Les émigrés ne lui disent pas merci !

Brice Hortefeux quitte le ministère de l’Immigration, où il est remplacé par l’ancien socialiste Éric Besson, pour celui des Affaires sociales. Il laisse un bilan pour le moins controversé.

Publié le 19 janvier 2009 Lecture : 7 minutes.

A la veille de son départ pour les Affaires sociales, Brice Hortefeux, le ministre français de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, a tenu une conférence de presse, le 13 janvier. Comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il en a profité pour célébrer le travail accompli à la tête d’un ministère aussi inédit que controversé lors de sa création, en mai 2007, au lendemain de l’élection à la présidence de Nicolas Sarkozy…

Au prix de quelques bricolages statistiques qui lui permettent d’atteindre les objectifs fixés en matière de lutte contre l’immigration clandestine par le chef de l’État – qui assimile le phénomène à une menace pour « l’identité nationale » –, le ministre a présenté un bilan extrêmement positif de son action au cours des vingt derniers mois. « À tous les niveaux, les objectifs fixés ont été atteints, sont en passe de l’être ou sont programmés ; aucun n’a été abandonné », s’est-il réjoui. Si l’on en croit les chiffres fournis par son administration, celle-ci n’a pas ménagé sa peine. En 2008, emportée par son élan, elle a expulsé davantage d’immigrés en situation irrégulière qu’elle n’était tenue de le faire : 29 796 d’entre eux ont été « éloignés du territoire français », soit 28,5 % de plus qu’en 2007, alors que Sarkozy n’en avait exigé que 26 000. En vingt mois, 44 875 sans-papiers ont, au total, été expulsés. Ajoutant à ce chiffre les 45 446 « migrants illégaux » refoulés, au cours de la même période, avant d’avoir pu pénétrer sur le territoire français, le ministre a affirmé que, « pour la première fois depuis une génération, l’immigration clandestine a commencé de décroître ». Un résultat qu’il impute, en partie, à l’intensification de la répression contre les filières clandestines et les marchands de sommeil.

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Tout le monde n’en est pas convaincu. Chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Patrick Weil estime par exemple que ces chiffres mélangent tout. « Il existe différents types de reconduites, écrit-il dans une minutieuse enquête publiée par le quotidien Le Monde. Certaines sont forcées, d’autres “volontaires” [un tiers des “reconduites à la frontière” en 2008, NDLR]. Parmi les retours contraints, il y a aussi des réadmissions [dans les pays de la zone Schengen]. […] Pour les responsables de la police, les “vraies” reconduites concernent les étrangers que l’on ramène hors d’une zone de libre circulation vers la France, d’abord en Afrique, en Asie, en Amérique ou en Europe de l’Est. Or ces reconduites-là n’augmentent pas. »

Rééquilibrage

S’agissant de l’immigration légale, Hortefeux estime que, « grâce à [son] action, la rupture a eu lieu, le rééquilibrage entre l’immigration familiale et l’immigration professionnelle est engagé ». Selon lui, la première a baissé en 2007 (– 10,6 %) pour la quatrième année consécutive, tandis que la seconde continuait de progresser. En 2008, le nombre des titres de séjour délivrés pour raison professionnelle devrait passer de 14 % à 20 % du total des visas longue durée accordés, soit une hausse de 22,5 %. Parallèlement, « un vrai parcours d’intégration a été mis en place », avec la signature de plus de 100 000 contrats d’accueil et d’intégration, la création d’« écoles des parents », et la réalisation de plus de 1 000 tests portant sur la connaissance de la langue française et des valeurs républicaines. Tout cela dans le cadre « de la concertation et du partenariat », explique l’intéressé, peu désireux de se laisser enfermer dans un rôle de père Fouettard : « En vingt mois, j’ai fait vingt-deux visites officielles en Afrique [dans quatorze pays, NDLR] pour expliquer et promouvoir l’action équilibrée de la France et, au-delà, de l’Europe en matière d’immigration. »

Pour Patrick Weil, tout cela n’est qu’une mystification. Le « rééquilibrage » des flux migratoires en faveur de l’immigration professionnelle n’est que l’un des outils utilisés par Hortefeux pour réduire l’immigration familiale – la plus importante. « Quand la politique d’immigration a ce type de visée sans pouvoir soumettre à des quotas l’immigration de familles – la Constitution française et le droit européen garantissent à toute personne qui remplit les conditions prévues par la loi le droit à une vie familiale normale –, on se fixe des objectifs irréalisables pour inciter les fonctionnaires à se libérer de leur obligation de respecter le principe d’égalité devant la loi et l’on multiplie les procédures bureaucratiques afin de ralentir voire de bloquer l’attribution des droits à des étrangers jugés indésirables », écrit-il en substance. Ce qui n’empêche nullement les dirigeants d’intervenir de façon discrétionnaire quand la presse se saisit d’un cas particulier ou que des personnalités françaises ou étrangères interviennent.

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Enfin, « avec 42 513 demandes pour 11 461 attributions [+ 30 %], la France est redevenue en 2008 le premier pays européen en matière de demande d’asile, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Elle a aussi facilité le développement économique des pays source d’immigration en soutenant des projets concrets de développement solidaire », a conclu le ministre, tout heureux de ne pas avoir été interrogé sur la délicate question des tests ADN pour les candidats au regroupement familial.

Cet amendement au projet de loi sur l’immigration a suscité un tel tollé lors de son adoption par le Parlement, en novembre 2007, que le ministre s’est bien gardé d’y faire allusion. De source proche du dossier, on affirme cependant que le texte devrait être publié au Journal officiel d’ici à la fin du mois. Et qu’il commencera d’être appliqué dans le courant de l’année dans une dizaine de pays (dont l’Angola, le Cameroun, le Cap-Vert, le Ghana et Madagascar), où l’état civil est jugé « défaillant ».

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Si Brice Hortefeux se montre fort satisfait de son bilan, le son de cloche est sensiblement différent en Afrique. « Dès son arrivée, on a compris que son objectif était de renvoyer à la maison le maximum d’étrangers », attaque un responsable qui tient à garder l’anonymat. De Dakar à Bamako, on lui reproche d’avoir durci les conditions d’accès au territoire français – et à tout l’espace européen. À cause, principalement, du rôle décisif qu’il a joué dans l’adoption par les Vingt-Sept, le 16 octobre, du Pacte sur l’immigration et l’asile. « Pendant les six mois où elle a présidé l’UE, la France a tout fait pour embarquer ses partenaires dans ce débat, alors que certains pays comme l’Espagne n’avaient ni les mêmes priorités ni le même point de vue sur la question », regrette un haut responsable malien. Tests ADN, immigration choisie, quotas, chasse aux sans-papiers… Hortefeux est l’homme qui a ressuscité chez les Africains un certain sentiment d’humiliation et a fait naître l’idée qu’il existe de bons et de mauvais immigrés.

« La politique française a certes connu un certain durcissement, mais elle n’a pas fait l’objet d’évolution majeure depuis deux ans. Elle conserve l’orientation que Sarkozy lui avait donnée lors de son arrivée au ministère de l’Intérieur, en 2002, tempère Laurent Giovannoni, le secrétaire général de la Cimade, une ONG pourtant peu suspecte d’indulgence envers la politique actuellement menée Rue de Grenelle. Le changement, c’est qu’elle est aujourd’hui mise en œuvre de façon dogmatique et technocratique, ce qui conduit à des dérives tant la pression sur l’administration est forte. Dominée par les effets d’annonce, elle n’a qu’un objectif : servir l’ambition politique du ministre. »

Reste les accords bilatéraux de gestion des flux migratoires conclus par le gouvernement français avec huit pays africains (voir encadré). « Seuls ceux qui n’ont qu’une faible communauté installée en France ont signé », observe Giovannoni. Il est vrai que le nombre des Burkinabè, Cap-Verdiens et autres Mauriciens établis dans l’Hexagone ne dépasse pas 10 000 personnes. En revanche, les Maliens sont environ 120 000. Et leur gouvernement continue de refuser le texte que Paris tente de lui imposer. « Quant au Maroc, ils n’ont même pas osé lui faire de proposition ! » ironise le patron de la Cimade.

Les autres responsables associatifs ne sont pas en reste. L’enveloppe de 23,6 millions d’euros que le ministre a consacrée en 2008 au « soutien du développement économique des pays source d’immigration » ? Le chiffre a bien du mal à passer depuis qu’un rapport du Sénat a révélé, en novembre dernier, que l’expulsion d’un sans-papiers coûte en moyenne la bagatelle de 20 970 euros…

La politique du chiffre ? « Vous n’avez pas idée du nombre d’étrangers qui sont arrêtés aux frontières puis placés en centre de rétention alors qu’ils étaient en train de quitter le territoire français de leur plein gré », explique un autre militant de la Cimade.

L’intégration ? « Du sommet européen tenu à Vichy sur la question, on retient surtout l’annonce de l’apprentissage obligatoire de La Marseillaise pour tout candidat à l’immigration », lit-on dans un communiqué diffusé par un collectif de défense des immigrés (Ligue des droits de l’homme, Réseau éducation sans frontières, Secours catholique, etc.).

Le dialogue et la concertation ? « Le ministre a exercé une pression considérable pour obtenir la signature d’accords avec plusieurs États africains, afin qu’ils acceptent plus facilement l’expulsion de leurs propres ressortissants », dénonce la même coalition, qui redoute que la France finisse par faire les frais de sa politique d’immigration : « Elle va à l’encontre de ses propres intérêts et incite un nombre croissant de pays africains à se tourner vers d’autres partenaires économiques et financiers », explique l’un de ses porte-parole.

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