Le PDG en campagne permanente

Malgré sa toute-puissance, le Parti démocratique gabonais semble miné par les rivalités internes. Même si le président reste maître du jeu, les leaders des différents courants prennent position dans la perspective de l’après-Bongo.

Publié le 19 janvier 2009 Lecture : 6 minutes.

Quarante ans après sa fondation, le Parti démocratique gabonais (PDG) a gardé le faste des partis uniques créés dans l’euphorie des indépendances. Avec l’armée et la famille du président, il reste l’un des piliers du régime d’Omar Bongo Ondimba (OBO). Ce qui ne l’empêche pas d’être en perpétuelle quête d’identité, face à une opposition divisée et affaiblie. À l’occasion de son neuvième congrès, qui s’est tenu à Libreville du 19 au 21 septembre dernier, le mouvement n’est pas parvenu à surmonter les querelles qui le minent. Ni à se doter d’un projet fédérateur.

En fait, le PDG, véritable machine à gagner, serait victime de ses succès. Sa position hégémonique dans l’espace politique national a favorisé l’émergence de rivalités internes. Ses victoires électorales – reconduction du chef de l’État en 2005 avec près de 80 % des suffrages, 81 députés sur 120 lors des législatives de décembre 2006 et 1 110 sièges sur les 1 990 aux élections locales de mars 2008 – laissent penser que l’alternance se jouera en son sein. De quoi doper les ambitions des dauphins potentiels, qui se positionnent de manière de moins en moins voilée dans la perspective de l’après-Bongo. Alors que chacun cherche à décrypter les petites phrases et les sous-entendus qui émaillent les discours des hiérarques « pédégistes », ces bisbilles suscitent désormais le courroux de son président fondateur : « Arrêtez avec les dissensions internes, les guéguerres, les luttes effrénées… Face à de tels comportements, source de confusion, de divisions et d’affaiblissement de notre parti, il n’y a pas lieu d’hésiter : les sanctions doivent tomber, lourdes et immédiates », tonnait OBO en septembre dernier, indiquant clairement qu’il n’entendait pas perdre la main face aux courants contradictoires qui s’affrontent.

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À la fin des travaux du congrès, les « camarades » se sont finalement donné l’accolade, jurant que la hache de guerre était définitivement enterrée. Sur la photo de famille, les anciens – ou caciques – irradiaient du bonheur d’avoir réussi à contenir les élans des plus jeunes. Sans eux-mêmes y croire, ils se sont fait fort de rappeler aux clans rivaux que la succession du boss, âgé de 72 ans, n’était pas à l’ordre du jour. Le message est-il passé ? On peut en douter. Certes, chacun a promis, la main sur le cœur, d’oublier les vieilles rancunes. Mais cette unité de façade masque mal la persistance de clivages.

Dissoudre les chapelles

Officiellement, la nouvelle ligne politique vise à dissoudre les chapelles pour ne construire qu’une seule cathédrale. Les courants, apparus au début des années 1990, n’ont plus droit de cité. Tant pis pour Guy ­Nzouba-Ndama, président de l’Assemblée nationale, s’il n’est pas de cet avis : « Je ne pense pas que [les courants] constituent une entrave à l’action du parti », plaide-t-il. Il est vrai que la « politique d’ouverture » adoptée par l’ancien parti unique au lendemain de la Conférence nationale de 1990 est tout droit sortie de la boîte à idées du courant des rénovateurs, animé par Ali Ben Bongo Ondimba. Rompant avec l’immobilisme ambiant, les « rénos » ont notamment poussé au rapprochement avec Paul Mba Abessole. L’opposant historique, leader du Rassemblement national des Bûcherons (RNB), rentré d’exil en 1989, a d’abord accepté que les siens rejoignent le gouvernement issu de la Conférence nationale. Élu maire de Libreville en 1998, il a lui-même intégré le gouvernement en janvier 2002. Dans son sillage, plusieurs autres formations ont opté pour « l’opposition consensuelle », manière élégante de rejoindre la mouvance présidentielle sans passer pour un traître aux yeux des militants.

Moins conciliants au sein du parti, les rénovateurs se sont surtout illustrés par leur volonté de mettre au placard les caciques, suscitant l’interposition des appellistes, un courant de cadres qui aura permis d’empêcher le télescopage des générations. Mais si les appellistes ont mis en veilleuse la guerre entre les anciens et les modernes, la « synthèse » prônée par leur courant n’a pas permis au parti de sortir de la torpeur que tous s’accordent à dénoncer.

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Course aux postes

Il est en effet contradictoire de demander la disparition des courants tout en réclamant plus de débats au sein d’une formation au garde-à-vous. « Pour le militant lambda, critiquer le PDG est un exercice délicat qui peut vous faire passer pour un franc-tireur ramant à contre-courant de l’action gouvernementale », met en garde un analyste sous couvert d’anonymat.

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Depuis que leur activisme leur a valu d’être soupçonnés de comploter contre le chef de l’État, les rénovateurs restent sur la réserve. Mais n’en démordent pas pour autant : « Un mouvement comme le nôtre doit être une force de réflexion et de proposition. Et pas seulement se réveiller lors des consultations électorales », martèle Ali Ben Bongo Ondimba. Ces différences de sensibilité n’ont toutefois jamais fait planer de réelle menace de scission sur le mouvement présidentiel. C’est sans doute cela qui conduit le chef de l’État à tolérer ces « jeunes gens pressés », alors que les anciens dénoncent un « crime de lèse-majesté ».

Mouvement de masse à l’origine, le PDG a aujourd’hui l’apparence d’un parti de cadres. La course aux postes et aux investitures semble le souci premier d’une grande partie de ses membres. Le mouvement prend des allures de parti-réseau, tremplin idéal dont on se sert pour accéder à la haute fonction publique. Chaque représentant provincial du bureau politique essaie d’imposer ses lieutenants aux différents postes clés. En revanche, les réflexions idéologiques semblent de plus en plus limitées. Ce qui inquiète l’ancien Premier ministre, Jean-François Ntoutoume Emane, qui rappelle que « les partis meurent de l’opportunisme des dirigeants, de l’exacerbation des ambitions, de l’absence de doctrine et des divisions internes ». Conséquence, malgré son poids sur la scène politique, le mouvement lancé en 1968 est devenu quasiment inaudible. On l’attend, en vain, sur le terrain des idées, de la diversification de l’économie à la hausse du niveau de vie de la population, en passant par la lutte contre la corruption ou la poursuite des réformes visant à améliorer la gouvernance. À la base de la pyramide, l’engagement des militants se fait tiède ou intéressé. De plus en plus exigeants, ils rechignent à verser leurs cotisations. Les déçus du PDG viennent grossir les rangs des abstentionnistes : lors des trois dernières consultations électorales, le taux d’abstention a atteint une moyenne de 70 %.

Par ailleurs, avant le dernier congrès, les critiques ciblaient le grand nombre d’instances de direction. Certains souhaitaient une réforme de ces organes multiples pour donner plus de dynamisme au PDG. Particulièrement visés, le Bureau politique et le Conseil national, qui ne se réunissent que très rarement. Mais les partisans de la réforme n’ont pas obtenu gain de cause, puisqu’un Conseil permanent de dix-huit membres triés sur le volet a été créé, venant s’ajouter aux organes existants. Peut-être le nouvel élan qu’on attend de l’équipe dirigée par Faustin Boukoubi, nommé secrétaire général en septembre dernier, viendra-t-il de la redéfinition des fonctions des six nouveaux secrétaires généraux adjoints, qui auront désormais la charge d’un secteur spécialisé ? Toujours est-il que, au sommet, le parti reste un mastodonte doté de deux vice-présidents honoraires (Marcel-Eloi Chambrier et Jean-François Ntoutoume Emane) et de huit vice-présidents.

« Sans croûte ni mie »

À l’instar des « gouvernements de consensus » dont les effectifs sont souvent jugés pléthoriques, le maintien d’un grand nombre de postes, pour la plupart « sans croûte ni mie », au niveau de la direction du mouvement pourrait se justifier par le « spectre de l’éclatement tribal » décrit par l’universitaire Marc Mve Bekale. Le souci de l’ancrage national et la peur des convulsions ethniques poussent le parti à opérer un délicat équilibrage régional comparable à celui observé jusqu’alors dans la formation du gouvernement et dans les nominations au sein de la haute administration. Jusqu’à présent, cela a plutôt permis de préserver la stabilité du pays. La question est maintenant de savoir si le PDG survivra à son fondateur tant la crainte d’un éclatement est grande, au regard des ambitions rivales de ses poids lourds… Bref, le parti doit maintenant démontrer qu’il peut faire mieux que conserver le pouvoir.

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