Pierre Akendengue chante la vérité de l’Afrique
De passage à Paris, fin décembre, pour la promotion de son dix-neuvième album, le Gabonais appelle à l’unité du continent et à davantage de bonne gouvernance. Un engagement qui a marqué la carrière de l’un des grands de la musique africaine. Entretien.
« Espoir de vie vit toujours en Afrique/ Même si rien ne va…/ L’Afrique a sa vérité/ Ça ira !/ Espoir de vie vit toujours en Afrique/ La révolte c’est la vie »… Trente-cinq ans après son premier album, Akendengue met toujours autant de passion à chanter son Afrique. Considéré comme l’un des artistes les plus doués et les plus complets de sa génération, il n’a pourtant jamais connu d’énorme succès populaire. Plutôt un succès d’estime.
Né en 1943 à Aouta, une île du sud-ouest du Gabon, Pierre Claver Akendengue, atteint d’une grave maladie des yeux, quitte son pays à l’âge de 22 ans pour la France. Il s’y fait soigner, poursuit ses études (il est docteur en psychologie), devient élève du Petit Conservatoire de Mireille et rencontre Pierre Barouh, fondateur du label Saravah, grâce auquel il sort, en 1974, son premier album, Nandipo. Au même moment, il est interdit de séjour et d’antenne au Gabon (il appartient alors à une association d’étudiants gabonais d’obédience marxiste). Rentré au pays en 1985, il est, depuis 2004, conseiller aux affaires culturelles du président Omar Bongo Ondimba.
En 1976, « Africa Obota » (« Mère Afrique ») a remporté le prix de la jeune chanson française au Marché international de la musique (Midem) de Cannes : un titre appelant à l’unité africaine qu’Akendengue reprend dans son dix-neuvième album, Vérité d’Afrique, sorti en novembre dernier. Un bijou ciselé de quatorze titres en français et en myènè, sa langue maternelle, qui nous embarquent dans un même conte, tout en émotion et en harmonie, au rythme des chœurs gabonais et de la coladera cap-verdienne – l’essentiel de l’album a été réalisé par Nando Andrade, directeur musical de Cesaria Evora. Éprouvé par la maladie, le poète continue néanmoins de chanter les ambiguïtés et mutations du continent. Et, de sa voix chaude et lumineuse, atteint immanquablement sa cible. Entretien.
Jeune Afrique : Quel est le sens de Vérité d’Afrique ?
Pierre Akendengue : Un handicapé, qu’il soit blanc ou noir, sait ce qu’est l’humiliation. Son histoire, le peuple africain la partage avec tout être humain humilié. Cet album répond à ceux qui, à l’instar du président Sarkozy à Dakar, parlent au nom de l’Afrique et qualifient le continent comme étant hors de l’Histoire.
Il s’agit donc de rétablir la vérité par l’Histoire ?
Il est temps que les Africains se réapproprient leur histoire et l’enseignent. En commençant, bien avant l’esclavage et la colonisation, avec celle de visionnaires tels Ousman dan Fodio [réformateur musulman fondateur de l’Etat théocratique de Sokoto, NDLR] ou Chaka [fondateur de l’empire zoulou, NDLR], qui sont parvenus à faire vivre ensemble des peuples d’origine différente sous une même autorité. La deuxième dimension de cette vérité, c’est la domination des colonisateurs, qui ont fait subir au continent la pire des humiliations, celle de l’esclavage et du pillage. La troisième, c’est la désillusion des indépendances, avec leurs partis uniques et leurs guides éclairés, les guerres fratricides et les génocides, les problèmes de démocratie et de mauvaise gouvernance.
Est-ce cette gravité qui vous a conduit à vous tourner vers la coladera capverdienne ?
D’une manière habituelle, mon inspiration puise dans les profondeurs de la musique ancestrale et se confronte aux sonorités et aux sensibilités modernes. J’ai toujours été ému par la nostalgie qu’apportent les Cap-Verdiens à travers la coladera. Ils ont une manière unique de jouer du cavaquinho (petite guitare), en s’en servant comme d’une percussion ; ce qui confère un côté festif. Et ils utilisent les grosses cordes de la guitare classique pour une émotion plus introspective. Ce mélange d’énergie et de profondeur nostalgique convient aux préoccupations récurrentes dans ma démarche artistique : la vérité, la quête de liberté et l’unité du continent.
Cette unité vous semble d’actualité ?
Lors des concerts que j’ai donnés à Libreville en novembre, la chanson qui a le plus touché le public, « Nos langues de bois », parle de l’intégration. Nous tenons à nos frontières héritées de la colonisation comme si elles étaient des substrats intangibles et, alors que les marchandises circulent quasiment en toute liberté, les hommes et leurs idées restent englués dans les frontières. Comment comprendre que, pour aller de Libreville à Yaoundé, il faut un passeport et un visa ? L’espace Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, NDLR] n’existera qu’avec l’abolition des frontières intérieures. Sur le plan humain, ce sera le brassage des peuples. Sur le plan économique, ce sera un gain absolu pour le Gabon, qui est un marché minuscule.
Mais l’intégration à l’échelle du continent n’est-elle pas une utopie ?
L’unité de l’Afrique est le rêve de tout panafricaniste. Ce rêve a donné naissance à l’Union africaine, qui, aujourd’hui, évolue positivement dans le sens de l’intégration politique, économique et culturelle. Les Africains savent que cette unité est indispensable à leur indépendance politique et économique, à leur survie. Trop souvent, les Africains se rejettent eux-mêmes, comme le montrent par exemple les expulsions en Libye. Quand les discours deviendront-ils concrets ?
Je reste persuadé qu’une démocratie élargie à l’échelle continentale nous permettra d’être moins égoïstes, moins clientélistes. Qu’à travers les efforts de solidarité et de reconnaissance d’une culture commune, les Africains pourront se rassembler et faire reculer leur dépendance à la tutelle des dominants.
Et c’est l’héritage commun de l’oralité, le conte, que vous utilisez pour dénoncer les injustices…
Pour mieux saisir la vérité et montrer les travers des hommes. Ma démarche artistique a toujours intégré une dimension de résonance sociale. L’artiste travaille avec et sur l’histoire de son pays, de son continent. Et celle-ci n’est pas glorieuse du point de vue social. J’ai voulu dénoncer le fossé entre riches et pauvres, ce qui a d’ailleurs toujours été un problème avec mon pays, avant, pendant mon exil en France et depuis mon retour au Gabon. La lutte contre la pauvreté et les efforts de bonne gouvernance n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. On se demande pourquoi certains ont tant d’argent et d’autres pas ? On pique l’argent des pauvres au profit de quelques-uns.
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