d’une escouade de gendarmes, sont séparés de l’assistance par une épaisse vitre en Plexiglas. Ils risquent la réclusion à perpétuité pour « complicité d’assassinat et assassinat en relation avec une entreprise terroriste ».

L’ambiance évoque vaguement les grands procès contre la mafia de la fin des années 1980, en Italie. Sauf que le casting, surtout dans le cas de Walid, n’est pas à la hauteur. Incarcéré à Fresnes depuis six ans, durée exceptionnellement longue pour une détention préventive, il a passé son bac en prison, débuté des études d’histoire et considérablement amélioré son niveau en français. Détenu au comportement exemplaire, issu d’une famille analphabète mais pas miséreuse, Walid Naouar est né le 24 juillet 1980 à Ben Guerdane, localité du Sud tunisien proche de la Libye. En décembre 2000, alors qu’il est en terminale, il obtient un visa d’un mois pour la France, où son père, Mohamed, ouvrier, est installé depuis trente ans. La famille a entrepris les démarches pour bénéficier enfin du regroupement familial, mais Walid, contrairement à ses trois plus jeunes frères et sœurs, a fêté ses 18 ans et sait qu’il ne pourra y avoir droit. Il s’installe donc chez son père, à Saint-Priest, en banlieue lyonnaise, et nourrit le vague espoir de reprendre ses études dans une institution privée. Et de régulariser sa situation une fois son bac en poche.

la suite après cette publicité

Deux, trois « petits » services

En attendant, et alors que le reste de la famille – à l’exception de l’aîné, Nizar – l’a rejoint en avril 2001, il enchaîne les petits boulots, de peintre ou de maraîcher, laisse une bonne impression à ses employeurs. Se fait des amis dans le quartier, dont Tarek Hdia, un Franco-Tunisien de deux ans son cadet. Son destin bascule en septembre 2001, quand son frère Nizar lui demande de lui rendre service pour l’aider à démarrer une activité dans le tourisme, à Djerba, notamment en lui procurant un modem. Cela fait plus de vingt mois que Walid n’a pas revu ce grand frère dont il a été très proche et avec lequel il a longtemps partagé sa chambre. Peut-il alors se douter que Nizar est devenu un membre actif d’Al-Qaïda, a séjourné plusieurs fois en Afghanistan et prépare un attentat-suicide au camion-citerne piégé contre la grande synagogue de la Ghriba, à Djerba ?

Bien des zones d’ombre entourent encore le parcours de Nizar. Il est décrit par ses anciennes connaissances comme un jeune homme ordinaire, fêtard, qui buvait et sortait avec des filles, et tenait aussi des propos véhéments sur les juifs et les Américains. Rien d’exceptionnel dans un pays où le drame du peuple palestinien est vécu comme une tragédie intime. Rien de nature à attirer l’attention d’une police tunisienne rompue à la surveillance des milieux islamistes. L’homme a fait croire qu’il avait obtenu une bourse et étudié le tourisme au Canada entre 1999 et septembre 2001. Mensonge plausible : le Canada était réputé ouvrir facilement ses portes aux Maghrébins. En réalité, il s’aguerrissait dans les camps d’entraînement d’Al-Qaïda, du côté de Kaboul. Et téléphonait parfois à sa famille, pour « donner des nouvelles ». Personne ne s’est vraiment demandé pourquoi c’est toujours lui qui appelait et pourquoi il n’a jamais laissé ses coordonnées ou son adresse.

Fin 2001, Nizar rappelle son frère Walid pour lui demander des faux papiers, un permis de conduire français, une carte de résident et un téléphone satellitaire Thuraya. Un téléphone censé lui permettre « d’emmener des touristes en excursion dans le désert », dans les zones non couvertes par le réseau GSM. En fait, l’appareil, dont les communications ne peuvent être interceptées, lui servira à prendre ses ordres au Pakistan auprès de Khaled Cheikh Mohamed, cerveau des attentats du 11 septembre et responsable des opérations extérieures d’Al-Qaïda. Walid s’exécute, monte à Paris le 12 mars 2002, achète le téléphone au nom de Tarek Hdia et paie en liquide la facture de 1 367 euros.

la suite après cette publicité

Relâché au bout de quelques jours après une première perquisition infructueuse au domicile lyonnais des Naouar, le 17 avril, six jours après l’attentat, Walid est arrêté et écroué le 12 novembre 2002, après la découverte, en Tunisie, du fameux Thuraya, dont il avait réussi à dissimuler l’existence aux enquêteurs français. Confronté à ses déclarations, qui ont beaucoup varié entre la première et la deuxième garde à vue, il expliquera pendant le procès qu’il a paniqué, détruit des preuves et tout fait pour minimiser la fréquence des contacts qu’il a pu avoir avec Nizar. Pouvait-il tout ignorer des intentions de son frère ? Difficile à croire. Mais il est tout aussi difficile d’imaginer que le futur kamikaze lui ait dévoilé son projet et l’ait convaincu de l’aider sciemment à mourir…

Un témoignage controversé

la suite après cette publicité

Le faisceau de présomptions est lourd. Mais les preuves manquent. L’instruction, s’appuyant sur le fait qu’il avait incrusté l’effigie d’Oussama Ben Laden en fond d’écran de son téléphone, a tenté de le présenter comme un sympathisant de la mouvance Al-Qaïda. L’argument est un peu court. Car Walid avait aussi téléchargé des démons… et des porcs ! Tarek Hdia, qui, lors de ses interrogatoires, l’avait dépeint comme violent, menaçant, manipulateur et « radical dans ses convictions politiques », a admis « qu’il ne se souvenait plus de rien ». Et qu’on l’avait forcé à signer un témoignage à charge pendant sa garde à vue. La Cour, formée de huit magistrats professionnels, comme c’est l’usage dans les affaires de terrorisme, saura-t-elle en tenir compte ? Et prendra-t-elle le risque de déjuger six années d’instruction conduite par le magistrat Jean-Louis Bruguière, aux méthodes très controversées ? Verdict le 6 février.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires