Israël, Etat voyou ?
Violations du droit humanitaire et des lois internationales, détention non contrôlée d’armes de destruction massive, usage de la violence contre des populations civiles à des fins politiques… Tel-Aviv remplit tous ces critères.
Le professeur Richard Falk, rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme dans les territoires occupés, a déclaré que l’État hébreu était en train de perdre la bataille de la légitimité. Que voulait-il dire ? La réponse est venue des foules en colère qui ont manifesté dans toutes les villes du monde. Pour elles, le cruel assaut mené contre la population sans défense de Gaza indique que l’État hébreu a perdu son honneur et terni sa réputation. L’idée qu’il vivrait selon « des valeurs occidentales civilisées » est bien entamée. Certains manifestants ont exhibé des banderoles comparant sa cruauté à la barbarie nazie contre les juifs. De Deir Yassin jusqu’à nos jours, le massacre de Gaza est celui de trop, impossible à avaler après l’interminable liste d’atrocités commises contre les Palestiniens, les Libanais et les autres Arabes depuis l’apparition brutale d’Israël au cœur de la région, il y a soixante ans.
Pourtant, la plupart des Israéliens applaudissent l’œuvre horrible de leurs soldats. Le cerveau lessivé par des dirigeants cyniques et une presse complaisante, ils semblent croire que leur pays mène une « guerre juste ». Mais le reste du monde est mieux informé. Comme une poignée d’Israéliens éclairés qui – il faut leur en donner crédit – représentent la conscience morale d’un pays agressif et violent. Uri Avnery, le plus ancien et le plus implacable promoteur de la paix, a écrit : « Ce qui restera, c’est l’image d’un monstre aux mains tachées de sang… Cela aura de graves conséquences sur notre avenir à long terme… Au bout du compte, cette guerre est un crime contre nous-mêmes, un crime contre l’État d’Israël. » Autre sage israélien, Avi Shlaim, professeur de relations internationales à l’université d’Oxford : « Un État voyou viole les lois internationales, possède des armes de destruction massive et pratique le terrorisme – c’est-à-dire qu’il utilise la violence contre des civils pour des motifs politiques. Israël remplit tous ces critères. » Le rabbin américain Michael Lerner est rédacteur en chef du magazine progressiste et œcuménique Tikkun. « Cela me fend le cœur, dit-il, de constater la stupidité d’Israël… En tant que juif croyant, cela confirme à quel point il est facile de pervertir le message d’amour du judaïsme pour le transformer en message de haine et de domination. »
Voix discordantes
Mais la plus sévère critique émise par un Israélien est venue du professeur Ilan Pappé, auteur du Nettoyage ethnique de la Palestine (paru en 2006), compte rendu effroyable de la façon dont Israël terrorisa, assassina et expulsa les Palestiniens en 1947-1948. Son verdict est accablant : « Le sionisme est une idéologie qui s’accommode du nettoyage ethnique, de l’occupation et des meurtres de masse. Ce qu’il faut aujourd’hui, ce n’est pas seulement condamner les massacres actuels, mais aussi délégitimer cette idéologie. » Le sionisme, selon Pappé, a prouvé qu’il était une « idéologie raciste et hégémonique ». Cela n’est pas une découverte pour les victimes palestiniennes comme pour la plupart des Arabes et des musulmans. « Espérons, plaide Pappé, que des voix d’importance s’élèveront pour dire à l’État hébreu que son comportement comme cette idéologie sont intolérables et inacceptables et que, tant qu’ils persisteront, le pays sera boycotté et passible de sanctions. »
Ce qu’affirment ces dissidents revient à dire qu’Israël a perdu la bataille de la légitimité. En détruisant Gaza, en massacrant ses habitants, il a durablement détérioré son image – si importante dans un monde dominé par les médias –, mais aussi gravement miné sa réputation politique et morale, essentielle pour sa survie à long terme. Pourquoi donc agit-il ainsi ? Deux explications peuvent être avancées. La première, c’est qu’il y aurait quelque chose de profondément irrationnel dans la volonté israélienne d’assurer une sécurité absolue à son peuple, quel qu’en soit le prix pour les autres – une attitude qui serait peut-être une réponse tardive aux terribles souffrances endurées par les juifs, en Europe, au siècle dernier. Ce traumatisme peut expliquer pourquoi l’État hébreu semble incapable de tolérer la plus infime résistance. Les roquettes dérisoires du Hamas l’ont poussé à une folle rage meurtrière. Comment une milice de va-nu-pieds ose-t-elle défier la toute-puissance de l’État juif qui s’est tant battu pour établir sa domination politique contre une éventuelle alliance arabe et qui a convaincu les États-Unis de lui garantir une « supériorité militaire » sur ses adversaires ? Mais on peut aussi voir dans le comportement d’Israël le signe d’une profonde perturbation psychologique qui laisse à penser que les États-Unis n’ont sans doute pas été bien avisés de mettre des armes meurtrières entre les mains de tueurs professionnels dont la santé mentale est incertaine.
Sinistre objectif
La seconde explication met l’accent sur un objectif bien plus ambitieux et bien plus sinistre qui va au-delà du besoin exagéré et paranoïaque de sécurité. Depuis 1948 – et, en réalité, depuis la déclaration Balfour, en 1917 –, les dirigeants israéliens de tous bords ont prouvé leur détermination à empêcher la naissance d’un État palestinien. Ils craignaient, et ils craignent toujours, que cela mette en cause leur propre projet national. Ils se sont toujours comportés comme s’il n’y avait pas suffisamment de place pour deux États en Palestine. Ils veulent tout le territoire pour eux. Comment expliquer autrement qu’ils refusent de définir les frontières de leur pays et cherchent toujours à gagner du terrain ? Certains dirigeants israéliens, comme Itzhak Rabin, ont parlé de paix, mais sans jamais joindre les actes à la parole. L’annexion progressive de la Cisjordanie s’est poursuivie, que ce soit sous le Parti travailliste, le Likoud et, plus récemment, sous Kadima.
La guerre dans la bande de Gaza semble être une tentative désespérée d’enterrer définitivement la solution de deux États. Quelle alternative les dirigeants israéliens ont-ils en tête ? Clairement : se débarrasser de la bande de Gaza en la cédant à l’Égypte, tout en portant un coup fatal aux aspirations nationales palestiniennes. Si l’Égypte s’est montrée réticente à ouvrir le passage de Rafah – au risque de susciter la colère et le mépris de l’opinion arabe –, c’est précisément parce qu’elle soupçonne cette ultime intention. En 2005, Ariel Sharon avait démantelé les colonies de la bande de Gaza pour consolider la mainmise d’Israël sur la Cisjordanie. Cette politique est toujours d’actualité. Les colons de Cisjordanie sont devenus si nombreux et si puissants qu’ils sont pratiquement intouchables. Ils n’ont aucun intérêt à la paix. Ils veulent de la terre et toujours plus de terre.
L’Amérique d’Obama peut-elle inverser cette dangereuse tendance ? Hillary Clinton, la nouvelle secrétaire d’État, a déclaré que l’idée d’une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens ne devait pas être abandonnée. Des paroles maintes fois entendues. Mais elle a été suffisamment imprudente pour affirmer que les États-Unis ne discuteraient pas avec le Hamas. Il semblerait que ce soit là sa première erreur. Comment espère-t-elle faire la paix entre deux belligérants sans s’adresser à l’un des deux ? Seul un effort concerté des États-Unis, de l’Union européenne, de la Russie et de l’ONU, agissant ensemble avec une réelle détermination, peut encore ramener Israël à la raison et offrir un espoir de paix.
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