Que cherche Sarkozy ?

Volontiers iconoclaste, le président français vient de lancer sa propre initiative de paix sur fond de guerre au Nord-Kivu. Genèse et détails exclusifs d’un plan controversé.

Publié le 27 janvier 2009 Lecture : 6 minutes.

Si ce nouveau calendrier est maintenu – deux mois de visibilité, c’est beaucoup, surtout vu de l’Élysée –, Nicolas et Carla Sarkozy devraient, le 26 mars, entamer par Kinshasa une visite africaine de deux jours qui les conduira ensuite à Brazzaville (où le couple présidentiel doit passer la nuit), puis à Niamey. Pour la petite histoire, la première date retenue pour cette minitournée était le 20 janvier, avant que l’on s’aperçoive à Paris qu’un certain Barack Obama devait être investi le même jour. Repoussée aux 28 et 29 janvier, puis une nouvelle fois reportée à l’initiative de l’Élysée pour cause de semaine sociale « à risque » en France, elle aura donc lieu, en principe, fin mars. L’offensive conjointe menée depuis une semaine par les troupes rwandaises et congolaises dans le Nord-Kivu pour « nettoyer » les maquis des rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) aura-t-elle, alors, pris fin ? Cette opération de traque, pour laquelle le président Kabila a pris le risque politique d’autoriser l’entrée en territoire congolais de plusieurs bataillons de l’Armée patriotique rwandaise, en dépit de l’hostilité de la majorité de son opinion, est la suite logique des accords de Nairobi et de Goma, conclus ces dernières semaines entre Kinshasa et Kigali sous forte pression américaine. Elle intervient alors que la France, désireuse de ne pas laisser aux seuls Anglo-Saxons le soin de prendre des initiatives dans la région – et d’éviter par là même un glissement de la RD Congo vers l’est anglophone du continent –, vient de se poser, de façon assez surprenante, en faiseur de paix dans les Grands Lacs.

C’est le 16 janvier, lors des vœux du corps diplomatique à Paris, que Nicolas Sarkozy a, à sa manière, levé un coin du voile et lancé un ballon d’essai. Il faut, a-t-il dit, « trouver une nouvelle approche » afin de régler « de façon globale » des problèmes de fond auxquels « l’option militaire n’apportera aucune solution ». Une proposition qui, ajoute-t-il, « met en cause la place, la question de l’avenir du Rwanda, pays à la démographie dynamique et à la superficie petite » et pose le problème de la RD Congo, « pays à la superficie immense et à l’organisation étrange des richesses frontalières ». Une seule solution, selon le président français : l’établissement d’un dialogue bilatéral et « structurel » sur deux sujets tabous : « Comment, dans cette région du monde, on partage l’espace et on partage les richesses. »

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Des mots qui choquent

Mettre ainsi les pieds dans le plat ne va pas sans provoquer quelques éclaboussures, surtout que, même si le « Monsieur Afrique » de Nicolas Sarkozy, Bruno Joubert, en avait informé Joseph Kabila et si certains responsables rwandais, assure-t-on à Paris, ont été sondés préalablement, nul n’était officiellement au courant de l’initiative française. À Kin­shasa, où l’ambassadeur de France Pierre Jacquemot a été invité à s’expliquer par le ministère des Affaires étrangères, on s’étonne. « Il n’existe aucun contentieux frontalier ou de partage de ressources entre la RD Congo et le Rwanda pour que cela fasse l’objet d’un quelconque dialogue structurel entre les deux pays, réagit le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe. Il ne saurait être question ni d’un partage de l’espace ou des richesses du Congo, ni de leur exploitation en commun avec le Rwanda. Moscou et Kiev ont eu un différend à propos du gaz russe et nul n’a préconisé pour autant la création d’une société mixte. La raison en est simple : le gaz est une ressource propre à la Russie. » À Kigali, l’envoyé spécial présidentiel dans les Grands Lacs, Joseph Mutaboba, se dit « surpris » par cette approche et « choqué » par le vocabulaire de Nicolas Sarkozy à propos du Rwanda : « Au moment où nos deux pays coopèrent sur le terrain pour éradiquer les forces négatives, cette initiative ressemble fort à une diversion. » C’est dire si la communication présidentielle a, une fois de plus, été rude. Et sans doute un peu précipitée.

Car, à y regarder de plus près, cette « nouvelle approche » telle qu’elle est déclinée par ceux qui y travaillent à Paris depuis plus de trois mois va à contre-courant de celle adoptée jusqu’ici par la communauté internationale, essentiellement concentrée sur le rôle de l’ONU en RD Congo et sur l’élimination (politique et militaire) des ex-génocidaires des FDLR. Pour les diplomates français, « les rebelles hutus font partie du problème, mais ils ne sont pas tout le problème ». Le vrai défi, fondamental à leurs yeux, est économique pour la RD Congo – comment enrayer le pillage des minerais des deux Kivus, contre lequel l’État congolais semble totalement impuissant – et démographique pour le Rwanda : « Dans dix ans, ce pays aura 20 millions d’habitants et pas assez de terre pour les nourrir », prévoit-on à Paris. D’où l’idée de créer un espace économique commun « sur le modèle de la Communauté économique du charbon et de l’acier franco-allemande au cours des années 1950 ». Dans le cadre de laquelle RD Congo et Rwanda échangeraient par exemple des minerais contre de l’électricité. Un projet d’usine de transformation et un autre de société mixte à capitaux majoritairement rwandais (Kigali disposant en ce moment de plus de fonds que Kinshasa) sont ainsi en cours d’élaboration à Paris. Reste que cette coopération pacifique fondée sur des réalisations concrètes nécessite un préalable : une paix qui soit à la fois globale et durable entre les deux voisins. D’où des initiatives complémentaires, sur lesquelles planchent également les Français. L’une sur la question foncière, au cœur des tensions intercommunautaires que connaît le Nord-Kivu depuis un demi-siècle. L’autre sur le statut des minorités – en particulier tutsie – qu’il convient d’« assainir » par la tenue, par exemple, d’élections locales « transparentes ».

Plusieurs groupes de travail mixtes Élysée-Quai d’Orsay (mines, agriculture, énergie, FDLR…) se réunissent régulièrement afin d’élaborer une proposition d’ensemble que Nicolas Sarkozy devrait rendre publique à la fin de mars, à Kin­shasa, après qu’elle aura été acceptée par les deux parties, et dans le cadre solennel d’un sommet des dix chefs d’État de la Ceeac (Communauté économique des États de l’Afrique centrale) que Sarkozy a demandé à Kabila de réunir chez lui pour l’occasion. Tout au moins l’espère-t-on à Paris, où l’on a enregistré avec satisfaction l’intérêt marqué que des diplomates britanniques, venus tout exprès de Londres, portent semble-t-il à ce projet « novateur ».

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Initiative prématurée

Quant aux réactions réservées, voire négatives, de certains responsables congolais et rwandais à l’initiative de paix française, elles sont mises sur le dos du simple « malentendu ». Non sans une pointe d’agacement toutefois. « Les Congolais nous renvoient à cette coquille vide qu’est la Communauté des pays des Grands Lacs. Or la CPGL est comateuse depuis vingt ans, ironise à Paris un proche du dossier. Ils parlent de souveraineté menacée ; mais qui mieux que la France a toujours défendu la souveraineté congolaise ? Sarkozy est le seul dirigeant occidental important à se rendre à Kinshasa, il ne va pas y aller pour faire des ronds de jambe, mais pour être utile à la paix. » Quant aux Rwandais, notre interlocuteur estime qu’ils « seraient bien inspirés de changer de stratégie et de saisir la main qui leur est tendue ».

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Reste un détail, fondamental, à régler. Si Nicolas Sarkozy, qui a rencontré Paul Kagamé à deux reprises et renoué le dialogue avec Kigali, ne se sent pas comptable – et encore moins coupable – du rôle pour le moins controversé joué par son pays lors du génocide de 1994, il n’en va pas de même pour les Rwandais. À leurs yeux, même si Sarkozy n’est ni Mitterrand ni Chirac, l’État français demeure l’objet de bien des suspicions. Le passé ne passe toujours pas, la page n’est pas tournée et la confiance n’est pas encore rétablie. Que la « nouvelle approche » française comporte des éléments intéressants est une (vraie) possibilité. Qu’elle soit prématurée apparaît donc comme une certitude.

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