Algérie : vive la crise ?

Avec le plus riche matelas de pétrodollars de son histoire, le pays peut résister à une courte récession mondiale. Confronté à la baisse importante des cours du brut, il pourrait en profiter pour enfin engager la diversification de son économie. Et préparer l’avenir.

Publié le 13 janvier 2009 Lecture : 6 minutes.

Douche froide à Alger. « Nous sommes face à une crise financière mondiale. Après les années d’opulence, c’est le temps des vaches maigres. L’État doit introduire la rigueur dans la gestion des affaires du pays. J’appelle les Algériens à se serrer la ceinture et à se retrousser les manches, si nous voulons construire le pays. » En visite dans la province de Ghardaïa, le 28 décembre, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas fait dans la dentelle pour sensibiliser les Algériens aux temps difficiles qui s’annoncent, même si nombre d’entre eux n’auront guère goûté aux fameuses années d’opulence. Un brutal virage présidentiel à 180 degrés, qui tranche avec l’intervention rassurante de son Premier ministre, trois jours plus tôt. Le 25 décembre, Ahmed Ouyahia affirmait ainsi devant les députés : « Nous tiendrons cinq ans avec un baril à 20 dollars parce qu’à ce prix nous ferons encore 19 milliards de dollars de recettes par an. »

Depuis, le vent glacial de la crise mondiale se fait plus incisif. Le chef de l’État s’est rendu à l’évidence. Épargnée par la tourmente financière grâce à l’absence de connexion avec les marchés des capitaux internationaux, l’Algérie subira la récession à travers la baisse du prix des hydrocarbures (98 % des exportations du pays et 75 % des recettes budgétaires de l’État). L’effondrement de la demande mondiale et la dépréciation attendue du dollar en 2009 font donc craindre un net recul des recettes pétrolières, après une année 2008 qui aura atteint un sommet historique, avec 80 milliards de dollars de revenus issus des hydrocarbures.

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Certes, l’Algérie n’est pas aux abois. Loin de là. Le pays est assis sur un véritable trésor avec des réserves de change de 138 milliards de dollars et 76 milliards de dollars dans le Fonds de régularisation des recettes (FRR) à la fin de 2008. La dette externe publique (600 millions de dollars à la fin de août 2008) est quasiment éteinte. Tous les grands projets lancés dans le pays sont financés en dinars algériens. Les bailleurs internationaux ne jouent plus qu’un rôle d’assistance technique. « Le pays dispose d’une indépendance financière certaine et ne peut pas être affecté par la restriction du crédit international puisqu’il n’en a pas besoin et ne souhaite en aucun cas y faire appel », souligne Patrick Gay, de la mission économique d’Alger.

Mais l’importante marge de manœuvre du pays n’est pas illimitée. « La baisse du prix du pétrole peut se transformer en catastrophe », lançait récemment à Tlemcen le chef de l’État. Aujourd’hui, les exportations d’hydrocarbures (68 milliards de dollars en 2008) couvrent largement les importations (30 milliards). Sauf que les importations ont explosé de 300 % en six ans. Et si elles continuaient à progresser à leur rythme actuel et que les ventes d’hydrocarbures stagnaient, les importations se hisseraient en valeur au niveau des exportations en cinq ans. Ce qui n’est pas totalement absurde en temps de crise.

Une chute des rentrées liées à la fiscalité pétrolière conduirait aussi l’État à réduire ses investissements (155 milliards de dollars entre 2005 et 2009), affectant la croissance portée par la dépense publique ces dernières années, bridant l’essor du BTP et des transports, très dynamiques, au risque de rebuter les investisseurs étrangers. Un scénario qui n’est pas irréaliste. Avec un baril durablement sous les 65 dollars, le gouvernement devrait puiser dans le FRR pour maintenir sa politique d’investissement dans les infrastructures – le budget de l’État a été calculé sur la base de 37 dollars le baril.

Ne plus dépendre du pétrole

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Dans ce contexte, qui souligne la fragilité du pays malgré son immense richesse, l’Algérie tente (enfin !) de ne plus dépendre que du pétrole. Une volonté saluée par le FMI, qui a ramené les perspectives de croissance du pays entre 2,5 % et 3 % en 2009, contre 4,9 % en 2008. « Une crise durable soulignerait l’impératif de diversification de l’économie, qui suppose la poursuite des réformes structurelles restées bien timides. C’est le défi majeur de l’Algérie », a insisté Joël Toujas-Bernaté, le chef de la mission du FMI en Algérie à la mi-novembre. « Il y a une malédiction des ressources dans ce pays, juge l’ancien Premier ministre Ahmed Benbitour. Il faut trouver les moyens de transformer un capital naturel non renouvelable en un capital humain générateur de ressources pérennes à travers une politique de l’éducation, de la santé, des investissements productifs, la mise en place de banques d’investissements… » Bref, élaborer une véritable politique économique.

C’est ce que tente le gouvernement. Premier chantier, la réforme du système bancaire. Après 40 milliards de dinars en 2008, la loi de finances 2009 alloue 50 milliards de dinars (plus de 700 millions de dollars) à la recapitalisation des banques publiques. Le but ? Que les six établissements étatiques soient actifs dans le financement de l’industrie et le soutien aux PME. Une action qui sera relayée avec la transformation de la Banque algérienne de développement (BAD) en société d’investissement (voir encadré). Dans un rapport détaillé remis à la fin de janvier, le FMI recommandera à l’État de se désengager du secteur financier malgré l’ouverture reportée du capital du Crédit populaire d’Algérie (CPA) en 2007. À condition de se montrer moins gourmand. L’État réclamait 3 milliards de dollars, soit six fois les fonds propres (500 millions de dollars).

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Débloquer le système bancaire est indispensable pour financer la diversification de l’économie et capitaliser, par exemple, sur les 325 000 PME algériennes. « Ce sont elles qui contribuent le plus à la richesse nationale », revendique Zaïm Bensaci, président du Conseil national consultatif pour la promotion de la PME (CNC/PME). Principale entrave à leur développement : l’accès au crédit. « Nous avons une rétention des banques, tant publiques que privées », dénonce-t-il. À quoi s’ajoutent les relations difficiles avec l’administration, l’accès au foncier, le poids de l’informel et la « mafia de l’importation ». Du coup, les PME demeurent fragiles (10 % d’entre elles disparaissent chaque année, selon le CNC/PME). D’où leurs craintes face à l’adhésion du pays à la Zone arabe de libre-échange (Zale) depuis le 1er janvier 2009. « C’est un vrai électrochoc. En ouvrant brutalement le marché algérien aux produits du monde arabe, l’État tue dans l’œuf le développement d’une industrie locale. Tous les biens et les services seront touchés. Entre des politiques fiscales et douanières différentes qui pénalisent les entreprises algériennes et des coûts de main-d’œuvre deux fois moins élevés en Égypte, par exemple, c’est la porte ouverte aux importations, l’informel régnera en roi », fulmine Slim Othmani, dirigeant du groupe agroalimentaire de NCA Rouiba.

Les importations explosent

Et il n’est pas sûr que le nouveau programme de mise à niveau des PME, financé par l’Union européenne (40 millions d’euros) et le ministère algérien des PME (3 millions d’euros) modifie la donne. Or le temps presse. À l’horizon 2012, l’Algérie n’aura plus de barrières douanières avec l’UE, et les négociations pour l’adhésion à l’OMC sont avancées aux trois quarts. Les PME algériennes ont tout intérêt à se muscler d’ici là…

Autre défi : enrayer la flambée de la facture alimentaire, passée de 2 milliards de dollars en 2000 à plus de 8 milliards en 2008. Elle traduit un bilan en demi-teinte des plans de développement agricole lancés à partir de 2000. De 2005 à 2008, 50 milliards de dinars ont été investis à travers le Plan d’action du développement rural (PADR). « C’est le premier vrai plan de relance cohérent du secteur agricole », salue l’économiste Omar Bessaoud, de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier. Mais si les zones irriguées et la production maraîchère ont gagné du terrain, « le plan n’a pas amélioré le rendement des productions céréalière et laitière », constate-t-il. Mais le potentiel agricole est là et la valeur de la production a doublé en sept ans (à 10 milliards de dollars en 2007). Restent les pénuries, comme celle de la pomme de terre en 2007 orchestrée par des « importateurs-spéculateurs ». À l’État de jouer son rôle de régulateur, de sécuriser la production et de favoriser l’essor d’une industrie agroalimentaire performante alimentée par la production locale. Et réduire de facto la facture des importations. « Mais à condition d’instaurer une politique structurée au plus haut niveau », indique Omar Bessaoud. La route de la diversification sera longue. 

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