L’exception sud-africaine

Le festival d’Angoulême met à l’honneur l’une des rares revues de BD de la nation Arc-en-Ciel. Un fanzine politiquement incorrect qui donne dans la provocation et l’ironie.

Publié le 20 janvier 2009 Lecture : 3 minutes.

C’est à une revue sud-africaine avant-gardiste, drôle et impertinente, Bitterkomix, que le Festival international de bande dessinée d’Angoulême et l’éditeur L’Association ont décidé de rendre hommage.

L’un en organisant, du 29 janvier au 1er février, une exposition qui présente le travail de quatre artistes ayant paru dans Bitterkomix : Conrad Botes, Anton Kannemeyer (alias Joe Dog), Karlien de Villiers et Joe Daly. L’autre en publiant une vaste anthologie qui regroupe les meilleures histoires et dessins de la revue*.

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Dans un pays qui n’édite presque aucune BD (voir p. 76), Bitterkomix est l’un des rares magazines de bande dessinée pour adultes. Il fait figure d’exception en publiant de véritables travaux d’auteur, exigeants et politiquement incorrects.

Son origine est étroitement liée à la fin de l’apartheid. En 1992, un an après la fin du régime raciste, Conrad Botes et Anton Kannemeyer, tous deux Blancs et Afrikaners, profitent de la fin de la censure pour créer une revue qui dénonce une société empreinte d’archaïsmes.

« Nous voulions exprimer notre haine des conservateurs blancs, de l’Église, de l’armée, de ces écoles qui ressemblaient presque aux jeunesses hitlériennes », explique Anton Kannemeyer. Écrit en anglais et en afrikaans, le magazine adopte d’emblée un ton mordant et provoquant, teinté d’ironie et de noirceur. « Nous étions particulièrement amers de l’enfance que nous avions passée, précise Anton Kannemeyer, c’est ce qui a donné le nom à la revue [« bitter » signifie « amer » en anglais et en afrikaans]. »

Bitterkomix s’attaque dès ses débuts à tous les tabous sud-africains. À travers des dessins aux couleurs crues et de courtes histoires en noir et blanc, les auteurs se font en effet un malin plaisir d’aborder les sujets qui fâchent. La religion, et particulièrement le calvinisme puritain qui a longtemps œuvré en Afrique du Sud, est tournée en dérision. Le sexe, et notamment celui entre Noirs et Blancs, alors jugé choquant, est omniprésent. Une large place est également laissée à des récits autobiographiques, où les auteurs n’hésitent pas à attaquer des thèmes sensibles tel l’inceste. Enfin, Bitterkomix comporte aussi de multiples références à la situation politique et à l’histoire des Afrikaners, dont les auteurs dénoncent le racisme, le puritanisme et la violence.

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Bien qu’autoéditée et diffusée à seulement un millier d’exemplaires, Bitter­komix bénéficie dès ses débuts d’une large audience dans les cercles littéraires et artistiques. Beaucoup d’Afrikaners se reconnaissent dans ses attaques. « Quand je l’ai découverte, en 1992-1993, se souvient l’auteur de bandes dessinées Joe Daly, qui publiera lui aussi plus tard dans la revue, je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas la montrer à tout le monde. C’était très puissant, cela montrait une partie sombre de la société sud-africaine et pouvait vraiment choquer. »

Toutefois, si la revue est remarquée, elle ne le doit pas uniquement à son contenu provocateur et subversif. Jean-Christophe Menu, éditeur de l’anthologie Bitterkomix, qui vient de paraître à L’Association, avoue avoir été étonné : « On ne soupçonnait pas que l’Afrique du Sud pouvait avoir une bande dessinée aussi forte, politiquement mais aussi esthétiquement. Les auteurs utilisent des détournements et de multiples références à la culture visuelle européenne. Leur travail est vraiment à la jonction de la bande dessinée et des arts plastiques. »

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Faisant preuve d’un réel talent graphique, Conrad Botes et Anton Kannemeyer se révèlent de fins connaisseurs d’art et de BD, notamment européenne. Jouant avec les styles et les références, ils adorent, par exemple, parodier Hergé et l’album Tintin au Congo, jugé raciste. Artistes accomplis – ils mènent d’ailleurs tous deux en parallèle avec succès une carrière dans l’art contemporain –, ils n’hésitent pas à faire référence à l’art moderne dans leur travail. Les provocations de Bitterkomix sont tout sauf simplistes, et leur propos dépasse largement le simple contexte africain.

Aujourd’hui à son quinzième numéro, après plus de seize ans d’existence, Bitter­komix fait preuve d’une étonnante longévité pour un magazine de BD alternatif et autoproduit. Cette durée s’explique aussi par le fait qu’Anton Kannemeyer et Conrad Botes ont su ouvrir les pages de leur revue à d’autres auteurs, enrichissant ainsi son contenu.

Parmi ces artistes, il y a notamment Karlien de Villiers, qui a publié en 2007 sa première bande dessinée, un récit autobiographique d’une enfance sur fond d’apartheid. Joe Daly, autre auteur ayant fait ses armes dans Bitterkomix, a vu lui aussi deux de ses œuvres paraître chez L’Association. Il reconnaît l’importance de Bitterkomix dans son parcours : « En incluant des artistes invités comme moi dans leurs pages, ils ont vraiment permis de faire découvrir la scène BD underground sud-africaine. »

* Bitterkomiw, de Joe Dog et Conrad Botes, éd. L’Association, 288 pages, 34 euros.

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