Le Rwanda répond à Vital Kamerhe
Joseph Mutaboba, envoyé spécial du président rwandais dans la région des Grands Lacs, réagit aux propos du président de l’Assemblée nationale congolaise, dont l’interview a été publiée dans Jeune Afrique n°2500 du 7 décembre 2008.
Monsieur le Président,
Permettez-moi de revenir sur quelques points de l’interview publiée récemment dans Jeune Afrique (n° 2500 du 7 au 13 décembre 2008, pp. 42-45) pour vous faire part des observations qu’ils m’inspirent.
Sur les « origines » des hommes politiques
À la question de savoir si Laurent Nkunda est une « création du Rwanda », vous avez répondu : « Il ne servirait à rien, alors que nous recherchons la paix, de prononcer ce genre de phrase provocatrice. Chacun sait d’où viennent Nkunda Batware et son mouvement, c’est un secret de polichinelle. » Dans la foulée de ce propos, vous indiquez qu’il « ne serait pas bon que cela sorte de la bouche du président de l’Assemblée nationale », qui n’est autre que vous-même. Le mal était pourtant fait. Même lâchée comme à regret, la « phrase provocatrice » a fait son effet. Et tout au long de cette interview, où l’on met d’emblée votre « parler cru » en exergue, le lecteur que je suis a ressenti le besoin de réagir.
Comme vous le savez, le président Kabila est apparu sur la scène politique congolaise en même temps, dans le même camp et dans les mêmes circonstances que Laurent Nkunda, son ancien compagnon d’armes au sein de l’AFDL [Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, NDLR]. Chacun sait d’où ils viennent, comme vous dites. Pour autant, aussi bien pour Nkunda que pour votre président, ce détail biographique ne mérite pas d’être éternellement brandi pour transformer l’un ou l’autre de ces hommes en « créations du Rwanda ». Au niveau de responsabilité qui est le vôtre, vous n’êtes pas sans savoir les effets dévastateurs que les surenchères xénophobes font peser sur l’unité de nos pays d’Afrique. Il arrive que des politiciens croient pouvoir s’en servir au bénéfice de leur promotion personnelle, mais c’est toujours au détriment de leurs peuples.
Vous déclarez par ailleurs que « Nkunda et ses troupes sont une réalité avec laquelle nous devons compter. Les intégrer dans les institutions de la République, sous certaines conditions, ressort de la même logique qui nous a conduits hier à intégrer Jean-Pierre Bemba et Azarias Ruberwa au sein de ces mêmes institutions, c’est une nécessité. » Je pense qu’au lieu de devoir « intégrer » successivement leurs propres compatriotes, les responsables politiques devraient s’abstenir de tout discours d’exclusion partisane.
Une guerre pour des minerais ?
Vous expliquez également que si le Kivu est une poudrière, c’est parce qu’« il est riche et que cette guerre est avant tout une guerre pour l’appropriation des minerais de l’est de la RD Congo ». Croyez-moi, Monsieur le Président, il n’y a pas que les minerais en cause dans la déstabilisation qui affecte nos populations. En tant qu’Africains, réduire la crise des Grands Lacs à une histoire de minerais, c’est appliquer sur nous-mêmes le regard des autres. C’est légitimer l’arrogante tradition qui ne laisse à l’Afrique que le rôle de spectatrice de son histoire. C’est faire trop peu de cas des luttes pour la liberté menées depuis des siècles par des hommes et des femmes de notre continent, pour les ramener symboliquement au statut de « marchandises » comme naguère l’or, l’ivoire ou les esclaves.
Le fait que les minerais attisent la convoitise des sociétés industrielles qui les consomment n’en fait pas pour autant l’explication ultime des conflits politiques dont la résolution nous revient. En réalité, beaucoup plus qu’aux minerais eux-mêmes, le conflit qui sévit dans nos régions doit et devra toujours ses causes et son règlement éventuel au leadership de ceux qui sont aux affaires et à leur aptitude à trouver des solutions. Se complaire sous la tutelle d’une intervention internationale indéfinie, sans limite temporelle d’action ni date prévisible de retrait, ne fera qu’ajouter à la confusion et démultiplier les ingérences.
Vous relevez avec justesse le rôle qui est celui des ex-FAR [Forces armées rwandaises, NDLR] et des Interahamwes dans cette « guerre de minerais » en reconnaissant que « la plupart des mines du Nord-Kivu sont sous le contrôle physique des rebelles rwandais ». Mais quelle stratégie votre gouvernement adopte-t-il dans ce contexte ? Comment gagner cette guerre si vous faites alliance avec vos prédateurs ? La collaboration de plusieurs individus de votre armée avec les ex-FAR et les Interahamwes est attestée. « Où sont les preuves de ces accusations ? » demandez-vous. Celles-ci existent sur le terrain bien sûr. Et il est tout à fait étonnant de ne pas entendre dans la bouche d’un responsable politique tel que vous la moindre condamnation de l’occupation militaire de vastes territoires de votre pays par une armée étrangère prédatrice comme les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda, NDLR], ni surtout la moindre évocation des exactions qu’elle impose depuis quinze ans à vos compatriotes.
Plus loin, pour justifier la présence des FDLR dans votre pays et la persistance d’un conflit régional, vous expliquez : « S’il était facile de résoudre ce problème, je pense que les Rwandais, qui ont occupé pendant cinq années le Kivu, y seraient parvenus. » Les Rwandais n’ayant pas réussi à nettoyer vos forêts, qu’avez-vous entrepris vous-mêmes pour protéger la vie et les biens des Congolais vivant sous le joug des FDLR ? Depuis le temps que le Rwanda pose le problème des FDLR sur la table des différentes négociations destinées à régler cette crise régionale, nul n’ignore que l’idée même de les désarmer fut arrachée par nos délégations comme une concession.
Kigali, principale porte d’exportation des richesses du sous-sol congolais ?
Vous déclarez par ailleurs que « via toute une série d’intermédiaires dont certains sont congolais, ces produits de notre sous-sol se retrouvent à Kigali, qui en est devenu la principale porte d’exportation vers l’Asie ou l’Occident, parfois aussi à Bujumbura ou à Entebbe, en Ouganda. C’est paradoxal, mais c’est ainsi. » Monsieur le Président, de nombreuses sources indiquent que les filières du commerce illégal de vos minerais ont fini par être légitimées du fait de la participation des représentants de l’État congolais dans l’organisation, l’approvisionnement et le maintien des réseaux de trafic. Leur rôle est loin d’être anecdotique, ponctuel ou secondaire. C’est ce qui explique d’ailleurs la durée et la persistance d’une situation où l’incurie de l’État dans le pays producteur joue le premier rôle, loin devant la « responsabilité » des pays de transit, devenus « portes d’exportation » du seul fait de leur situation géographique. Grâce à une mystification médiatique, tout cela a fini par s’appeler « pillage » des richesses de la RD Congo par ses voisins, occultant le rôle incitateur des pays demandeurs de minerais, pour fixer les esprits sur les voisins orientaux de la RD Congo, lieux traditionnels de passage de tous les produits congolais vers l’extérieur. Votre gouvernement souhaite-t-il que nous fermions nos frontières ? Non, et les acheteurs encore moins !
L’annonce explicite d’une diplomatie de faux-semblants
Enfin, quand votre interlocuteur vous fait observer que « les autorités rwandaises ont toujours nié être partie prenante dans ce genre de trafics », vous répondez que vous ne croyez pas « en leurs dénégations ». « Tous les experts savent que je dis vrai », précisez-vous, avant d’ajouter qu’entre autres solutions à ce problème, « il faut relancer la Communauté économique des pays des Grands Lacs [CEPGL], seule à même de fournir à un petit pays trop densément peuplé comme le Rwanda un espace économique où mieux respirer ». Monsieur le Président, je vous confirme que l’organisation illicite du transit de vos produits par le Rwanda n’est pas de son intérêt. Les règles normales du commerce régional que notre pays entretient avec ses autres voisins suffisent à nos besoins. Quant à la CEPGL, je vous rappelle que ce n’est pas dans le but d’aider le Rwanda à mieux respirer que les délégations de nos trois pays ont décidé d’assurer sa relance. Rien ne justifie la sollicitude paradoxale que vous semblez éprouver pour notre pays. La coopération régionale que nous avons décidé de promouvoir à travers cette organisation qui lie nos deux pays au Burundi est un outil de développement commun, de promotion du bien-être de nos populations dans une intégration régionale agissante.
Tel est, Monsieur le Président, l’avis que je souhaite vous transmettre au sujet de votre dernière prestation dans l’hebdomadaire Jeune Afrique.
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