Les caisses de dépôt retrouvent la cote
De plus en plus de pays veulent se doter d’une institution qui mobilise l’épargne nationale et voit à long terme. Mais pour être efficace, son indépendance doit être réelle.
Près de 400 milliards d’euros dormiraient sur des comptes en Afrique, qui en aurait pourtant grand besoin pour se développer. Comment mobiliser cette épargne de manière sécurisée sans négliger pour autant sa rentabilité ? Un modèle en vigueur en Europe, et notamment en France, séduit de plus en plus : celui des caisses de dépôt (CD). Alimentées principalement par les épargnes et les fonds de retraite, elles se multiplient. Mais certaines ont vu le jour il y a déjà bien longtemps.
C’est le cas de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) marocaine, créée en 1959, devenue aujourd’hui la première institution financière du pays. Il y a un an, la Tunisie a lancé sa propre caisse, dirigée par Jamel Belhaj. Principalement alimentée par l’épargne postale, elle dispose de 4 milliards de dinars (1,95 milliard d’euros) et a investi quelque 100 millions de dinars. Le Sénégal, le Gabon et la Mauritanie ont chacun leur caisse, tandis que le Bénin, le Congo, la Guinée équatoriale, le Cameroun, le Togo, le Burkina Faso ou encore Madagascar songent à constituer la leur. Il y a plusieurs raisons à cet engouement, ainsi que l’explique Laurent Vigier, directeur des Affaires européennes et internationales à la Caisse des dépôts française : « Les CD sont un outil flexible, fiable et sécurisé pour mobiliser de l’argent et dynamiser le développement local. Par ailleurs, alors qu’elles avaient demandé par le passé aux États africains de s’en séparer, les institutions de Bretton Woods changent à présent de discours. » Sans oublier une limite importante : « Dans la zone franc CFA, les banques ne peuvent financer que 20 % de l’économie nationale ; au Maroc les trois quarts, et en Afrique du Sud 100 %, explique le banquier d’affaires Lionel Zinsou. Les pays ont besoin de cet outil. »
À l’assaut du continent
Dotée de filiales dans l’ingénierie, les assurances et l’immobilier, la Caisse des dépôts française s’intéresse de près au continent. « En Afrique, nous participons au fonds Inframed [monté en 2010, NDLR] à hauteur de 150 millions d’euros, soit 40 % de l’enveloppe totale [385 millions d’euros], explique Laurent Vigier, directeur des Affaires européennes et internationales à la Caisse. Nous sommes aussi dans le fonds I&P [de Jean-Michel Severino, ex-directeur général de l’Agence française de développement]. » La Caisse est également un partenaire pour mettre en place ou améliorer les standards d’autres caisses. « Nous accompagnons celles du Maroc, de Tunisie, de Mauritanie, du Sénégal et du Gabon », conclut-il. Le 19 avril, elle organisera à Paris le deuxième Forum mondial des caisses de dépôt. M.P.
Rentabilité
Au Maroc, la caisse avait pour mission historique d’investir dans des actifs très peu risqués, mais elle a pris un virage dans les années 2000, sous l’impulsion du directeur général d’alors, Mustapha Bakkoury. « On a senti qu’il fallait prendre plus de risques sur le long terme, avoir une vision à dix, vingt ou trente ans, afin de développer le pays », se souvient-on à Rabat. L’organisme a donc décidé d’investir dans l’économie réelle à travers des projets structurants : développement urbain, tourisme, immobilier… Sans perdre de vue la rentabilité : une force dans le choix des projets par rapport aux investissements de l’État.
Cette stratégie s’est avérée gagnante puisque le résultat net part du groupe a atteint 976 millions de dirhams (87,4 millions d’euros), en hausse de 22 % par rapport à 2011. En Tunisie, la Caisse des dépôts et consignations a créé plusieurs fonds, dont Theemar (20 millions de dinars tunisiens), Phenicia (3 millions) – avec l’Agence française de développement (AFD) -, le fonds pour le développement de la franchise Mercure Market (2 millions), ou encore celui du développement régional (20 millions). « En deux ans d’existence, nous avons pris une dizaine de participations, dont une dans Rougier Afrique International en décembre 2011, réalisation qui reste la plus importante sur le plan stratégique », souligne de son côté Alain Ditona Moussavou, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations du Gabon. « Les investissements se font sur le long terme, c’est un modèle de finance patiente axé sur la valeur », précise encore Laurent Vigier.
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Ingérence
Néanmoins, il existe quelques réticences. « C’est un mécanisme intéressant pour mobiliser l’épargne nationale, estime Gabriel Fal, président du conseil d’administration de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM). Mais en termes d’impact sur le développement, tout dépend de ce qu’en fait l’État… Ce qui implique transparence et bonne gouvernance, et non-ingérence. » Selon une source marocaine, en effet, l’État « peut y voir un bras financier et être tenté de l’utiliser pour des projets non viables ». Ce qui se justifierait toutefois en cas de crise (en tant que levier contracyclique) pour assurer la continuité des projets, d’après le même observateur. « Pour la CDG, l’enjeu est de durcir les contraintes de rentabilité ou de recevoir des compensations de l’État » en cas d’investissements non viables. Même chose en Tunisie, où la ligne directrice de la caisse reste soumise aux orientations politiques. « Un projet de panneaux photovoltaïques mené par le français Soitec en partenariat avec la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg) attend toujours le feu vert du gouvernement », rappelle Jamel Belhaj.
Et si les caisses de dépôt peuvent apparaître comme une alternative aux marchés financiers, aux bailleurs de fonds traditionnels ou au capital-investissement, Laurent Vigier estime plutôt qu’elles « sont complémentaires aux véhicules d’investissement traditionnels ». Elles peuvent même servir à « la maturation des marchés financiers, à élever les standards et à produire des normes de gestion », indique Rabat. La CDG marocaine est ainsi le premier investisseur de la Bourse de Casablanca.
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