Fatine Layt

Hier associée à Jean-Marie Messier, l’ex-PDG de Vivendi Universal, cette femme d’affaires franco-marocaine pourrait bientôt faire son entrée en politique.

Publié le 13 janvier 2009 Lecture : 5 minutes.

Enfant, Fatine Layt était convaincue que les festivités organisées chaque année pour l’anniversaire de Hassan II l’étaient aussi pour elle. Le défunt roi du Maroc était né un 9 juillet (1929), elle-même un 10 juillet, trente-huit ans plus tard. Il n’est pas interdit d’y voir une sorte de prémonition : au royaume de la finance, elle est devenue une reine. Preuve de son ascension fulgurante, elle figure depuis 2001 dans le Who’s Who in France, l’annuaire des personnalités les plus influentes.

À 41 ans, cette Franco-Marocaine aux cheveux courts et au regard franc est à un tournant de sa carrière. En octobre dernier, Partanéa, sa société de conseil en fusions-acquisitions, a été rachetée par la banque d’affaires Oddo et Cie, dont elle est désormais associée-gérante.

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« L’occasion d’une synergie industrielle s’est présentée, explique-t-elle. Mon équipe a apporté son réseau international et son savoir-faire concernant les très grandes entreprises. En contrepartie, Oddo offre à nos clients une gamme complète de services en ingénierie boursière, du conseil en financement et investissement. »

Le statut de banque que lui a apporté son acquéreur (800 salariés et 19 milliards d’encours sous gestion en 2007) lui permet en outre de ne plus avoir à rémunérer de grands établissements spécialisés, fort gourmands en honoraires, pour accéder aux marchés financiers. Pour arriver seule à ce résultat, « il m’aurait fallu dix ans », confie la jeune femme.

Ses talents et son énergie ne séduisent pas seulement les PDG du CAC 40. Début décembre, l’hebdomadaire Le Point présentait Fatine Layt comme une possible remplaçante, au gouvernement, de Rachida Dati, l’actuelle ministre de la Justice. Naturellement, l’intéressée ne ­confirme ni n’infirme. Elle se déclare « flattée » par cette rumeur, mais impossible d’en savoir plus.

Qu’importe : pour la presse, elle est « la nouvelle beurette » du président Nicolas Sarkozy. Contrairement à son entourage, la formule ne la choque pas, même si elle est sémantiquement fausse. Comme l’on sait, un beur est un enfant né en France de parents maghrébins. Or Fatine a vu le jour à Casablanca, au Maroc…

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Sur sa jeunesse, elle refuse d’épiloguer. Tout juste sait-on que son père était cadre supérieur à la Royal Air Maroc, la compagnie aérienne nationale. Elle n’a que 4 ans lorsqu’elle quitte Casablanca pour la région parisienne. Sa mère, qui est normalienne, l’inscrit dans « une institution catholique très compétitive et très ouverte ». Accessoirement, elle lui transmet son amour des lettres et de la musique. À 14 ans, l’adolescente décroche même un premier prix du Conservatoire de Paris, catégorie « musique de chambre ».

Bien qu’issue d’un milieu socialement privilégié, Fatine n’est pas épargnée par les remarques humiliantes de ses camarades de classe. « On me demandait s’il y avait des routes dans mon pays », se souvient-elle. Mais ces vexations ne font que renforcer sa détermination.

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Reçue avec mention très bien au bac, elle réussit dans la foulée le concours d’entrée à Sciences Po-Paris – où elle donnera ultérieurement des cours ­– et s’émancipe financièrement en souscrivant un prêt pour payer ses études.

Diplôme en poche, elle devient, trois ans plus tard, trader obliga­taire pour rembourser son emprunt. L’expérience dure huit mois. « Même si aujourd’hui j’ai une bonne situation, l’argent n’a jamais été ma motivation pre­mière », raconte-t-elle. Alors ­qu’elle s’apprête à quitter son poste, le destin place sur sa route celui qui va devenir son mentor : Jean-Charles Naouri, l’ancien directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy au ministère de ­l’Économie.

Cet énarque, père de la grande réforme des marchés financiers, au milieu des années 1980, a créé en 1987 le fonds d’investissement Euris. Pour Fatine Layt, la rencontre est déterminante, car elle l’installe définitivement dans le monde de la finance.

Rapidement, Naouri lui confie d’importantes responsabilités : « J’allais partout où il y avait des problèmes difficiles à régler. J’y ai gagné le surnom de “Rouleau compresseur”, ce qui n’était pas très gentil. » Fatine défend d’abord les intérêts d’Euris dans les secteurs de la production cinématographique et de l’édition.

En 1995, première consécration : elle devient la numéro deux de l’agence photographique Sygma, qui appartient au fonds d’investissement. Au côté de son fondateur, Hubert Henrotte, un monstre sacré du photo­journalisme, elle pilote le passage de la technologie analogique au numérique. « C’est en étant aux manettes de Sygma que j’ai eu envie de devenir entrepreneuse à mon tour », explique-t-elle.

Avant de passer à l’acte, elle « coupe le cordon » avec Naouri et prend la direction d’un groupe de presse professionnelle contrôlé par un autre fonds d’investissement, Apax Partners. En 1999, elle se lance et crée Intermezzo, une société de conseil en ingénierie financière spécialisée dans les médias. À l’évidence, le secteur la fascine : « J’ai toujours rêvé d’avoir un quotidien, dit-elle. Je suis admirative du travail que fait Alain Weill [patron du groupe NextradioTV, NDLR]. » Quelques gros coups la placent bientôt sous les feux de l’actualité. À deux reprises, elle vend l’hebdomadaire Le Nouvel Économiste, puis travaille à la recapitalisation de Libération.

Mais Fatine Layt vise plus haut. Pour mener à bien ses ambitions, elle mise sur un associé au carnet d’adresses bien garni : Jean-Marie Messier. Début 2003, ils fondent ensemble une « boutique financière » spécialisée dans les métiers de la banque d’affaires. À l’époque, Messier vient d’être débarqué de Vivendi Universal, mais ­conserve de bonnes relations avec de grands patrons français comme Jean-Luc Lagardère ou François Pinault. Las, l’aventure tourne court. Au bout de trois ans, excédée par l’autoritarisme de « J2M », la jeune femme claque la porte. Aujourd’hui encore, la blessure n’est pas complètement refermée. C’est comme ça : elle « ne peut s’associer qu’avec des gens qu’[elle] admire ».

Même si elle se consacre à 100 % à son métier, Fatine Layt, maman d’une petite fille, prend depuis peu le temps de cultiver ses racines : « Mon rapport au Maroc est très fort », avoue-t-elle. Bref, elle revendique désormais sa double culture. « D’où vient-on ? Qui est-on ? Où va-t-on ? Elle est à l’âge où l’on se pose ce genre de questions », confirme son ami Bruno Delport, patron du groupe Nova Presse.

Pour se ressourcer, Fatine se rend régulièrement dans sa ferme, non loin de Marrakech. « J’y produis des abricots, des oranges et des grenades. Mon ambition est de leur apporter de la valeur ajoutée en les transformant en confitures ou en fruits confits pour les vendre sur le marché local », raconte-t-elle, le regard pétillant. Au Maroc ou en France, la réussite reste pour elle une obsession. Après tout, rien de plus normal : en arabe, son patronyme ne signifie-t-il pas « lion » ?

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