Les clés de la nouvelle donne

Israël bouleverse la situation au Moyen-Orient. Les États arabes manifestent leur impuissance, la popularité du Hamas est à son zénith, et on attend Obama…

Publié le 13 janvier 2009 Lecture : 10 minutes.

Qui a rompu la trêve ?

« Irresponsable et impardonnable. » Ainsi Nicolas Sarkozy a-t-il qualifié le comportement du Hamas lors d’une conférence de presse à Ramallah, le 5 janvier. Le président français a accusé l’organisation de résistance d’avoir rompu la trêve de six mois conclue en juin 2008 sous les auspices d’Omar Souleimane, patron des services de renseignements égyptiens. Les Palestiniens s’étaient engagés à cesser les tirs de roquettes à partir de Gaza sur le nord de l’État hébreu. En contrepartie, le gouvernement d’Ehoud Olmert avait promis d’arrêter ses incursions meurtrières dans le territoire palestinien et de desserrer le blocus imposé à Gaza depuis la victoire électorale du Hamas en 2006. L’accord qui venait à échéance le 19 décembre 2008 a été pour l’essentiel respecté côté palestinien. Il y a bien eu quelques tirs de Qassam, mais ils étaient le fait du Djihad islamique. On ne peut en dire autant de la partie israélienne : le blocus a été maintenu et même resserré. Plus grave : le 4 novembre 2008, Tsahal a mené un raid sur Gaza, assassinant cinq combattants du Hamas.

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Ce qui inquiétait les Israéliens et les a amenés à intervenir n’est pas tant quelques violations de l’accord que l’activité souterraine du Hamas. Celui-ci avait mis à profit la trêve pour développer les réseaux de tunnels sillonnant Gaza à partir de la frontière égyptienne et par où sont acheminés les vivres, mais aussi du matériel militaire. Après le 19 décembre, le Hamas, qui avait repris ses tirs, était disposé à les arrêter à condition que le blocus soit levé. Israël y a opposé une fin de non-recevoir, estimant sans doute qu’il fallait à tout prix stopper le renforcement souterrain du Hamas.

Catastrophe humanitaire

Avec son million et demi d’habitants et sa superficie réduite, Gaza est la zone la plus dense de la planète. Durant la première semaine de l’opération Plomb durci, elle a reçu en moyenne plus de cent tonnes de bombes et missiles par jour, larguées par des F-16 et des hélicoptères Apache ou tirés par les canons longue portée (120 millimètres) de l’artillerie israélienne. Frappes chirurgicales ou non, les infrastructures de base (routes, réseaux de distribution d’eau potable, canalisations pour les eaux usées…) ont été endommagées à hauteur de 80 %. L’offensive terrestre a aggravé la situation. Les structures socio-économiques n’ont pas été oubliées : la quasi-totalité des établissements scolaires (notamment trois relevant d’agences onusiennes) et universitaires ont été la cible d’obus de char. En l’occurrence, il est difficile de parler de frappes chirurgicales. Hôpitaux et cliniques, mosquées et églises (plus de 100 000 Gazaouis sont chrétiens), bâtiments administratifs et commerces, quartiers résidentiels ou bidonvilles, rien n’a été épargné par l’aviation et les blindés de Tsahal.

Au douzième jour de l’opération Plomb durci, on recense plus de 700 morts (dont 219 enfants) et près de 3 100 blessés, dont 1 600 ont moins de 16 ans. Les femmes ne sont pas en reste : elles représentent plus de 12 % des victimes. L’agression israélienne annonce une catastrophe humanitaire. Ce sont Oxfam et d’autres ONG internationales, peu suspectes de sympathie envers le Hamas, qui l’affirment. D’autant que les bombardements et l’invasion terrestre sont intervenus après un blocus quasi total de six mois.

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Info et intox

Comme pour tout conflit de ce type, les belligérants se livrent une véritable guerre des images. Le 27 décembre 2008, avant de lancer ses premiers raids aériens sur Gaza, Tsahal avait mis en place une cellule spéciale pour alimenter YouTube en images, dans le but de prouver que les bombardements sont des plus chirurgicaux. Mais le nombre effarant de victimes civiles a très vite ruiné l’entreprise. La propagande du Hamas a, elle aussi, rapidement perdu ses principaux relais. Studios et antenne de diffusion d’Al-Aqsa TV ont été réduits en cendres aux premières heures de l’opération Plomb durci. Aucun journaliste occidental, israélien ou arabe n’a été autorisé par Tsahal à pénétrer dans Gaza. Pas de témoins pour nous expliquer pourquoi, cinq jours après le début de l’offensive terrestre, l’infanterie israélienne n’a pas encore réussi à contrôler la totalité de la ville de Gaza. Seules quelques équipes de télévisions arabes, dont l’incontournable Al-Jazira, sont sur place. Celle de la télévision algérienne a perdu son cameraman, Wassel Faraj (22 ans), touché par des éclats d’obus aux premières heures de l’agression. Les images de corps déchiquetés, de blessés ensanglantés courant dans tous les sens alimentent les journaux télévisés arabes. Les images d’Ashkelon et d’autres villes israéliennes qui vivent dans l’angoisse des roquettes Grad et Qassam sont nettement moins diffusées sur ces chaînes.

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Que font les Arabes ?

L’impuissance des États arabes est, une nouvelle fois, manifeste. L’émotion suscitée par le drame de Gaza inquiète les régimes pour des raisons domestiques : la popularité grandissante du Hamas profite aux islamistes locaux, qui étaient en perte de vitesse. L’exemple mauritanien est édifiant. La pression de la rue a contraint la junte au pouvoir à rappeler son ambassadeur à Tel-Aviv, au moment même où, pour des raisons évidentes de légitimité internationale, elle avait besoin de se faire oublier des capitales occidentales, alliées traditionnelles d’Israël.

La mobilisation ne se limite pas aux seules couches populaires. L’élan de solidarité touche autant la classe politique que la société civile. Les manifestations les plus impressionnantes ont eu lieu à Rabat et à Beyrouth. Au Caire et à Alger, le pouvoir a tenté de les empêcher pour des motifs différents. La première est embarrassée par les dividendes que pourraient récolter les Frères musulmans, principale menace politique pour le régime de Hosni Moubarak. Quant à la seconde, elle invoque l’état d’urgence qui interdit toute marche de protestation sur la voie publique, pour des raisons de sécurité. L’Arabie saoudite est curieusement absente de la foison d’initiatives diplomatiques en cours. C’est le Qatar de Hamed Ibn Khalifa Al Thani qui est en première ligne. L’émir fut en effet le premier chef d’État arabe à exhorter ses pairs à se réunir en sommet extraordinaire. Mais, comme à leur habitude, ces derniers « sont d’accord pour ne pas être d’accord » : problème d’agenda présidentiel ou royal, absence de consensus sur la formulation de l’ordre du jour et sur la présence ou non de représentants du Hamas…

Pour spectaculaire qu’elle soit, la décision mauritanienne a fait moins d’effet que celle du président Hugo Chávez, qui a « chassé » l’ambassadeur d’Israël de Caracas. L’attitude du président vénézuélien gêne moins l’État hébreu que les pays arabes qui entretiennent des relations diplomatiques avec Tel-Aviv : l’Égypte et la Jordanie. Autre victime collatérale de Plomb durci : le plan de paix lancé en 2002 par le souverain saoudien Abdallah Ibn Abdelaziz et proposant à Israël une normalisation des relations avec les vingt-deux États de la Ligue arabe contre la restitution des terres occupées depuis 1967. Après le carnage de Gaza, il est désormais sérieusement compromis.

Quel avenir pour Mahmoud Abbas ?

Le premier mort de la guerre de Gaza est sans aucun doute Mahmoud Abbas. En frappant le Hamas, l’armée israélienne a tué au passage le président de l’Autorité palestinienne, et avec lui ce qu’il incarne : la recherche acharnée d’un règlement de paix et la création d’un État palestinien par la seule et unique voie de la négociation. Alors que les télévisions satellitaires arabes diffusent des reportages insoutenables sur les victimes, souvent en bas âge, des bombardements, les images d’Abou Mazen donnant l’accolade à Ehoud Olmert ont un effet désastreux. Le Fatah, le mouvement de résistance fondé par Yasser Arafat, est couvert d’opprobre. En Cisjordanie, l’un de ses vétérans s’est vu rejeté par sa vieille mère et ses propres enfants…

Les Israéliens ne rendent pas service à Mahmoud Abbas lorsqu’ils déclarent qu’ils veulent, une fois le Hamas anéanti, rétablir son pouvoir à Gaza. Il se voit obligé de préciser qu’il n’a nullement l’intention de revenir dans les chars de Tsahal pour ne pas ressembler au général Lahad, le chef de l’armée supplétive du Sud-Liban pendant l’occupation israélienne. Pour limiter les dégâts, le président palestinien n’accuse plus le Hamas d’avoir provoqué la guerre, et ordonne de faire cesser toute polémique avec les islamistes. Il leur propose d’engager sans tarder le dialogue en vue de la réconciliation. Les intéressés, qui ont d’autres chats à fouetter, n’ont pas donné suite.

En principe, le mandat de Mahmoud Abbas est arrivé à expiration le 9 janvier. Avant la guerre, il envisageait de lier les élections législatives et présidentielle. Mais, bien entendu, ces calculs ne sont plus à l’ordre du jour. Le président palestinien pourra-t-il renaître après Gaza ? Il faudrait en tout cas que le processus de paix, qui jusqu’à présent n’a mené qu’à la guerre, soit lui-même ressuscité, retrouve sa finalité et qu’il soit, Barack Obama aidant, autre chose qu’un attrape-nigaud.

Que va faire Obama ?

En s’imposant le silence alors que la guerre de Gaza faisait rage, Barack Obama a surpris. L’explication fournie par ses collaborateurs – « Un seul patron à la Maison Blanche » – n’a guère convaincu, puisque le président élu n’a pas attendu son investiture, le 20 janvier, pour réagir à l’attentat de Bombay ou même agir sur la crise. Mais le silence ici n’a peut-être pas une connotation négative. Il ne signifie pas nécessairement indifférence ou refus de s’engager. Au contraire. Aux États-Unis, la règle lorsqu’il s’agit d’Israël, c’est le soutien inconditionnel. Nul ne peut y déroger, sous peine de voir sa carrière politique brisée. Se taire est donc déjà un début de critique. L’attitude d’Obama après le massacre de l’école de Jabaliya, le 6 janvier, est venue conforter cette impression. Il s’est dit « profondément préoccupé » et prêt à intervenir au Moyen-Orient dès son entrée en fonctions. Une politique plus équilibrée, en rupture avec le soutien inconditionnel de Bush, semble avoir les faveurs du pays. On relève, par exemple, une évolution significative de l’électorat démocrate. Dans un récent sondage, celui-ci s’est prononcé, avec une marge de 22 %, contre la guerre de Gaza.

Les chances (ou les risques) d’une nouvelle politique des États-Unis au Moyen-Orient, c’est à Tel-Aviv qu’on en trouve les indices. Les dirigeants israéliens se montrent très attentifs à ce sujet et ne cachent pas leurs appréhensions. Les propos laconiques de Barack Hussein Obama ont provoqué une réunion urgente de la troïka qui dirige la guerre (Olmert, Barak et Livni). Elle y a vu un avertissement qu’il convient de prendre au sérieux. Comme l’écrit Aluf Benn dans le Haaretz, le timing de l’intervention du nouveau président américain est lourd de sens. Après le 20 janvier, le soutien à Israël sera sans doute de rigueur, mais le massacre des populations civiles ne sera plus toléré. Désormais, il deviendra difficile de justifier le blocus de Gaza, qui affame les Palestiniens.

Les craintes israéliennes ne datent pas des premières déclarations d’Obama. On peut même se demander si la perspective d’un changement d’administration à Washington n’a pas été la principale cause du déclenchement de la guerre. On a en effet la forte impression que ceux qui, à Tel-Aviv, voulaient imposer au Hamas de « nouvelles règles de jeu » se sont empressés de le faire tant que Bush était encore à la Maison Blanche, sachant bien qu’ils n’en auraient pas le loisir sous son ­successeur.

Les leçons de l’expédition libanaise de 2006

La lenteur de l’avancée des troupes israéliennes à l’intérieur de la bande de Gaza tient autant à la résistance des factions palestiniennes (le Hamas n’est pas le seul à se battre pour Gaza) qu’au souci de Tsahal de limiter ses pertes humaines. Ce n’est certes pas nouveau, mais cet objectif est devenu une quasi-obsession depuis l’expédition libanaise de juillet 2006, quand une seule roquette du Hezbollah avait tué treize conscrits israéliens. L’autre hantise de l’état-major est de voir des soldats être faits prisonniers. Au début de l’opération Plomb durci, un représentant du Hamas avait ironisé : « Gilad Shalit [soldat israélien kidnappé le 25 juin 2006 par le Hamas, NDLR] aura bientôt des compagnons de détention. »

Selon les médias israéliens, le souvenir du bras de fer avec le Hezbollah a hanté les stratèges qui ont planifié Plomb durci. « Cette fois-ci, nous atteindrons nos objectifs, qui consistent à neutraliser les capacités militaires du Hamas », ne cessent de marteler les porte-parole de Tsahal. Si les leçons de la guerre au Liban ont été retenues, seront-elles mises à profit ? Difficile de répondre à ce stade de l’offensive. Une simple comparaison des pertes israéliennes au Liban et à Gaza pourrait être un indicateur sérieux. En cinq semaines de conflit avec le Hezbollah, Tsahal avait perdu 110 soldats. Au bout de cinq jours d’offensive terrestre dans la bande de Gaza, l’État hébreu déplore 7 tués (21 selon le Hamas). Nous sommes donc loin du compte. Sauf que, pour atteindre ses objectifs, Tsahal devra inévitablement pénétrer au cœur de la ville de Gaza. Ce qui exposerait ses soldats à la guérilla urbaine, aux attaques-suicides et aux tirs de snipers embusqués dans cette jungle en béton qu’est Gaza.

Que pensent les Subsahariens ?

Le premier chef d’État subsaharien à avoir réagi a été le président sénégalais Abdoulaye Wade, qui a dénoncé « l’inacceptable agression israélienne ». Rien que de très normal s’agissant du président en exercice de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Le poids des confréries religieuses au Sénégal n’est sans doute pas étranger à cette prise de position. Wade a également annoncé une initiative diplomatique et une prochaine tournée dans la région. L’Union africaine (UA) a réagi avec célérité. Le 29 décembre, deux jours après le début des raids aériens, la Commission de l’UA a dénoncé dans un communiqué « l’attaque massive et disproportionnée de l’armée israélienne contre les populations civiles de Gaza », déplorant que cette offensive ruine les efforts en cours en faveur du dialogue israélo-palestinien. Quant aux manifestations contre l’agression, le Niger et le Nigeria se sont particulièrement illustrés avec une forte mobilisation. Signalons aussi le geste du footballeur malien du FC Séville qui, le 7 janvier, a célébré un but en exhibant un tee-shirt sur lequel était écrit Palestine en plusieurs langues.

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