Visite au quartier VIP de New Bell
On est forcément coupable de quelque chose à New Bell. Que l’on soit détenu à la prison centrale de Douala, qui a fait la réputation du lieu, ou que l’on réside tout simplement dans ce quartier pauvre abandonné aux gangs. Ce n’est pas un hasard si de nombreux jeunes « Bellois » déscolarisés et victimes du chômage ont fini écroués à la prison avoisinante. Édifié dans les années 1930, à deux pas du marché central de Douala, le pénitencier accueille toutes sortes de délinquants : femmes, mineurs, petites frappes ou grands criminels… 3 500 personnes, logées – voire « oubliées » – dans une prison de 700 places.
Depuis que le Cameroun a lancé la fameuse opération Épervier, censée poursuivre et juger les coupables de détournements d’argent public, New Bell n’est plus le repaire exclusif des rebuts de la ville. À l’instar de la prison de Kondengui à Yaoundé, des personnalités de premier plan ont rejoint le quartier VIP du pénitencier, appelé « quartier 18 ». C’est là qu’est détenu, depuis 13 décembre 2007, le colonel Édouard Etonde Ekotto, 71 ans, ancien délégué du gouvernement (maire) de Douala et ancien président du conseil d’administration du Port autonome de Douala (PAD). Il y est connu comme le loup blanc. Les autres « pipoles » hébergés au « 18 » laissent à l’ancien le privilège de prendre ses repas sur la glacière qui leur sert de table. Ses voisins de cellule font aussi partie de l’annuaire mondain de la capitale économique du Cameroun : Simon Pierre Ewodo Noah, ancien directeur général adjoint du PAD, Zacchaeus Forjindam, directeur général des Chantiers navals et industriels du Cameroun (CNIC), limogé et écroué à New Bell en mai dernier, ainsi que Siewe Nitcheu, ancien directeur des infrastructures du PAD. En tout 35 personnes entassées dans un espace prévu pour moins d’une dizaine. « Les cellules font 1,70 m de large, explique un détenu. Pas assez pour un homme aussi grand que Forjindam [plus de 1,90 m sous la toise] qui ne peut pas étendre ses jambes pour s’allonger. »
Et ce n’est pas leur unique tourment. Le quartier « spécial » partage un mur lézardé avec les cuisines. Les prisonniers inhalent donc, en plus des odeurs émanant des toilettes à la turque de la cellule, les relents nauséabonds de la tambouille du mitard. Pour échapper à cet environnement insalubre, les prisonniers se réfugient dans les bureaux de l’administration pénitentiaire. Ils doivent alors traverser toute la grande cour, notamment le périlleux « carrefour Ndokoti ». Un couloir où ces anciens hauts fonctionnaires croisent les détenus les plus dangereux. VIP ou non, chacun risque d’y recevoir un coup de couteau. En dépit de la fouille générale effectuée le 23 décembre en prélude à l’office religieux célébré pour Noël par l’archevêque de la ville, Mgr Christian Tumi, les armes blanches circulent. En effet, le 25 décembre, le jeune Valéry Nana a été tué d’un coup de couteau par un autre détenu.
Payer pour sa protection
Prévoyants, les VIP ont payé au prix fort leur protection par quelques gros bras pour assurer leur sécurité. Solidaires devant la menace, les codétenus du quartier spécial ont fait ériger une barrière électrifiée pour se protéger des agressions. Chacun se souvient qu’en 2005 les locataires du « 18 » ont tous été dépouillés par des détenus en furie au cours d’une mutinerie.
Le moindre incident peut mettre les « hôtes de marque » en danger. La nuit, on écoute les bruits provenant des quartiers voisins. On redoute que survienne l’une de ces journées de braise qui endeuillent régulièrement le pénitencier. En cas de tentative d’évasion, les gardiens ont la réputation d’avoir la gâchette facile. La plus récente, survenue le 29 juin 2008, fait encore frissonner d’horreur. Dix-sept détenus ont été tués par balles. Le carnage a poussé les autorités pénitentiaires à regrouper les détenus jugés dangereux au sein du quartier « Régime », (six dortoirs exigus qui hébergent 200 personnes chacun). Ce regroupement s’est soldé par une catastrophe : dans la nuit du 19 au 20 août 2008, un grave incendie a ravagé le bâtiment surpeuplé, provoquant l’effondrement du toit et des murs sur les personnes incarcérées. Dix hommes sont décédés sur place tandis que des dizaines de brûlés ont dû être évacués vers les hôpitaux de la ville.
En entendant le crépitement des flammes ou celui des armes automatiques venant de l’extérieur, les VIP passent par tous les stades. De la peur à l’abattement. « L’autre jour un monsieur a fait un malaise », raconte le colonel Etonde. Raide et imposant, le colonel, rasé de près, semble avoir trouvé ses repères dans cet univers qui ne lui est pourtant pas familier. Visiblement, il veut faire bonne figure. « Rester digne, ça force le respect des autres prisonniers », explique un avocat. Une fois franchi le « carrefour Ndokoti », l’ancien saint-cyrien savoure le bonheur de parler avec ses visiteurs. Il se déplace à l’aide d’une béquille depuis qu’une mystérieuse maladie infectieuse a failli l’emporter. Ce qu’il pense de son « affaire » ? « Je ne me pose plus de questions sur le pourquoi. Car je sais pourquoi, dit-il d’un ton grave. Je me demande seulement pour combien de temps encore ceux que je considère toujours comme étant mes amis vont me maintenir dans cette prison épouvantable », soupire-t-il, elliptique.
En attendant, il trompe l’ennui en lisant des livres sur la religion, une biographie de Bernard Tapie et des livres sur Barack Obama. Il parle volontiers et s’amuse de l’humour potache de Lapiro de Mbanga, chanteur populaire condamné à trois ans de prison à la suite des émeutes de février 2008. Les gardiens fichent une paix royale à ces célébrités. D’autant qu’ils ne posent généralement pas de problèmes. C’est un « partenariat gagnant-gagnant », car les prisonniers de marque du « 18 » ont encore le bras long et des amis haut placés. Il n’y a qu’à voir la qualité des visiteurs de Forjindam, réconforté par les puissants chefs traditionnels de la province anglophone du Nord-Ouest ou la famille Muna, dont il est le cousin par alliance.
Mais même pour ces privilégiés, les choses ne sont pas toujours faciles. Pendant qu’Etonde soignait son infection à l’hôpital général de Douala, une escouade de gendarmes a dû prendre ses quartiers dans cet établissement pour assurer sa garde. À cause de ces désagréments, les médecins refusent désormais de lui accorder des rendez-vous pour effectuer les contrôles prescrits.
Oubliés de tous
« Toutes ces affaires sont scandaleuses », s’insurge Caroline Wassermann, avocate française de Joseph Edou, ancien directeur général du Crédit foncier du Cameroun, incarcéré à Yaoundé depuis le 21 février 2006 et condamné à quarante ans de prison pour détournement de deniers publics. « J’ai essayé de rencontrer des magistrats, qui n’ont pas voulu me voir, ajoute-t-elle, acide. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs dans ce pays. Ni de respect des droits de la défense. »
À New Bell, les familles apportent aux détenus leurs repas du jour. À la privation de liberté s’ajoute l’absence d’une alimentation digne de ce nom. La prison n’offre qu’un repas par jour. Pour les trente-cinq pensionnaires du « 18 », censés être des « privilégiés », l’État n’octroie que 6 000 F CFA (9 euros) de ration alimentaire par mois ! Oubliés par l’État, ils le sont aussi de leurs concitoyens, qui semblent n’avoir aucune confiance dans les vertus rédemptrices des prisons camerounaises. Passer par New Bell, que l’on soit coupable ou innocent, laisse toujours des traces.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?