ATT entre en guerre

Après avoir privilégié le dialogue avec la rébellion, le chef de l’État a décidé de recourir à la force. Reste à mobiliser les moyens nécessaires pour gagner cette nouvelle bataille.

Publié le 27 janvier 2009 Lecture : 4 minutes.

Jamais les rebelles touaregs n’avaient frappé si près de Bamako. Le 20 décembre, une colonne dirigée par l’irréductible Ibrahim Ag Bahanga s’est aventurée à quelque 1 000 kilomètres de ses bases de l’Adrar des Ifoghas, à la frontière algérienne, et a attaqué la garnison militaire de Nampala, à 500 kilomètres à peine de la capitale. Les militaires maliens ont défendu chèrement leur peau. Ils ont même repoussé un premier assaut rebelle. Mais le coup fatal est venu de l’intérieur de la garnison. Un caporal issu de la rébellion et récemment intégré dans l’armée a tué son chef de peloton. Panique dans le camp militaire. Le deuxième assaut a été décisif, et le bilan est lourd. Neuf militaires tués, selon Bamako. Plus de vingt, selon les rebelles.

Comme si cela ne suffisait pas, les combattants de Bahanga sont restés encore une bonne semaine dans la région et ont nargué l’armée malienne entre Nampala, Nara et Nioro, le long de la frontière mauritanienne, avant de regagner leur repaire montagneux du nord. Autant dire que le moral des troupes n’est pas très haut…

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Très vite, le président Amadou Toumani Touré (ATT) a senti le danger. Dès le 22 décembre, il a lancé, à Kayes : « Trop, c’est trop ! Nous ne pouvons pas continuer à subir, à compter nos morts et à chercher la paix. » Fini la main tendue. C’est la guerre. ATT qualifie désormais les rebelles – « une bande de marginaux isolés au sein de la communauté touarègue » – avec le même mépris que Mamadou Tandja évoquant la rébellion touarègue du nord du Niger.

Force supplétive

Aussitôt, pour compenser les carences de l’armée, ATT a constitué une force supplétive à dominante arabe : plusieurs centaines de combattants sous les ordres du colonel Mohamed Ould Meidou, un officier arabe de la région de Tombouctou. Au risque de dresser les communautés arabe et touarègue l’une contre l’autre. Le 20 janvier, l’armée malienne a annoncé triomphalement la prise et la destruction de « la principale base rebelle », Tinsalak, près de la frontière du Niger. Selon les rebelles, Bahanga avait abandonné cette position depuis six mois, bien que des vivres et du carburant y aient été saisis. La victoire est surtout symbolique. Mais c’est toujours bon pour le moral…

L’attaque très audacieuse de Nampala pose au moins trois questions.

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1 – Le renseignement. Comment une colonne de plusieurs dizaines de véhicules peut-elle rayonner sur 1 000 kilomètres sans être repérée ? En fait, il semble qu’un satellite américain l’a localisée, mais que l’information n’a pas été prise au sérieux à Bamako. Il est vrai qu’ATT ne dispose pas, comme le Tchadien Idriss Déby Itno, des yeux et des oreilles d’un avion Breguet Atlantic de l’armée française. Indépendance oblige.

2 – La mobilité. La « promenade » des rebelles pendant une semaine autour de Nampala prouve que l’armée malienne est incapable de projeter rapidement des troupes sur le front. Manque de véhicules et d’appui aérien. En avril 2008, près de Kidal, au nord-est, deux hélicoptères maliens qui volaient à très basse altitude ont réussi à surprendre une colonne rebelle et à tuer plusieurs de ses membres. Mais lors de l’opération, l’un des pilotes ukrainiens a été touché par un tir ennemi. Depuis, les Ukrainiens sont rentrés chez eux et les hélicoptères ne volent plus.

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3 – Le jeu de l’Algérie et des États-Unis. ATT n’a sans doute pas tort quand il dit que l’un des principaux objectifs – inavoués – d’Ibrahim Ag Bahanga est de faire partir l’armée et la douane maliennes de Tinzaouatène et de tout l’Adrar des Ifoghas afin de pouvoir trafiquer en toute tranquillité sur les pistes transsahariennes. De l’autre côté de la frontière, à Tamanrasset, quelques riches commerçants algériens prospèrent grâce à ce trafic en tout genre (carburant, cigarettes, et maintenant cocaïne), et les rebelles blessés au combat sont soignés dans un dispensaire de la ville. Cela dit, les Algériens restent très prudents car ils se méfient des connexions éventuelles entre rebelles touaregs et islamistes algériens d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Un besoin d’argent frais

Les Américains mènent aussi une partie serrée. Dans le cadre de leur initiative Pansahel, ils détachent très régulièrement quelques centaines d’hommes à proximité de l’aéroport de Gao pour surveiller les mouvements islamistes dans le nord du Mali. L’air de rien, la belle cité endormie des bords du fleuve Niger est devenue une base américaine qui ne dit pas son nom. Une base temporaire. En septembre 2007, un avion américain a même décollé de Gao pour parachuter du ravitaillement à des soldats maliens encerclés dans la zone de Tinzaouatène. L’avion a essuyé des tirs rebelles. Pour autant, Washington ne veut pas se laisser entraîner dans une guerre malienne, et, sur le terrain, sous couvert d’assistance aux populations et au cheptel, des agents américains gardent le contact avec toutes les tribus sahariennes dans l’espoir d’infiltrer AQMI.

S’il veut gagner cette guerre, ATT sait qu’il lui faut de l’argent frais. Sinon, pas d’unités spécialisées, pas de drones, pas d’hélicoptères. Pour cela, le président malien sollicite l’aide des Européens qui, c’est vrai, sont directement touchés par le trafic de cocaïne sur les pistes sahariennes. Mais l’UE souhaite avant tout une vraie coordination entre tous les pays concernés. « Dans cette zone, le Mali occupe une position centrale », fait valoir l’ancien ministre malien de la Défense, Soumeylou Boubèye Maïga, qui vient de créer l’Observatoire sahélo-saharien de géopolitique et de stratégie. « Pourquoi ne pas y mettre en place un centre de coordination militaire qui inspirera confiance aux bailleurs de fonds ? » Le Sahel, c’est comme les zones tribales du Pakistan. Une immense zone de non-droit, et un grand terrain de jeu pour stratèges de tout poil.

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