L’Afrique peut-elle nourrir l’Afrique ?
Directeur général du Centre du riz pour l’Afrique (Adrao)
Pour lutter contre la pauvreté et la faim, l’Afrique peut-elle nourrir l’Afrique ? Les réponses à cette question sont aussi nombreuses que divergentes. Pour notre part, nous avons deux convictions fortes. La première est que l’Afrique peut constituer l’un des plus grands bassins agricoles au monde si elle prend effectivement conscience de ses potentialités multiformes et qu’elle en assure une exploitation optimale. Tous les atouts sont de son côté : ressources hydriques plus que suffisantes, terres d’une grande diversité agro-écologique, capital humain mobilisable et technologies disponibles. Une situation qui n’a pas échappé à plusieurs pays d’Asie, qui, face à la raréfaction de leurs terres et de leurs ressources hydriques, tentent de délocaliser une partie de leur production rizicole en Afrique.
Notre deuxième conviction est qu’une métamorphose positive de l’agriculture africaine passera nécessairement par une combinaison intelligente de quatre facteurs : technologies adaptées, infrastructures de qualité, environnement économique et institutionnel incitatif et préservation des ressources naturelles. L’analyse est confortée par plusieurs éléments, dont une récente simulation du Centre du riz pour l’Afrique (ou Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest, Adrao), qui démontre que le continent peut devenir un exportateur net de riz fournissant plus de 5 millions de tonnes par an au marché international tout en garantissant une grande compétitivité, du point de vue des coûts comme de celui de la qualité finale du produit.
Pour y parvenir, il suffirait dans un premier temps d’augmenter les superficies actuelles de 15 % (sans déforestation) et de mettre en place des « paquets » technologiques adaptés (semences et engrais), tels que ceux des variétés Nerica, mises au point par l’Adrao. Mais, pour développer la production agricole dans son ensemble – et augmenter ainsi les chances d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement –, au moins six préalables doivent être pris en compte dans les politiques nationales :
1. Augmenter les budgets du secteur agricole, les pays africains ne consacrant en moyenne que 4 % de leur budget à l’agriculture. Près de six ans après la résolution de Maputo, qui exprimait la volonté des 53 États de l’Union africaine de porter à 10 % ce montant, seuls 10 pays ont tenu leur engagement.
2. Investir davantage dans la recherche pour permettre la découverte de solutions techniques mieux adaptées au continent. L’Afrique doit ainsi majorer sa contribution à la recherche scientifique mondiale, où sa participation en capital n’est que de 0,3 %.
3. Maîtriser l’eau pour sécuriser la production et augmenter les rendements. Selon la FAO, l’Afrique n’utilise que 4 % de ses ressources renouvelables en eau. Le riz irrigué permet pourtant de faire deux récoltes annuelles et d’obtenir des rendements trois à quatre fois plus élevés qu’en culture pluviale.
4. Mettre en place des infrastructures de base (stockage, routes, etc.), pour permettre de lutter contre les pertes postrécoltes (qui peuvent représenter 40 à 60 % de la production), mais aussi pour développer des opportunités d’accès au marché et augmenter les revenus des habitants ruraux d’au moins 30 %.
5. Faire des subventions ciblées pour l’acquisition de facteurs de production tels que les semences améliorées, les engrais, l’outillage, etc. En Afrique, pour certains produits tels que le riz, les rendements actuels ne représentent que 30 % environ des rendements potentiels. Il faut donc des subventions ciblées pour compenser le coût des innovations technologiques nécessaires à une hausse significative des rendements agricoles.
6. Enfin, les pays africains doivent soutenir sans faille les stratégies continentales de relance agricole, comme le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (CAADP) du Nepad.
On le voit : l’Afrique peut, si elle le veut, nourrir l’Afrique. Mais elle a également besoin d’un soutien international fort. Le monde ne doit pas oublier qu’en encourageant l’Afrique, il renforce un futur grand contributeur de la sécurité alimentaire mondiale.
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