Écrans blancs pour acteurs noirs
En France, les acteurs d’origine africaine peinent à trouver des rôles à la hauteur de leur talent. Une situation imposée en partie par les chaînes de télévision qui financent le septième art. Enquête.
Avant Obama, il y avait David Palmer, un président noir et démocrate, incarné par Dennis Haysbert, qui fit en partie la renommée de la série 24 Heures chrono. À Hollywood, ce n’est pas la première fois qu’un comédien de couleur se voit offrir les clés de la Maison Blanche. Il y eut d’abord James Earl Jones, en 1972, dans The Man. Puis, entre autres, Morgan Freeman dans Deep Impact et Chris Rock dans Head of State. En France, en revanche, pas de Noir à l’Élysée. Très peu à l’affiche.
Pourtant, il semblerait que la situation évolue. L’État français – qui s’est longtemps gardé d’aborder le sujet de la discrimination dans le septième art – paraît enfin se réveiller. Créée en 2007, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) soutient les œuvres qui « témoignent de la diversité de la société française et la valorisent ». En 2008, elle a versé plus de 10 millions d’euros à 175 projets.
De leur côté, certains metteurs en scène de renom commencent à « colorer » leur vision du monde. Récemment, le réalisateur Olivier Marchal (36, quai des Orfèvres), après s’être rendu compte que sa perception de la société française ne correspondait pas à la réalité, a refait intégralement le casting de sa série Braquo pour y inclure un plus grand nombre de comédiens noirs. Jacques Audiard, quant à lui, sortira en 2009, Un prophète, dont la distribution est presque entièrement maghrébine. Aïssa Maïga, comédienne d’origine sénégalaise, est plutôt optimiste. « Après ma nomination aux césars, se souvient-elle, les gens venaient me voir pour me dire qu’ils étaient heureux que les choses bougent. Il y a aujourd’hui une demande importante du public. » Preuve en est, la réussite de comédiens maghrébins tels que Jamel Debbouze ou Roschdy Zem (7 millions de spectateurs cumulés en trois ans pour ce dernier), l’explosion à la télévision d’une nouvelle génération de comédiens issus de la scène (Thomas N’Gijol, Fabrice Eboué, Omar Sy) ou encore la cote de popularité de Will Smith, qui, en quinze ans et seize films, a réussi à attirer en France presque 50 millions de spectateurs dans les salles. Plus que Tom Cruise, Brad Pitt ou Tom Hanks.
« Arbre qui cache la forêt »
Mais hélas, des barrières existent encore. « Pour que je puisse jouer dans L’Âge d’homme, raconte Aïssa Maïga, le réalisateur, Raphaël Fejtö, s’est battu pour m’imposer auprès de ses producteurs. Le scénario était écrit pour une blonde. » Sélectionnée aux césars pour son rôle dans Bamako, du Mauritanien Abderrahmane Sissako, la jeune comédienne reconnaît faire un peu figure d’« arbre qui cache la forêt ».
Pour François Guerrar, attaché de presse, chargé notamment de la promotion de La Haine, de Mathieu Kassovitz, 100 % arabica, de Mahmoud Zemmouri ou encore de L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche, il n’y a pas de « racisme primaire » dans les médias français, même si, ajoute-t-il, « il y a de temps en temps des exceptions choquantes, comme quand un magazine masculin a annulé une couverture avec les acteurs du film Indigènes, en disant qu’il ne voulait pas d’Arabes en première page ».
De plus, pour pouvoir s’imposer sur les écrans, ces comédiens doivent lutter contre un certain conservatisme. « Les Noirs n’intéressent personne », s’est entendu dire Michèle Halberstadt, la productrice d’Aide-toi, le ciel t’aidera, la dernière comédie de François Dupeyron, qui raconte les déboires d’une famille noire en France. Un lieu commun qui lui a posé des difficultés pour réunir les fonds nécessaires.
La réalisatrice Audrey Estrougo, dont le premier long-métrage, Regarde-moi, traite du quotidien de jeunes de banlieue, a également subi les frais de cette frilosité des financiers. « À l’époque, en 2006, on m’a rétorqué : “vos comédiens ne sont pas aptes à passer en prime time” ! »
Un argument émanant de chaînes de télévision, qui tiennent aujourd’hui les rênes du cinéma français en préachetant les films avant production pour les diffuser plus tard. Elles ne sont pas les seules à favoriser cette discrimination. « Plusieurs cinémas de banlieue ont refusé d’exploiter le film sous prétexte qu’ils ne voulaient pas attirer la jeunesse du film dans leurs salles », commente la jeune réalisatrice.
L’absence de rôles importants pour les acteurs issus de minorités serait-elle due à la réticence des grandes instances à produire des œuvres mettant en avant des Noirs ? Laurence Coudert, agent artistique, le pense : « On croit que le réalisateur est seul aux commandes de son film et qu’il a tous les pouvoirs. C’était le cas il y a trente ans, plus maintenant. Aujourd’hui, si une chaîne ne veut pas d’un comédien, le réalisateur n’aura jamais gain de cause. »
Que ce soit sur petit ou sur grand écran, le discours sur l’insertion des minorités dans le paysage audiovisuel français ne s’est pas encore transformé en actes. Avoir des personnages noirs dans un scénario est un véritable handicap pour un réalisateur. Sauf, bien entendu, si le personnage en question s’inscrit dans un stéréotype rassurant pour le financier. « Les clichés ont la peau dure, confie Audrey Estrougo. On a beaucoup de mal en France à faire autre chose avec des comédiens de couleur que du cinéma social misérabiliste. »
Même dans les métiers du doublage, la situation est difficile. Ainsi que le révèle le rapport Averroès 2008 sur la diversité dans les médias, rendu public fin novembre, nombre de stars africaines-américaines (Denzel Washington, Danny Glover, Morgan Freeman, Cuba Gooding Jr, Forest Whitaker, Don Cheadle, Halle Berry, Jamie Foxx) sont doublées par des Blancs. « Vous avez des voix spéciales, vous ne pouvez pas doubler les Blancs », a-t-on répondu à la comédienne Yasmine Modestine, métisse de père martiniquais et de mère berrichonne.
« Cinéma à papa »
Cependant, si le présent est plutôt morose, beaucoup gardent espoir en l’avenir. Pour Eriq Ebouaney, acteur franco-camerounais vu dans Chacun cherche son chat, Ca$h, ou encore Kingdom of Heaven, c’est la nouvelle génération qui a les cartes en main.
« Les jeunes réalisateurs commencent à couper le cordon avec les metteurs en scène de l’ancienne époque, qui font encore du “cinéma à papa” régi par des codes d’un autre temps où les Noirs ne peuvent jouer que les sans-papiers ou les balayeurs. Pour que les choses changent, il va falloir que ces jeunes réalisateurs, qui ont grandi avec une autre culture, celle des cités, du rap, arrivent à maturité et prennent les choses en main. »
Aïssa Maïga va même plus loin. « Il faut aussi une nouvelle génération de producteurs, de décideurs, de financiers. Pour moi, le changement doit être tentaculaire. » Car si quelques comédiens maghrébins ont explosé ces dernières années, c’est aussi parce que, de leur côté, des réalisateurs, des scénaristes et des producteurs maghrébins tels que Rachid Bouchareb ont réussi à faire bouger le système. « À nous maintenant de nous prendre en main ! » conclut Ebouaney. Les talents sont là, le public aussi. Ne manque plus qu’un Spike Lee français…
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