Gouvernement sous influence
Le Premier ministre a nommé son équipe, mais celle-ci inclut un nombre important de militaires. La junte garde un œil sur les secteurs clés à travers un « comité » piloté par le ministre de la Défense. Autant dire que les civils devront composer.
Deux semaines après sa nomination, le Premier ministre, Kabiné Komara, a rendu public, le 14 janvier, la composition de son gouvernement né au forceps, après d’âpres négociations avec Moussa Dadis Camara. Sous la pression de ses frères d’armes attirés par les postes ministériels, le chef de la junte n’a pas beaucoup cédé.
Le chef du gouvernement n’a donc pas eu les mains totalement libres pour choisir les membres d’une équipe censée redresser le pays et le mener à des élections transparentes. Moussa Dadis Camara a réussi à imposer dix militaires dans un gouvernement de vingt-sept membres et a obtenu bien plus que les postes de souveraineté auxquels les hommes en tenue étaient supposés se limiter. Les militaires détiennent comme prévu la Sécurité et la Protection civile ainsi que la Défense nationale, mais aussi l’Économie et les Finances, un poste confié à un proche du chef de la junte, le capitaine Mamadou Sandé. Ce Badiaranke de 39 ans est originaire de Koundara, ville du Fouta-Djalon située à proximité de la frontière sénégalaise, dans le nord-ouest du pays. Sandé et Dadis se sont rencontrés en Allemagne, lors d’un stage de génie militaire. Mamadou Sandé avait profité de son séjour pour faire des études d’économie, option finances publiques, à l’université de Hambourg.
D’autres départements techniques sont revenus à la troupe : le Commerce, l’Industrie et les PME à l’ex-directeur général de l’intendance militaire, le commandant Korka Diallo ; les Télécommunications et les Nouvelles Technologies de l’information au colonel Mathurin Bangoura ; la Santé au colonel Abdoulaye Cherif Diaby ; et la Jeunesse, les Sports et l’Emploi des jeunes au colonel Fodéba Touré. Ce dernier commandait le Bataillon autonome de la sécurité présidentielle (BASP), garde prétorienne du défunt chef de l’État, Lansana Conté.
Le gouvernement comprend un ministère des Audits, de la Transparence et de la Bonne Gouvernance ainsi qu’un secrétariat d’État chargé des Services spéciaux, de la Lutte antidrogue et du Grand Banditisme.
Dans ces domaines, et sans attendre la formation du gouvernement, la présidence avait déjà pris les choses en main. Dès les premiers jours de son arrivée aux affaires, Dadis Camara a limogé et placé en détention Aboubacar Bruno Bangoura, inamovible directeur national adjoint des Douanes, personnalité publique suspectée d’enrichissement illicite. Il a aussi ordonné l’arrestation de Mohamed Dioubaté, alias Cassis, un des piliers du trafic de drogue à Conakry.
Visiblement, le chef de la junte veut garder le contrôle sur les questions stratégiques. Ainsi, au moment même où le Premier ministre annonçait la formation de son équipe, Dadis Camara mettait en place un Comité chargé des audits, de la restructuration des entreprises publiques, de la révision des conventions minières et du contrôle des secteurs stratégiques de l’économie. Le comité sera notamment en charge des secteurs des mines et des télécoms, ainsi que de la gestion des régies financières. La direction de cette structure, qui ne dépend que de la présidence, a été confiée à un homme de confiance de Dadis Camara, le ministre de la Défense Sekouba Konate, fraîchement promu général de brigade. Ce comité est cependant composé de personnalités civiles avec une expérience reconnue, comme Amadou Mouctar Baldé, expert financier, ancien collaborateur d’Ernst & Young, et Habib Anne, débauché de la banque Goldman Sachs, aux États-Unis.
S’il répète ne pas avoir besoin des « gens formés à Cambridge, à Columbia et à Harvard », Dadis Camara ne s’est pas privé de recourir aux services de Guinéens formés à l’étranger. Son Premier ministre a lui aussi fait appel à des compétences « extérieures » : il a ainsi nommé au poste stratégique des Mines et de l’Énergie Mahmoud Thiam, un ancien de Merrill Lynch devenu vice-président de l’Union des banques suisses (UBS), à New York. De même, l’Enseignement pré-universitaire, technique et professionnel a été confié à Aicha Bah, retraitée de l’Unesco. Lui-même « expatrié », comme on appelle ici ceux qui viennent de l’extérieur, Kabiné Komara, qui a travaillé à la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), cherche ses repères dans un environnement aussi déréglé qu’hostile.
Outre les graves difficultés économiques qu’il a à résoudre – déficit budgétaire abyssal, boycott du pays par les partenaires étrangers, mauvaise gestion des deniers publics –, il doit s’accommoder d’une autorité militaire issue d’un monde totalement différent du sien.
En dépit de l’insistance du Premier ministre, qui l’invite sans cesse à s’abstenir de faire des déclarations susceptibles de décourager les investisseurs ou de braquer les bailleurs de fonds, le chef de la junte garde sa liberté de ton et improvise des discours pas toujours dans l’air du temps.
D’autres contraintes lourdes attendent le Premier ministre et son équipe. Au premier rang desquelles figure la situation économique catastrophique du pays. Komara hérite d’un État plombé par un déficit de près de 100 milliards de francs guinéens pour l’exercice budgétaire en cours et par un très faible niveau de recouvrement des recettes, dans un contexte d’effondrement des cours mondiaux de la bauxite et de l’alumine, les deux principales sources de devises du pays.
Pour ne rien arranger, les sanctions en cascades annoncées par les bailleurs de fonds à la suite du coup d’État compromettent la réduction de dette promise dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Pour le pays, cela se traduit par un manque à gagner de 2 milliards de dollars, qui aurait pu sensiblement améliorer la trésorerie de l’État et lui donner une plus grande marge de manœuvre pour intervenir dans les secteurs sociaux.
Obligé de devoir compter sur les seuls moyens du pays, Komara n’a d’autre choix que d’opérer des coupes claires dans le budget et d’assainir la gestion des maigres ressources qui restent dans les caisses. Pour donner des signes de bonne volonté en matière de lutte contre la mauvaise gouvernance, il a, après une mission à Accra, rendu au Trésor un trop-perçu de frais de mission. Moins d’une semaine après sa nomination, le Premier ministre a demandé le licenciement d’un agent comptable de la Banque centrale coupable de mauvaise gestion d’un fonds de la Banque islamique de développement (BID). Sera-ce suffisant pour guérir un mal qui gangrène le pays ? Quelle marge de manœuvre la junte laissera-t-elle au gouvernement pour mener les réformes dont la Guinée a besoin ?
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