Jean-Louis Billon : « Tout est à reconstruire en Côte d’Ivoire »

Président de la chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire et du premier groupe privé ivoirien, il plaide pour une relance musclée de l’économie du pays et une nette amélioration de l’environnement des affaires.

Publié le 13 janvier 2009 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Quel est l’état de l’économie ivoirienne en ce début d’année 2009 ?

Jean-Louis Billon : Malgré la crise, notre économie tient globalement le coup. Après avoir connu une période de récession en 2002 et 2003, nous retrouvons progressivement une petite croissance, à 2,9 % en 2008. Mais tout cela doit être relativisé. Près de la moitié des emplois ont été détruits, 50 % des entreprises ont disparu, 47 % de la population reste au-dessous du seuil de pauvreté, les secteurs de l’éducation et de la santé sont sinistrés, les infrastructures se dégradent… La progression du produit intérieur brut est essentiellement liée à la hausse des cours des matières premières, notamment du pétrole et de l’hévéa, mais elle ne traduit pas de développement.

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Le Nord est devenu complètement informel après le partage du pays en septembre 2002…

Nous avons même dépassé ce stade puisque l’on parle aujourd’hui d’économie parallèle et même de troc dans certaines zones. De nombreuses entreprises ont fermé dans le textile et l’agroalimentaire. Le redéploiement de l’administration et le retour de l’unicité des caisses nous permettent d’espérer la relance des activités. Mais il nous faut tout reconstruire.

Comment se sont adaptées les PME-PMI à ces années de turbulence ?

Certaines ont disparu, mais la plupart se sont adaptées. Elles sont notamment allées chercher des marchés à l’extérieur, qui peuvent aujourd’hui représenter entre 40 % et 60 % de leur activité. Les secteurs les plus touchés restent l’hôtellerie et la restauration. Les professionnels ont cassé leurs prix pour maintenir en vie leurs sociétés, mais la demande étrangère et nationale a baissé, principalement en raison de l’insécurité. Ces secteurs repartent néanmoins depuis la signature des accords de Ouagadougou, en mars 2007, puisque les grands hôtels affichent un taux de remplissage de 80 %, contre 20 % au plus fort de la crise.

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D’autres activités comme les télécoms ou les hydrocarbures ont émergé…

L’essor de la production pétrolière ivoirienne est récent. Mais l’activité reste opaque. Les chiffres de production vont de 50 000 à 100 000 barils par jour. En principe, cela devrait permettre aux Ivoiriens de payer leur carburant moins cher, d’autant que nous raffinons également d’importants volumes de pétrole nigérian. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Quant aux télécoms, particulièrement la téléphonie mobile, elles se sont fortement développées. La demande est là. Nous comptons aujourd’hui six grands opérateurs. La concurrence a permis de faire baisser les prix des communications. Le marché est-il trop étroit pour toutes ces sociétés ? Le futur le dira.

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Le coton et le textile ont-ils un avenir ?

Les productions agricole et halieutique ont tendance à baisser. Il faut absolument relancer les secteurs structurants de l’économie comme le coton, l’hévéa, la banane, l’ananas, le sucre et les entreprises de transformation qui y sont associées. Les opérateurs économiques ont demandé au Premier ministre d’en faire une priorité, mais force est de constater que leur appel est, jusqu’à présent, resté lettre morte. Le budget de l’agriculture est passé de 4,6 % en 1999 à 1,4 % en 2007. La production de coton n’est plus que de 200 000 tonnes, alors que la capacité installée est de 600 000 tonnes. Les entrepreneurs ont besoin de subventions, d’incitations fiscales et de la levée des obstacles, comme la corruption et les tracasseries policières, pour redémarrer leurs activités.

Faut-il revenir à un système plus dirigiste avec un meilleur encadrement ?

On ne peut demander aux opérateurs d’investir après six ans de crise sans les encadrer. On doit remettre en place des plans de développement qui tiennent compte du préfinancement du monde paysan. La sécurisation du foncier est également importante pour attirer les investisseurs.

Peut-on réindustrialiser ?

Nous avons un problème de compétitivité. C’est plus cher de transformer en Côte d’Ivoire qu’à Singapour, en Allemagne ou aux Pays-Bas. On sort la tonne de beurre de cacao à 150 dollars dans les pays développés, deux fois moins cher que chez nous. Outre une lourde facture énergétique et de fret maritime, nous avons le coût du transport routier le plus onéreux au monde en raison des barrages et du racket. Si nous parvenons à baisser nos coûts de production, l’industrialisation s’imposera d’elle-même.

Pourquoi le système bancaire n’accorde-t-il que peu de prêts aux entreprises ?

En raison de l’insécurité juridique, le coût des prêts est majoré de 4 à 5 points. Les taux d’emprunt varient de 12 % à 16 %. Les garanties bancaires ne suffisent pas face à l’arbitraire de notre justice. Les banques et toutes les sociétés en général facturent, par anticipation, les entraves à l’économie. Pour les marchés publics, les opérateurs nous expliquent qu’il faut verser 10 % de pots-de-vin pour se faire régler. Au final, c’est le consommateur qui en paye le prix.

Qu’attendez-vous du récent accord de partenariat économique signé avec l’Europe ?

Beaucoup craignent la compétition des produits européens, mais nos économies sont plus complémentaires que concurrentes. Cet accord de partenariat est, par ailleurs, accompagné d’un fort volet de mise à niveau. Profitons-en pour améliorer la productivité des sociétés, l’environnement des affaires et la culture d’entreprise. On ne peut prétendre jouer la Coupe du monde de football avec les grandes nations et demeurer une économie tropicale.

La Côte d’Ivoire n’aurait-elle pas intérêt à se tourner vers les grands pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil, plus que vers l’Europe et les États-Unis ?

L’un n’empêche pas l’autre. Il faut engager des discussions avec tous les pays qui manifestent leur volonté de faire du commerce avec l’Afrique et voir quels sont nos intérêts.

La part de la France dans les échanges avec la Côte d’Ivoire a fortement baissé…

Elle reste le premier partenaire avec 20 % des parts de marché. Néanmoins, nos relations commerciales sont de plus en plus diversifiées. On assiste à une montée en puissance de la Chine, de l’Afrique du Sud, de l’Angleterre, d’Israël, de la Russie ou encore de la Suisse.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?

Je le reste. La Côte d’Ivoire a toujours montré une réelle capacité de rebond même si nous avons sérieusement détérioré notre outil de production. Mais, pour cela, il faut de la volonté politique, que ne favorise pas la nature de la coalition gouvernementale actuelle. Il nous faudra également régler une fois pour toutes les questions foncières, d’intégration de l’armée et de nationalité. Le seul but est de défendre l’intérêt général et un environnement favorable à l’entreprise. La création de richesse et la réduction de la pauvreté favorisent la stabilité politique.

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