Où est passé le trésor d’Houphouët ?

Quinze ans après la disparition du « Vieux », Hélène, l’une de ses filles, n’a touché que des miettes de son fabuleux héritage, estimé entre 50 et 100 millions d’euros. Mais elle ne renonce pas à faire reconnaître ses droits.

Publié le 21 janvier 2009 Lecture : 7 minutes.

C’est une petite dame mince, élégante et inquiète, minée par un combat de quinze ans contre le monde obscur des notaires, banquiers, huissiers et autres commissaires-priseurs. Hélène Houphouët-Boigny, 53 ans, fille de son père et d’Anougble Akissi, descendante en droite ligne d’un roi baoulé, a usé toute une batterie d’avocats, dont Jacques Vergès, avant d’arrêter son choix sur Isabelle Coutant-Peyre, l’épouse du célèbre Carlos, avec laquelle elle partage sans doute le goût des causes difficiles.

Son obsession : obtenir enfin sa part de ce qui fut sans doute le plus formidable héritage « africain » de ce dernier demi-siècle, loin devant ceux de Mobutu et d’Abacha. Celui de Félix Houphouët-Boigny, le « Vieux », décédé le 7 décembre 1993. L’extrême discrétion d’Hélène, qui refuse que l’on photographie son visage par crainte d’être reconnue dans la rue, est à la mesure de sa détermination. C’est en son nom que, le 14 janvier, Me Coutant-Peyre a fait remettre auprès de Monique Agueh-Tahou, notaire à Abidjan, chargée de la succession Houphouët depuis plus de huit ans, une « sommation interpellative » afin de savoir pourquoi la liquidation et le partage de l’héritage ne sont, à ce jour, toujours pas bouclés.

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De cette énième démarche, Hélène et son défenseur attendent beaucoup, trop peut-être tant le maquis des procédures qui entourent le magot éva­poré semble inextricable. Mais la petite dame de fer n’en démord pas : « Je suis la victime de l’escroquerie du siècle ! » jure-t-elle, tendue comme un arc, dans le salon de son grand appartement du 7e arrondissement de Paris parsemé de très beaux objets d’art – un cadeau du Vieux à la fin des années 1980.

Dédommagement

De temps à autre, cette mère de trois grands enfants que son combat absorbe à plein temps revend l’une de ces pièces. « J’en ai besoin pour vivre, explique-t-elle. En tout et pour tout, j’ai touché sur l’héritage de mon père 133 000 euros, en 2000, de la part de l’État ivoirien, qui m’a présenté cela comme un dédommagement. Autant dire une misère. » Tout est relatif, certes, mais si l’on compare cette somme à la valeur des biens mobiliers et immobiliers ainsi qu’aux avoirs laissés par Houphouët à ses héritiers – estimation globale : entre 50 et 100 millions d’euros –, ce sont effectivement des miettes*.

Titulaire d’un passeport diplomatique ivoirien et d’une carte de séjour française, Hélène Houphouët-Boigny n’est pas retournée dans sa villa de Cocody depuis des années. Officiellement reconnue par son père à l’âge de 5 ans, elle a toujours mené une existence à part du reste de la fratrie.

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Pensionnaire en Suisse, puis étudiante à New York, elle intègre au début des années 1980 une grande banque d’Abidjan. Elle épouse Marcel Amon-Tanoh, actuel ministre ivoirien de la Construction et de l’Urbanisme – un proche d’Alassane Ouattara –, dont elle divorce en 1992. Chouchoutée par le Vieux, la belle Hélène entretient des relations distantes, pour ne pas dire méfiantes, avec ses trois demi-frères, Augustin, François et Guillaume, ainsi qu’avec ses deux demi-sœurs, Marie et Florence (aujourd’hui décédée). Un terreau malsain, duquel jailliront les déchirements à venir.

En 1993, lors de la longue agonie d’Houphouët, Hélène est à ses côtés à l’hôpital Cochin, à Paris, où il est opéré. Mais elle est écartée de la suite : de la clinique suisse aux dernières heures à Yamoussoukro. Elle ne réapparaît que le jour des obsèques. Que s’est-il passé entre-temps ? Officiellement, Félix Houphouët-Boigny n’a laissé ni testament écrit ni inventaire de ses biens, tout juste un legs verbal – totalement invérifiable – en faveur de l’État ivoirien. « C’est aberrant ! s’exclame Hélène, pour ceux qui connaissaient mon père et la relation très particulière qu’il entretenait avec la notion de propriété, il est inimaginable qu’il n’ait pas fait de testament. Surtout qu’il n’est pas mort brutalement. » Le précieux document a-t-il été subtilisé ? Hélène n’est pas loin de le penser. Sans preuve, bien sûr. De toute façon, cela ne change pas grand-chose pour elle. Même en cas de legs verbal en faveur de l’État, ce dernier ne peut légalement s’approprier que le quart de la succession. Du reste, les trois quarts donc, elle n’a « rien vu », ou presque…

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Le 29 juin 1994, neuf mois après le décès du Vieux et alors qu’une partie de l’héritage a déjà filé à l’anglaise, la fratrie offre encore un semblant d’unité. Ce jour-là, un notaire abidjanais, Me Sylla, délivre un acte de notoriété aux termes duquel tous les enfants, y compris Hélène, sont déclarés « ayants droit, conjointement et indivisément entre eux à la totalité de la succession », à raison d’une part égale chacun.

Las, dès l’année suivante, les choses se gâtent. Hélène est mise sur la touche, de sombres manœuvres ont lieu pour l’écarter de l’héritage, et c’est sans elle que, le 15 juin 1999, Guillaume, François, Augustin et Marie Houphouët-Boigny donnent mandat à un certain Philippe Rideau, domicilié rue César-Franck, à Paris, de procéder au règlement de la succession Houphouët « en quelque lieu que ce soit ». Cette fois, c’est la fin. Hélène perd pied et assiste impuissante à l’éparpillement d’un trésor qu’elle n’a fait qu’apercevoir. Dernier acte en date : la vente aux enchères, le 29 juin 2008, pour 7,5 millions d’euros, d’une partie du mobilier de l’hôtel Masseran, qui fut l’une des résidences parisiennes du Vieux. Bénéficiaire : l’État ivoirien.

Un État ivoirien qui, d’Henri Konan Bédié à Laurent Gbagbo, n’a pas hésité, dès 1996, à faire usage de ses « droits » sur la succession et même, manifestement, au-delà, en s’appuyant sur le fameux « legs verbal ». Hélène, qui se bat déjà contre ses demi-frères et sœurs, et contre une escouade de notaires, d’intermédiaires, de joailliers, d’avocats et de banquiers qu’elle soupçonne de s’être servis au passage, a donc face à elle un formidable adversaire, aussi anonyme que puissant.

« Seul Robert Gueï a, en octobre 2000, reconnu dans une interview à Jeune Afrique que l’hôtel Masseran appartenait aux héritiers d’Houphouët et non à l’État », assure-t-elle. Gbagbo, lui, a, en 2005, mandaté un avocat franco-ivoirien, Me Sanogo Yaya, afin de recenser, de réhabiliter et, au besoin, de vendre au profit de l’État un parc immobilier qui, à ses yeux, relève du patrimoine national. Une douzaine d’appartements parisiens et de pavillons de banlieue (chic) ont déjà été cédés. Quant à l’hôtel Masseran, destiné à servir de « case de passage » pour les présidents ivoiriens en France, il est en voie de restauration.

Tableaux et argenterie

Cela, Hélène ne l’accepte pas. En octobre 2007, elle a écrit une lettre à Laurent Gbagbo lui demandant « un dédommagement » pour Masseran, « bien privé de Monsieur Félix Houphouët-Boigny », ainsi que « le droit de choisir quelques éléments parmi sa collection privée : tableaux de maître, mobilier signé et argenterie à son chiffre ». Point de réponse.

Pendant toutes ces années, Hélène a d’ailleurs écrit à beaucoup de monde et interrogé tous ceux qui pouvaient l’aider à retrouver trace du magot : Georges Ouegnin, l’ancien directeur du protocole de son père ; Dominique Ouattara, qui eut à gérer une partie de ses actifs immobiliers ; Michel Dupuch, ex-ambassadeur de France à Abidjan ; et même Claude Chirac, afin qu’elle intervienne auprès de son père. En vain. « Je n’ai obtenu que des réponses dilatoires. C’est comme si on me fuyait. Ou qu’on voulait cacher une vérité gênante », lâche-t-elle, entre deux cigarettes.

Elle a aussi contacté des banques françaises et suisses où le Vieux plaçait ses avoirs, se heurtant à l’omerta du milieu ou, quand on daignait lui répondre, à des comptes vides et mystérieusement soldés. Un jour, apparemment par erreur, la banque UBS, à Genève, lui fait parvenir copie d’une trentaine de transferts effectués entre 1986 et 1992, donc du vivant d’Houphouët, à partir des comptes qu’il y détenait. Même s’il ne lui est d’aucune utilité dans la procédure en cours, le résultat est impressionnant et donne une idée de l’ampleur colossale de la fortune du Vieux. La liste des bénéficiaires, dont J.A. a pu prendre connaissance, ne manque pas, elle non plus, d’intérêt. Un vrai Bottin de la Françafrique des affaires, en ses années fastes.

Paris, janvier 2009. La petite dame inquiète pourrait parler des heures durant. Elle sait – elle n’est pas naïve – que sa traque solitaire est loin d’être toujours comprise. Sur son blog, où il lui arrive de raconter ses malheurs, des internautes rageurs ont écrit des phrases qui font mal : « Si vous vous volez entre vous, c’est tant mieux, le peuple a assez donné. » Ou encore : « Estime-toi heureuse que les Ivoiriens ne réclament pas justice. C’est le peuple ivoirien qui est le vrai propriétaire de tous ces biens. Les bijoux et les colliers de diamants qui pendent à ton cou sont le fruit de son sang et de sa sueur. »

Hélène soupire. Ce n’est pas l’argent, dit-elle, qui l’intéresse, mais de recouvrer ses droits, d’en faire l’usage qu’elle veut et de mettre à jour au passage quelques étranges disparitions. Exemple : le projet de construction de l’hôpital Saint-Joseph-Moscati à Yamoussoukro, promesse d’Houphouët au pape Jean-Paul II, pour le financement duquel les maisons Christie’s et Sotheby’s ont, en novembre 1993 à New York, soit un mois avant le décès du Vieux, procédé à une vente aux enchères de toiles de maître qui a rapporté au bas mot 40 millions de dollars. Quinze ans plus tard, aucune pierre de l’hôpital, pas même la première, n’a été posée. Dans quelles poches est passé le magot ? L’inspecteur Hélène n’a pas fini de mener l’enquête…

* Ces biens et ces avoirs ont été chiffrés par le Trésor public français à une vingtaine de millions d’euros, rien que pour la France. Mais Houphouët possédait demeures et souvent comptes en banque dans une demi-douzaine d’autres pays : Suisse, Royaume-Uni, Etats-Unis, Maroc, Sénégal et, bien sûr, Côte d’Ivoire (dix-huit villas, par exemple, à Yamoussoukro, avec tableaux de maître et mobilier de prix).

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